Comme le signale Le Grand Robert, à l’énarchie et son pouvoir énarchique s’associe parfois la forme « énarquien, ienne » : la « chienne » chique parfois et cela fait « baver » le blogueur Arouet le Jeune. Cela ne manque pas de jus. Pour « cause » de sa causerie, cette fois, le rapport de Michèle Pappalardo, présidente du jury des concours d’entrée à l’École nationale d’administration, cru 2010.

 

J’affectionne Arouet le Jeune et son blogue-notes Nouvelle Langue française (avec une effe capitale fort superflue à « française »), moins que le Langue, sauce piquante de mes ex-collègues (ou confrère et consœur du Monde si les correcteurs y sont considérés journalistes) Martine Rousseau et Olivier Oudard.
Mais je me délecte souvent des contenus de sa N.L.F. L’émule de Voltaire m’horripile souvent car il ne peut réfréner sa propension à tout conclure par des accents (plutôt suraigus) à la limite de la xénophobie.
Commentant le rapport de la présidente du jury des concours (externe, interne) de l’Éna en 2010, il tire des conclusions tout à la fois étonnantes et surprenantes.

 

En particulier des paragraphes relatifs aux origines géographiques et sociales des candidates et candidats. Étonnantes car on ne voit pas pourquoi il conviendrait d’assurer plus de diversité dans le recrutement en prenant en compte, outre le sexe, « l’infinie diversité des pratiques sexuelles » : les « lesbigays » et les transgenres peuvent concourir, il n’a pas été relevé de problèmes discriminatoires particuliers. Surprenantes, car le rapport n’aborde absolument pas la nécessité « d’autoriser à rédiger dans une autre langue que le français. ». Mais où va-t-il donc chercher tout cela ?

Charitablement, Arouet Jr. ne mentionne pas le patronyme de la présidente ; le lien permettant de télécharger (au format PDF) le rapport en question n’est pas non plus signalé ; cela s’explique techniquement (cherchez « rapport_3_concours_2010.pdf », trouvez, et comparerez en paix).

Notre chantre des bons usages nous épargne donc des jeux de mots sur les papelardes (fausses dévotes, hypocrites à l’expression mielleuse) mais il ne semble pas « aussi droit, aussi franc, que l’autre était… » ou serait retorse, donc (d’André Gide dans Si le grain ne se meurt, celui des bonnes pratique langagières inclus). L’autre étant ici la rédactrice du fameux rapport.

À chacun ses petites manies, l’une des miennes étant l’emploi abusif de l’adverbe ou de la conjonction « comme » en tant que calque du « as » anglais (ex. : nommé « comme » préfet). La présidente ne présente pas ce biais, emploie pesamment des « comme » qui ne sont pas fautifs, mais j’admets la phrase « l’évaluation nous est parfois apparue comme une “panacée” » car si les guillemets de distanciation auraient autorisé un « telle », voire rien (élément zéro, élision), c’est fort véniel. En revanche, le participe présent (ici « restant »), ou comme supra, aurait dispensé de la formule lourdingue : « comme le nombre de postes reste stable, le taux de sélectivité… » (le nombre (…) reste stable, le taux… progresse). Bah, cela n’annonce pas le crépuscule de la maîtrise du français et l’emploi mesuré du jargon n’enrobe pas les éléments traités d’un épais brouillard.

« Write Clearly – Fight the Fog » était l’intitulé d’une campagne du service de la traduction de la Commission européenne. « Le secret d’ennuyer est de tout dire » (Voltaire) : la citation figure en français et traduite vers l’anglais juste après la table des matières de la brochure, laquelle mentionne des faux-amis (le fr. « éventuel » traduit par “eventual” et non par “any”), incite à bannir l’eurojargon et recommande d’user de l’eurospeak avec circonspection. Délaçons la prose d’Arouet Jr au risque de lasser.

« La langue de l’E.N.A. est-elle le français ? ». Ainsi titrait notre Zarathoustra.
Glissons sur la non-accentuation de la capitale, sur le relevé des fautes bénignes. Certains manuélistes recommandent de composer (ou saisir) au long les numéraux, Arouet Jr chipote la présidente sur l’emploi d’un 30 (« il y a plus de trente ans » serait sans doute mieux venu, mais j’admets de passer aux chiffres à compter de 11). Mais il est vrai qu’un « mesurer la lourdeur d’une tâche », sans verser dans la démesure, fait incongru, mésséant. La présidente n’a pas soupesé toutes ses longueurs.

Arouet Jr relève un « déterminant leur (« leur grande gentillesse ») qui représente un nom singulier (« l’équipe ») » : il n’a pas tort. Une syntaxe énonciative pourrait admettre qu’une équipe est un collectif (de collaborateurs), mais les évolutions potentielles n’autorisent pas d’ores et déjà l’emploi incriminé.

J’adule écrire cuistre (le vocable, cuistrement ; pourquoi admettre l’emploi adjectival et adverbial de « nature » et non celui de « cuistre » ?) : soit en cuistancier liant mots inusités et tournures chantournées (sinueuses). Brumeux et fumiste. J’emploie donc aussi « questionnement » mais non tenant lieu d’interrogation. Le style veut qu’il soit évité d’employer en français le même mot à proximité trop immédiate. Michèle Pappalardo aurait dû, selon Arouet Jr, réitérer « question » et se dispenser de ce « questionnement » qui désigne nonobstant un ensemble de questions.

Arouet Jr semble méconnaître aussi l’emploi de « nature » pour désigner un modèle, d’où sa condamnation de l’emploi du pluriel (natures) pour qualifier divers modèles de regrets exprimés (de diverses sortes, donc). Bon, là, j’admets ma parfaite mauvaise foi. Je joue mon pédant, mon pion passant entre les bancs de la salle d’études histoire de bien signifier aux retenus qu’il m’est facile de les coller une heure de « mieux » (aussi pour dissuader Arouet Jr de jouer au malin et demi en commentaires…).

« Les jugements sur les copies des candidats semblent parodier les appréciations portées par les professeurs de collège sur les bulletins trimestriels, » ceux de la rapporteuse, s’entend, se gausse ici le sentencieux Ferneysien d’occasion. L’art de la craie projetée depuis le pupitre, du sec coup de règle sur les doigts joints, du parcours du fond de la salle de classe au tableau – le pavillon auriculaire tordu entre deux doigts formant étau – n’est pas irrémédiablement révolu !

Michèle Pappalardo a droit à son « perp walk ».
Telle l’arroseuse arrosée, elle saura sans doute sourire sous cette ondée de mauvais points d’ironie.

Suivent un éloge des servitudes administratives, la défense et illustration du conformisme de bon aloi chez les serviteurs de l’État et ce facile « si les conformistes étaient aviateurs, le président du jury de ce concours serait chef d’escadrille. ». Précédant une évocation de « tous les poncifs du jour », ce commode topique fleure son commodore des conventions et idées reçues, son Papillon de nuisance (je m’autorise quelques évasifs menus plaisirs…).

Si la diversité était davantage favorisée à l’Éna, « très rapidement, la haute fonction publique ressemblerait à celle de l’ONU (sic), de l’UNESCO (sic), du FMI, de l’OMC ou de la FAO… ». Avec deux pour cent de Français, mais vingt d’arabes, trente de Chinois ou de noirs…, poursuit Arouet Jr. Eh, déjà, Onu et Unesco… et pourquoi É.N.A. – E.N.A. dans le titre – et non F.M.I. ou O.M.C. et F.A.O. ? Cohérence (notation marginale). Pourquoi vouloir saisir « trente » au long et non plus les pourcentages (en chiffres dans le billet d’Arouet Jr) ?

Arouet le Jeune publie ses florilèges aux éditions Muychkine. Ce qui m’évoque la récente disparition du fondateur des éditions L’Âge d’homme (Nach Dom), Vladimir Dimitrijevic (†28 juin). Sous son égide, l’édition francophone s’est enrichie d’ouvrages très respectueux des codes et marches typographiques. Il était fondamentalement yougoslave bien davantage que serbe (ce qui se discuterait à l’infini). Il a publié L’Amour nègre, de Jean-Michel Olivier (prix Interallié 2010), fait beaucoup traduire, et sa librairie parisienne (5, rue Férou, Paris) reste lieu de rendez-vous littéraires prisés. Il passait pour le Suisse de l’équipe de la Francophonie aux mondiaux des bons usages de diverses langues. Pour faire bisquer Arouet Jr, je me risquerais bien à supputer qu’un léger quota à l’Éna d’Helvêtes juifs, noirs, borgnes, transgenres, &c., ne serait pas une catastrophe…

Arouet Jr n’est pas ignorant (est-ce un euphémisme ?) des travaux de Vincent Descombes, des Hautes études en Sciences sociales, linguiste, membre associé de l’Institut Jean-Nicod (CNRS). Il n’en est sans doute pas que congru, mais assurément féru. Vincent Descombes publiait en 2002 « L’Idée d’un sens commun » dans un numéro thématique de Philosophia Scientiæ consacré à l’usage anthropologique du principe de charité. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, Arouet Jr pourrait s’accorder celle de se relire méticuleusement (ce que j’omets pour des billets de la sorte, prodigues en coquilles et formes fautives, car ma cuistrerie n’a d’égale que mon ingratitude). Mais surtout nous accorder la mansuétude de ne pas trop mélanger les genres (ce qui me divertit trop souvent au risque de m’aliéner des lectrices et des lecteurs) et de ne pas trop tirer par les cheveux les zézaiements de style ou les mésemplois des retraitées de l’administration (Michèle Pappalardo n’est plus commissaire au Développement durable depuis mai dernier).

L’orthotypographie mène à tout, même à l’ornière. De même, la sauvegarde à tout crin de la langue française avait conduit le Petit Père Combes à déclarer : « le breton se prête moins que le français à exprimer les idées nouvelles, ces vilaines et détestables idées républicaines dont la langue française est l’admirable messager. » C’était digne de Déroulède. Déroulède le Jeune ou Arouet le Jeune ? Je subodore confusément, au fil des billets de la N.L.F., « comme » de terribles apparentements.