Lu sous la plume de Coralie Delaume que « le journal de l’intelligentsia postprandiale » rapporte que Nicolas Sarkozy se serait gaussé du silence assourdissant sur la Libye de ses deux anciennes ministres, Rama Yade et Rachida Dati. Pour Rama Yade, cela peut se comprendre : elle était tout sourire en saluant Kadhafi lors de sa visite parisienne et n’a pas le toupet effronté d’un Nicolas Sarkozy. Dati a peut-être mal digéré qu’on suppute que Kadhafi soit (parmi d’autres) le géniteur de sa fille, mais surtout soupèse ce que vaudrait l’appui changeant d’un Sarkozy pour briguer la mairie de Paris.
Une chose est sûre, Le Monde peut être qualifié de quotidien « postprandial » (d’après repas), mais tandis qu’un Bernard-Henri Levy, goinfré d’illusions sur le Conseil transitoire libyen risque des remontées d’aigreurs, Yade, Dati, et d’autres, observent prudemment la suite. L’intelligentsia veille plutôt à son transit intestinal et guette plutôt les « disgestions » (les impairs) de la crise libyenne pour l’ouvrir. En ce sens, oui, elle se trouve en phase postprandiale.
Je me réjouissais hier soir avec une jeune Stambouliote de sa toute récente nationalité française obtenue par décret après 14 ans de présence en France, il ne m’est pas venu à l’idée de l’interroger sur le rôle de la Turquie dans l’Otan et ses présupposées ambitions de retrouver l’influence de l’ancienne hégémonie ottomane. Mais, pour un radiotrottoir, elle aurait été sans doute mieux qualifiée que Yade ou Dati pour exprimer peut-être l’indifférence, l’intérêt ou l’incuriosité de la nébuleuse kurdo-turque en France, pour autant qu’elle soit encore en contact avec ses diverses composantes. Yade aurait peut-être des vues sur la perception du conflit au sud du Sahara, Dati à propos de ses enjeux économiques, mais ce n’est sans doute pas ce que Nicolas Sarkozy attendait d’elles. Affranchies de leurs étiquettes de « sarkozettes », elles pourraient peut-être lui rappeler des vérités fâcheuses : son appel du pied à ces dames est peut-être fort malvenu.
L’une des ces « vérités » est à prendre avec des pincettes. Le réseau Voltaire relaye que, alors que la diplomatie française est supposée n’avoir rien vu venir en Tunisie, des contacts avaient été pris avec des dissidents libyens dès novembre dernier. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que des gouvernements français se gardent des réfractaires aux régimes africains au chaud, au cas où… Là, il s’agirait de Nouri Massoud El-Mesmari, ancien proche du colonel Kadhafi. On lui prête des contacts avec « la dissidence tunisienne » (des opposants à Ben Ali). C’est large, la « dissidence tunisienne ».
À l’époque (octobre-décembre 2010), la Lybie et la Tunisie collaboraient encore avec les services français pour traquer leurs ressortissants proches des islamistes, et si on n’a pas constaté d’arrestations en Tunisie à la suite de la défection d’El-Mesmari, le colonel d’aviation libyen Gehani s’est fait coffrer par Kadhafi le 22 janvier dernier. Était-il, comme le présument les Italiens, selon le journaliste Franco Bechis, « le référent secret des Français », ou a-t-il été donné à Kadhafi par les services français ? On le sera peut-être si El-Mesmari devenait une sorte de Khomeiny pour la Libye. On se souvient que le shah d’Iran aurait, selon la DGSE, préféré savoir Khomeiny à Neauphle-le-Château plutôt qu’à Damas ou… Tripoli.
Cela doit laisser sonder ce que valent les idéologies, teintées ou non de religiosité, de postures humanistes, et les alliances indéfectibles, quand quête du pouvoir et intérêts financiers et économiques entrent en jeu. On ne sait quand Sarkozy s’est mis en tête de renverser Kadhafi ni même réellement pourquoi au juste. Il est compréhensible qu’il veuille instrumentaliser Yade, Dati, tant d’autres, en France comme à l’étranger, mais il est clair que tout cela se marchande âprement.
J’avais vu passer, dans The Huffington Post, la tribune libre de Marc Ginsberg, ancien ambassadeur étasunien au Maroc, sans trop lui accorder d’attention. Marc Ginsberg est aussi consulté par Fox News, l’IHT, le Wall Street Journal et le Financial Times, et sa chronique – qui peut se résumer ainsi, puisque Sarkozy veut la Libye, qu’il s’en débrouille seul – me semblait refléter l’opinion d’une partie des milieux d’affaires américains, point. Mais j’ignorais alors qu’il était aussi le président de Layalina Productions, fournisseur de contenus pour les télévisions arabes basé en Jordanie. S’il compare l’Union pour la Méditerranée à un « Club Med », destiné notamment à écarter la candidature de la Turquie à l’Union européenne, à bloquer l’immigration vers l’Europe, c’est peut-être parce qu’il a quelque entendement des discussions sur le sujet dans les cercles dirigeants des pays du Golfe. D’un côté, Ginsberg laisse entendre que la Libye pourrait devenir un autre Afghanistan, que le Conseil transitoire pourrait être gangrené par les islamistes, de l’autre, il n’y voit pas un terrain d’extension de la « Guerre contre la Terreur » suffisamment crucial pour justifier un effort américain particulier. Finalement, Ginsberg a plutôt lancé un appel à la raison à destination de la France, sous couvert d’avertissement adressé à Barrack Obama. Soit vous tempérez vos ardeurs, soit vous devrez en subir les conséquences.
On n’y voit guère plus clair aujourd’hui qu’hier sur ce qu’il résultera des opérations aériennes telles que, désormais, l’Otan, depuis la base turque d’Izmir, sera censé les superviser. Quelles sont les implications du ralliement de la Turquie, des Émirats (après le Qatar), aux opérations d’interdiction de survol de la Libye ? Ces États veulent peut-être participer pour obtenir des renseignements privilégiés qui ne soient pas que militaires (même si savoir que tel ou tel colonel ou général libyen prend ou non de l’importance n’est pas négligeable).Ces pays permettent aussi aux États-Unis, bien plus qu’à la France et au Royaume-Uni, de ne pas apparaître en pointe sur ce conflit. Comme le souligne Fabrizio Tassinari (Institut danois d’études internationales), « la coalition des pays motivés n’a pas le contrôle total de ce qui va suivre » (traduisez : la France et le Royaume-Uni doivent composer). Cette « coalition des pays volontaires », selon l’expression de Nicolas Sarkozy, comprend désormais des pays plus volontaires que d’autres, et d’autres moins motivés par un renversement du régime de Kadhafi, plus ou moins enclins à s’orienter vers un gel des avancées des forces en présence au sol, sans préjuger d’une éventuelle partition provisoire du pays.
Il valait peut-être mieux que Rachida Dati et Rama Yade ne se prononcent pas trop tôt. Depuis que Nicolas Sarkozy a digéré les réticences de la coalition, il veut s’orienter vers une « solution diplomatique » qui ne pose plus en préalable l’élimination de Kadhafi. Même si, de son côté, David Cameron incite l’entourage du chef d’État libyen à le lâcher, en suggérant, sans le dire, une sorte d’amnistie, cela sonne à présent comme un vœux pieux. On ne sera pas étonné si Dati et Yade se prononcent bientôt pour louer la sagesse et la sérénité retrouvée de Nicolas Sarkozy. Lequel parviendra peut-être – ou pas – à faire aussi bien pour la Libye que pour… la Géorgie.
Si les diverses chroniques de démocrates étasuniens valaient surtout avertissement sans frais à Sarkozy et Cameron, le poids d’un hommage à Sarkozy de Yade et Dati n’aurait pas pesé bien lourd pour les prochaines cantonales.
La question peut se poser : l’administration d’Obama, qui doit affronter le Congrès, a-t-elle suscité certaines critiques destinées moins à elle-même qu’aux pays les plus volontaires de la coalition ?
Il ne faut pas toujours prendre pour argent contant les déclarations des uns ou des autres qui content ce qu’ils veulent en parlant d’argent pour l’effort de guerre.
En revanche, pour l’opinion française, il faudra bien parer de louanges le possible recul de Sarkozy. Faire d’une défaite une victoire, Kadhafi seul a su faire (après les frappes américaines de Reagan puis Bush). Pour faire d’une éventuelle semi-défaite une victoire, Sarkozy aura besoin de relais. On ne peut que souhaiter en attendant on ne sait trop quoi que Kadhafi ne profitera pas de la situation pour soumettre diverses localités de manière sanglante pendant que les diverses aviations coalisées se contenteront de frappes symboliques ou de survols d’intimidation.
Pas forcément envie de suivre le direct de la BBC avec Jaap de Hoop Scheffer et Dominique de Villepin (c’est dans dix minutes). Mais je verrais plus tard ce qu’il en ressortira.
De toute façon, de Villepin ne va pas dire aujourd’hui, à la BBC, le contraire de ce qu’il écrivait hier sur son blogue-notes :
« [i]Attention à nos objectifs. Cette intervention ne peut en aucun cas avoir pour but d’abattre le colonel Kadhafi ou d’instaurer la démocratie par la guerre. Ce serait renouveler l’erreur de tous les missionnaires armés, depuis les guerres du Directoire jusqu’à celle des États-Unis en Irak. Si nous nous fixons pour objectif la démocratisation par les armes, que ferons-nous au Yémen, en Syrie, dans la Péninsule Arabique, et au-delà en Côte d’Ivoire par exemple ?[/i] ».
On le sait, l’Italie était très réticente. J’en viens à me demander si l’histoire établira que Sarkozy aura réussi à rapprocher l’Allemagne de la Turquie, en se conciliant l’Italie et les pays tels la Pologne, d’Europe centrale.
Déclaration à prendre avec des pincettes de l’évêque de Tripoli (inspirée par le voisinage de Kadhafi, plus ou moins prononcée en accord avec le Vatican ?).
Innocenzo Martinelli indique que le conflit aurait pu être évité et que « [i]quelques jours avant que Sarkozy décide de bombarder, il y avait de vraies ouvertures pour une médiation, mais les bombardements compromettent tout[/i]. ». Chacun refait l’histoire à sa manière, mais la suite risque de voir la proposition franco-britannique de négociations contrecarrée par une ou d’autres, et que la France se retrouve bien isolée.
Du Premier ministre turc dans [i]Aksam[/i] :
« [i]Libya’s people need food, water, medications. They are our brothers. We won’t leave our brothers to the mercy of “European Gaddafis”, who, without waiting for the decision of international structures, organize military operations. Turkey is a global player. We’ll prove it once again, fighting for peace and humanity[/i]… ».
Les Kadhafi européens : il s’agit sans doute de Sarkozy et Cameron. La Turquie, c’est la seconde armée de l’Otan, en importance.
Jacques Lanxade, amiral en retraite, ancien chef d’état-major, vient de déclarer en substance à EuroNews qu’une partition provisoire du pays semblait l’issue la plus probable et que faute de pouvoir intervenir efficacement, il a appartiendra aux Libyens de trouver une issue au conflit. Cela sonne comme le glas des ambitions françaises.
Manifestement pour le Tombeur Jef, empêcher un dictateur de bombarder la population civile c’est une « ambition » inacceptable !
surtout quand l’empécheur a tous les gènes d’un dictateur !
Pour Humhum : je n’ai pas, que je sache, condamné toute intervention en Libye.
Cela étant, Humhum, allez donc, avec BHL, tout de blanc vêtu, poitrail ouvert, vous interposer pacifiquement et revenez nous voir. Prenez tout le temps nécessaire.
Pour Jef : je n’ai pas que je sache défendu BHL. Si l’intervention en Lybie se solde par le simple fait d’avoir détruit des bombardiers et des chars utilisées contre des places publiques, c’est déjà pas si mal comme ambition.
Pour Veritas : Je rappelle que l’empêcheur a été élu démocratiquement.
il n’empèche que tous les gènes du dictateur sont bien là , Humhum !
La Libye, bien sûr, et le Yemen, la Birmanie, la Syrie etc, etc …..