De la spéculation politique sur le nombre de tués sur les routes

Encore une réforme, qui, comme tant d’autres avant elles, doit améliorer la vie des Français. Oh, il n’est pas question d’économie, de pouvoir d’achat ou d’emploi. Sur ces dossiers, le gouvernement a bien compris qu’il ne pouvait rien.

Mais il peut redorer un peu son blason en s’attribuant une baisse du nombre de morts sur les routes qui devrait intervenir d’ici quelques mois.
Je dis bien en s’attribuant, car j’ai appliqué à un graphique représentant le nombre de morts sur les routes une technique similaire à celle qui est utilisée sur les graphiques boursiers pour prévoir les cours de la bourse.

L’intérêt de prévoir les cours de la bourse ? C’est pas sorcier je crois…
L’intérêt de prévoir l’évolution du nombre de morts sur les routes ? C’est un peu plus subtil.
On aurait tendance à penser qu’il est préférable de trouver des solutions pour faire baisser ce chiffre, le prévoir n’a d’intérêt particulier, en tout cas rien qui ne justifie de se creuser la tête.
Sauf… Sauf si on cherche simplement à recueillir des voix sans se soucier de l’intérêt général, ce qui est justement le cas des hommes du pouvoir en place !

Cet article va vous montrer comment les politiques en poste spéculent sur le nombre de morts sur les routes Françaises.

Un outil fondamental : le graphique ci-dessous :

La courbe est en baisse quasi-continue. Une tendance qui ne peut s’expliquer que par l’avancée technologique (freins plus performants, abs, carcasses plus solides…)
Une réforme efficace provoque des baisses brutales sur quelques mois : limitez la vitesse en 73, le nombre de morts baissera dans les mois suivants. Pas 2 ans plus tard. Logique. Et on le voit sur le graphique.

Faisons un peu d’analyse technique.
On peut par exemple constater que les contrôles d’alcoolémie de 90 ont eu un effet immédiat, incontestable d’un point de vue graphique : le nombre était à la hausse, la tendance s’inverse brutalement, rien à dire.

En revanche, la loi de 79 sur les ceintures obligatoire à l’arrière ne change apparement rien : une tendance stable qui reste stable…

De la même manière, l’installation des radars sur les routes en 2003 n’a aucun effet : la courbe était déjà fortement baissière, elle le reste.
A moins que l’on ne considère que les radars n’aient eu un effet un an avant d’être installés, on peut considérer qu’ils n’ont eu aucun impact. C’est en tout cas ce que nous dit le graphique.

Les associations, composées de victimes par nature non objectives, nous disent le contraire. Mais aucun argument statistique ne vient le confirmer.

L’intox du gouvernement et de ces associations satellites (manipulées et/ou manipulatrices) mérite pourtant que l’on s’y arrête. Elle est formidable.

Elle s’appuie intégralement sur votre non-connaissance des mathématiques et des phénomènes graphiques.
On vous montre cette courbe qui baisse avec une flèche correspondant aux réformes proposées.
La coube baisse, il y a des réformes dans le même temps. Vous en déduisez que ces réformes sont efficaces.

ERREUR : Voici deux beaux contre-exemples.
1/ 1974 : Limitations de vitesse. Dans l’année qui suit, le nombre de tués augmente significativement (5% environ). Doit-on en déduire que cette réforme a eu un impact négatif sur la sécurité routière ?
Négatif, je ne crois pas. Au pire, l’impact est nul. Comment voulez-vous que le fait de limiter la vitesse fasse augmenter le nombre de morts ?

2/ 1979 : La loi sur la prévention de l’alcoolisme est suivie d’une augmentation de 5%…
L’explication la plus logique est bien entendu l’existence d’un autre facteur ces deux années-là, expliquant cette hausse.

L’efficacité des réformes ne peut-être estimée -grossièrement- sur un tel graphique qu’aux changements de tendance qu’elles provoquent.
Grossièrement car il faudrait prendre en compte un grand nombre de facteurs pour comprendre les évolutions, et le hasard a également une part de responsabilité.

Pour vous faire croire qu’une réforme est efficace, il faut et il suffit que la-dite réforme soit menée au cours d’une tendance baissière. La baisse due à un autre facteur (innovation technologique, baisse du traffic) est attribuée à la réforme.

Et c’est un art dans lequel Sarkozy est passé maître !
Regardons donc la courbe : à partir de 2002, une tendance baissière s’installe. Elle est due à l’apparition et multiplication des abs et air bags. Les radars n’étaient pas encore là juillet 2002. Le déploiment n’a commencé qu’en novembre 2003 pour se terminer courant 2004.
La seule explication scientifique permettant d’attribuer cette baisse aux radars est de considérer que les-dits radars ont eu un impact avant même d’être installés ce qui est plus que constestable.
La baisse est donc due à autre chose, elle a simplement été attribuée aux radars, pour des raisons évidentes.

Ces dernières années, aucune évolution technologique n’a eu lieu, la reprise éphémère de l’économie a fait augmenter le traffic, avec du beau temps pour couronner le tout… La situation la plus défavorable qui soit, donc.
Résultat logique : le nombre de morts repart -légèrement- à la hausse. On a vu tout cela au cours de ces quelques mois.

Après une telle augmentation, il ne pourra pas remonter beaucoup. D’abord parce que le beau temps ne va pas durer indéfiniment, ensuite parce que les budgets s’épuisent (les gens qui sont partis en WE en mai pour profiter du beau temps renonceront à partir en juillet). Le traffic va baisser à cause d’un nouveau ralentissement économique, et surtout à cause de l’augmentation du pétrole, qui va reffroidir certains ménages et influencer des choix de transports de fret (rail au lieu de route).

Quoi qu’il arrive, les statistiques vont donc s’améliorer au cours des prochains mois.
Mais mieux vaut pour le gouvernement que ces statistiques s’améliorent grâce à lui ! Du moins aux yeux du peuple.
Voila pourquoi ils ont fait passer une loi rapidement !

La sécurité routière est un domaine où, pour faire une réforme efficace, il faut bien réfléchir, prendre son temps… A quoi ça rime de faire une réforme en urgence ? Il n’y a pas d’urgence dans ce domaine. En tout cas pas d’urgence au mois. Mieux vaut une réforme bien faîte que vite faîte. En l’occurrence, il fallait se demander comment un agent pouvait vérifier que votre GPS n’a pas d’option avertisseur de radars, se demander comment on gère le problème des GPS anti-radar existants, et pour le téléphone, se demander sur quel critère on établit que vous êtes ou non en train de communiquer : un flic vous voit dans une voiture en train de parler tout seul, il vous arrête pensant que vous téléphonez avec un kit main libre, vous répondez naturellement "pas du tout monsieur l’agent, je chantais, tout simplement". Il n’aura pas l’air con, le mec.

Le gouvernement n’a pas cherché une réforme efficace, il a parié sur une évolution à la baisse du cours du nombre de tués sur les routes. Exactement comme le trader qui spécule à la hausse ou à la baisse sur un actif financier. Le trader gagne de l’argent, le politique gagne des voix.

Dans ces conditions, mieux vaut une réforme vite faîte que bien faîte. Ce n’est pas la réforme qui fait le résultat, c’est la baisse attribuée à la réforme qui ramène des voix.
Peu importe la réforme en elle même, pourvu qu’elle arrive avant une forte baisse des cours.

Les vies sont devenues actifs financiers, les morts sont devenus instruments de pouvoir.
Le politique ne gouverne plus, il spécule.

6 réflexions sur « De la spéculation politique sur le nombre de tués sur les routes »

  1. [b]J’aime surtout la conclusion poissonrouge..

    Avez vous eu connaissance de la dernière « lubie » de Claude Guéant ??
    mettre des radars, qui vous signalent la vitesse à laquelle vous roulez à cet endroit.

    Qu’en pensez vous ?
    [/b]

  2. Sophy,
    Si vous avez lu mon article, vous savez que JC.Guéant ne cherche pas une bonne idée, il cherche une idée tout court, un truc qui donne l’impression qu’il fait quelque chose et que ce quelque chose va être à l’origine de la baisse à venir.
    Concernant l’idée en elle-même, elle ne peut pas être nuisible d’un point de vue sécurité : au pire, un truc pareil ne sert à rien.
    Le problème, c’est qu’on va encore claquer 500 millions -minimum !- pour déployer ce machin sur les routes, et qu’on va nous dire après que les caisses sont vides.

    J’aimerais poser la question de la manière suivante : êtes-vous d’accord pour payer 10€ pour déployer ce dispositif ? Parce que c’est ce que ça va coûter à chacun d’entre nous.

    Même en imaginant que ce dispositif sauve une vie par an. 500 millions investis dans la santé seraient bien plus profitables en vies humaines. Mais, hélas, la santé est moins glamour, dans notre pays, que la sécurité, obsession du troupeau.

  3. Très intéressant!

    Ca rejoint un peu ce que je me disai quand ils ont annoncés leur trouvaille de retirer les panneaux annonçant les radars automatiques…que d’argent gaspillé, et surtout que d’argent gagné vu que plus personne ne ralentira avant!
    Et qu’il es beau l’argument de dire « ce sera comme une épée de damoclès pour les automobilistes qui craindront qu’il y ait un radar quelque part sans le savoir systèmatiquement »…N’était ce pas le cas déjà avant la mise en place des radars automatiques? il me semble que les radars automatiques n’étaient pas voués à remplacer les radars mobiles, mais à faire ralentir les conducteurs dans les endroits accidentogènes dus à la vitesse…Et encore! vu l’emplacement de certains radars on se pose la question du bien fondé de sa présence.

    Donc en retirant les panneaux, les gens ne seront plus avertis implicitement qu’à l’endroit il y a eu plusieurs accident mortels dus à la vitesse. Ils ne ralentiront plus, le nombre de morts repartira forcément à la hausse!

    En bref, on en revient à la situation intiale avant le déploiement des radars.

    La conclusion de dire que les morts sont des instruments de pouvoir, je suis assez d’accord…Il n’y a pas que dans le domaine de la sécurité routière d’ailleurs.
    Mais s’ils veulent que les excès de vitesse n’aient plus court…qu’ils fassent un cahier des charges aux industriels automobiles en stipulant que les véhicules désormais construits soient bridés à une vitesse maximale de 90km/h…
    Et pour dissuader, en cas de débridage je propose:
    -destruction du véhicule à la charge du conducteur,
    -une forte amende minimale de 5000€,
    -suppression de 3/4 du capital de point sur le permis sans possibilité de recapitalisation anticipée
    -stage de sensibilisation routière obligatoire d’une durée de 8 jours minimum à sa charge.

    Certes cela ne dissuaderait pas tout le monde, mais une bonne partie.

    Mais c’est de l’utopie! s’il n’y a plus d’excès de vitesse, il y a moins de PV, donc moins de sous-sous dans les caisses de l’Etat…s’il y a moins de morts, les répressions ne se justifiraient plus.

  4. Julien,
    Il serait même techniquement possible, et même pas très compliqué de limiter la vitesse d’un véhicule en fonction de l’endroit où il se trouve : grâce au GPS, vous savez où vous êtes, grâce à une cartographie, vous savez à combien vous êtes limité à l’endroit où vous êtes et grâce à l’ordinateur embarqué, vous limitez la vitesse du véhicule comme bon vous semble.

    Seulement voilà : un tel dispositif règlerait définitivement le problème, puisque pour contourner ce bridage, il faudrait intervenir sur le logiciel embarqué de la voiture… Bref, ce n’est pas donné à tous, ce qui signifie que personne ne le ferait à l’exception de quelques bricoleurs marginaux.

    Or, régler définitivement le problème a deux gros inconvénients :
    1/ L’état ne fait plus de pognon sur la vitesse.
    2/ Il n’est plus possible de faire de la récupération politique là-dessus en prétendant trouver des solutions pour faire lever le pied aux gens, puisque le pseudo-problème de la vitesse serait réglé.

    Que cela vous plaise ou non, le problème de la vitesse n’a jamais été évoqué pour être réglé. Il est évoqué pour faire croire que le gouvernement œuvre contre. Le but étant d’utiliser vos émotions pour avoir votre voix.

  5. [b]Gouverner, c’est prévoir,[/b] il est quand même logique que les acteurs (vous et moi )comme le gouvernement calculent un tant soit peu leurs actions….

    Les outils statistiques servent aussi à cela , il serait sot de ne pas utiliser ces instruments…..

    la chômage est en baisse,
    la mortalité en baisse,
    la fécondité en hausse, etc….

    [quote]les chiffres français ne sont pas mauvais à comparer avec les pays voisins….[/quote]

  6. J’ai trois ans,
    Avez-vous compris mon propos ?
    Prévoir, oui, le tout est de savoir dans quel but ! Encore que prévoir le nombre de morts sur les routes ne me paraît pas d’un intérêt capital. Le faire baisser, oui, mais le prévoir… Mais enfin, admettons que ça aie un intérêt, pour faire des modèles pour prévoir l’efficacité ou non de telle ou telle mesure.

    Si c’est juste pour s’attribuer les bons résultats, et ce cacher au moment où les mauvais tombent, ça n’apporte pas grand-chose aux citoyens.
    Et là, c’est ce qu’ils font : ils vont faire une loi bidon pour marquer le coup, dans la mémoire collective, le gouvernement aura fait « quelque chose » et ce « quelque chose » sera suivi d’une baisse, laissant penser que ce « quelque chose » a été efficace.

Les commentaires sont fermés.