Dans ces temps où la crispation culturelle semble prévaloir sur le dialogue, il est important de comprendre certaines notions, trop souvent connotées, et ce qui se joue dans l’interculturel.

Pour nous éclairer dans cette réflexion, j’ai demandé à Hamid Brohmi (*), expert international, de répondre à quelques questions pour les lecteurs de C4N.

 

Comment définissez vous l’interculturel ?

Le préfixe « inter » d’interculturel indique une mise en relation et une prise en considération des interactions entre des groupes, des individus, des identités

Le multiculturel lui, s’arrête en fait à une co-existence, se limitant à une juxtaposition de cultures.

L’interculturel se base sur l’interaction entre des groupes, des individus de cultures différentes et favorise donc la réciprocité dans l’échange. Cet échange ne peut se faire que par le respect mutuel tout en préservant l’identité culturelle de chacun. L’interculturel permet des rencontres qui nous interrogent sur nous-mêmes face à l’Autre et face à l’altérité. La création d’une culture commune pour un mieux vivre ensemble nous permettrait de surmonter tout obstacle dans les rencontres et nous distancier de nos préjugés, stéréotypes et catégorisations. Toute hiérarchisation entre cultures ne peut que nous enfermer dans un ethnocentrisme étriqué.

La complexité symbolique dans les pratiques culturelles demande toujours une analyse profonde et déconcentrée afin d’éviter tout différencialisme ou folklorisation. La France a mis longtemps à se reconnaître comme une société plurielle et l’interculturel interpelle non seulement les systèmes de valeurs mais aussi les représentations sociales et culturelles.

 

La plus part des personnes font des confusions entre différents termes (Arabes, Maghrébins, Musulmans…), en quoi sont- elles des risques ?

 Oui effectivement beaucoup de confusions déclenchent des débats passionnés et servent de plateforme à tous les amalgames et stéréotypes. C’est le cas des mots « arabe, maghrébin, musulman, islamiste… Chaque groupe social ou lobby les emploie à tout va sans se référer ni à leur genèse ni à leur étymologie. Regardons concrètement : qu’est-ce qu’être arabe ? Ce n’est ni une race, ni une ethnie, l’identité arabe est multiple ; les plus anciennes sources sur les Arabes les situent dans le désert Syro-mésopotamien et l’Arabie ; l’étymologie du mot arabe est obscure par contre en Hébreu ARABAH désigne le désert .Plus simplement nous pouvons dire que les Arabes sont des peuples dont l’usage distinctif est l’utilisation de la langue arabe avec ses multiples dialectes et langue d’origine sémitique tout comme l’hébreu, le phénicien, l’araméen… Mais, être arabe ne signifie pas être musulman On peut être arabe et chrétien, arabe et juif, arabe et athée ou libre penseur …La confusion est entre le culturel et le cultuel … un libanais chrétien est arabe par la langue et par la culture et sa religion n’est pas musulmane…un iranien, un turc, un afghan peuvent être musulmans mais ils ne sont pas arabes…un juif maghrébin parle arabe ou berbère et sa religion peut être le judaïsme .Cette confusion vient du fait que la majeure partie des Arabes est de religion musulmane et que la langue arabe est la langue de la Révélation et du texte coranique… Etre maghrébin signifie « venant du Maghreb  des pays du soleil couchant » et un maghrébin peut parler la langue arabe ou le tamazirgh (Berbère) ; L’identité du Maghreb est plurielle : elle arabe, berbère, juive, africaine et méditerranéenne. Une autre confusion  généralisée : musulman et islamiste 

Etre musulman, c’est professé sa foi de « muslim »  dans la paix et la soumission à Dieu … être islamiste c’est ajouté au culturel un axe important, basé sur la gestion de la cité ; c’est un courant de pensée politico- religieux et le suffixe «  isme » renvoie à des doctrines politiques allant des plus modérées aux plus radicales.

A quelles conditions la diversité culturelle peut être une chance pour la France ?

Pour rendre compte de l’appréhension et du traitement de la diversité culturelle et ethnique, on évoque très souvent en France,le principe d’indifférence à la différence (l’égalité de tous) en opposition au principe de la reconnaissance des différences. Face aux crispations identitaires, s’interroger sur la diversité culturelle devient nécessaire dans toute action formative (sociale, linguistique ou culturelle). Loin d’être un obstacle, cette diversité peut engendrer une richesse mutuelle à condition de déconstruire certaines conceptions dominantes qui conduisent à la « culturalisation » des rapports sociaux.

De même, il faut éviter de définir toute culture comme une entité stable, enfermant les individus et les groupes dans des identités fixes et immuables. Le travail sur les représentations concernant l’altérité est indispensable afin de se pencher sur les tensions entre ce qui est particulier à chacun et commun à tous. Et cela surtout dans le contexte actuel marqué par la communautarisation et l’ethnitisation des questions sociales.

Quand certains parlent de « chocs des civilisations » vous préférez parler de « choc des ignorances » !

 Oui, en effet les ignorances sont au cœur tout. Les civilisations ne sont pas des entités abstraites ni des blocs monolithiques ; elles ont toujours été en contact les unes avec les autres et ce sont mutuellement influencées, interpénétrées, enrichies parfois dans la douleur parfois dans la paix. Les civilisations se rencontrent, circulent et il faut être bien ignorant ou bien ethnocentriste pour les hiérarchiser et les figer dans un registre inconciliable. Elles sont le patrimoine de toute l’humanité ; La thèse « du choc des civilisations » est datée et repose sur une description géopolitique du monde fondée sur les oppositions culturelles dans lesquelles le substrat religieux tient une place centrale. Le découpage des aires civilisationnelles est arbitraire Opposer l’Islam et le Confucianisme à l’Occident est une aberration.

Vous considérez la laïcité comme un véritable atout pour un mieux vivre ensemble. En même temps, vous préconisez une approche des religions dans l’éducation nationale. Comment cette laïcité peut –elle cohabiter avec une sensibilisation aux religions?

La laïcité n’est pas l’hostilité envers les religions ou la fermeture à la spiritualité. C’est l’adhésion au partage d’un espace commun dont la neutralité est une ouverture à tous et qui s’oppose à tout particularisme religieux dans la sphère publique.

La laïcité est une éthique basée sur la reconnaissance de la différence de l’autre, au respect de l’autonomie de l’individu. La tolérance laïque est la contraire de la fermeture dogmatique .Le fait religieux ne peut être abordé à l’école laïque que par une approche neutre, tout en écartant toute vision moraliste. L’enseignement du fait religieux n’est pas la catéchèse. Il fait partie de la culture humaniste ; l’élève doit comprendre l’unité et la diversité du monde et cela dans un esprit de laïcité respectueuse des consciences. Si l’on met le religieux hors du lieu de transmission rationnelle qu’est l’école, on risque des lectures uniquement religieuses et fondamentalement littéralistes

(*) Hamid Brohmi est consultant, conférencier en management interculturel et en géopolitique et prospective, expert international auprès d’institutions publiques et privées, membre du Conseil scientifique du Mouvement international pour la paix, auteur de nombreuses études et ouvrages dont les plus récents : Lettre du SUD, Sida et inter culturalité, Etude sur les vieux migrants en France