L'excellent site Rue89 détaille le périple romancé de notre inénarrable philosophe dandy en Géorgie. Une vieille habitude que d'aller là où la liberté chancelle diront les uns, là où les caméras tournent sans discontinuer diront les autres. L'occasion de se voir ouvrir sans contraintes les colonnes du journal Le Monde pour le coup…

En tout cas il y va, carrément, en route pour l'aventure ! enfin l'aventure façon VIP avec jet privé et bivouac au Marriott, faut pas non plus exagérer…

Drôle de polémique qui réveille en moi quelques souvenirs, automne 1992, Sarajevo. Le jeune sous-Lieutenant que je suis alors a la charge de la protection des personnalités et voilà qu'arrive BHL… Comme dans les magazines, tout de noir vêtu sauf le blanc de la chemise et un pas de course plutôt tonique sur le tarmac pour rejoindre le Véhicule de l'Avant Blindé à son service. Faut dire qu'il est venu plusieurs fois à Sarajevo mais jamais longtemps ,sorte de précurseur des voyages-éclair que l'on connaît aujourd'hui…

Pas un bonjour ne nous parvient. Sur la route de l'aéroport nous traversons parmi les quartiers les plus touchés par les bombardements, l'homme célèbre par le hublot entrevoit l'étendue du désastre. Il est silencieux. On se dit qu'il est venu pour tout ça, pour s'en imprégner, pour le raconter, pour les aider. On avait peut être tort…

La scène se passe le lendemain, une forte communauté francophile bosniaque d'universitaires, avocats, médecins, écrivains sollicite une entrevue avec l'auteur de la "Barbarie à visage humain". Nous organisons en insistant auprès du maître une heure d'échanges au siège de la radio-télé bosniaque. Nous y sommes, il rayonne devant ces gens déjà marqués par de longs mois de privations.

Puis il s'arrête. L'heure c'est l'heure et la présidence bosniaque l'atttend. Dehors, la nuit est tombée, le froid est vif, la neige vient juste de s'arrêter. Nous le faisons monter dans le blindé de tête. Puis l'on s'active. Mais BHL n'est pas content. Nous ne démarrons pas assez vite, nous allons être en retard… je lui explique simplement que nous faisons monter tous ces interlocuteurs pour les raccompagner en ville sur le chemin de la présidence. Pas question naturellement pour nous de laisser cette vingtaine de personnes faire les 3 kilomètres de nuit, dans le froid, aux abords de la funeste Sniper allée. Mais pour BHL qui ordonne de partir. Quelques uns des légionnaires du groupe ont les poings qui démangent mais enfin il faut contenter ce caprice de star.

Alors nous dérogeons à la règle de se déplacer toujours à deux véhicules, façon d'entretenir le doute d'un éventuel agresseur, un VAB part pour la Présidence, l'autre ramène les amoureux de la France un peu refroidis par ce qu'ils ont vu et entendu de leur icône…
Apparemment les détails pratiques d'une ville assiégée pèsent peu face à une invitation officielle qui se terminera au distingué Holiday Inn, on ne se refait pas…

Autre scène qui me revient exhalant le même trouble que les exaltations présentes du pourfendeur des injustices, le lendemain au PTT Building, siège de l'Etat-Major des forces de protection des Nations-Unies. Un BHL blême fait irruption dans le bureau du Chef d'Etat-Major. Il a vu des choses inqualifiables, ici-même, enfin un peu plus bas, au deuxième sous-sol plus exactement. Faut dire que dehors le temps est disons orageux, manière d'évoquer que les bombardements sont lourds et qu'il n'est donc pas question d'exposer notre personnalité au moindre risque. Alors déambulant dans le bâtiment français il a découvert dans les anciens parkings souterrains un authentique campement des hommes de rang. Et ce qu'il a vu l'a sidéré. Il ne manque pas de s'en offusquer : "Il est 3 heures de l'après-midi et vous avez des hommes qui dorment !".

Le colonel est surpris et quelques secondes passent avant qu'il ne réponde "ceux-là même qui veilleront sur la sécurité du bâtiment cette nuit quand vous dormirez monsieur".

A l'expression de son visage, je compris que cette éventualité n'avait pas effleuré l'esprit de cet homme si brillant. Ainsi donc la guerre se poursuivait même la nuit et tandis que les étoiles filantes rêvaient à leurs suprêmes destins, des besogneux scrutaient la nuit pour les préserver de médiocres dangers. Et l'incident de la veille relevait de la même démarche. La guerre se poursuivait elle pendant qu'il partait pour un autre rendez-vous ? Il n'en avait cure.
Et c'est là toute mon impression de BHL dont je suis bien incapable de juger le talent de philosophe ou d'écrivain. Mais l'homme je l'ai cotoyé dans des circonstances extrêmes où les vraies natures se révèlent. Son égocentrisme est tel qu'il l'aveugle du simple quotidien et de la triste réalité comme si tout ne se déroulait qu'autour de lui, pire comme si rien d'autre n'importait que ce qui tourne autour de lui. Pour mieux relater ensuite une réalité revue et corrigée. Car la réalité il ne la perçoit pas, il l'imagine.

Mais alors il ne faut pas se prétendre journaliste, encore moins historien.
Victor Hugo disait "La liberté consiste à choisir entre deux esclavages : l'égoïsme et la conscience. Celui qui choisit la conscience est l'homme libre."
Comme un écho à ce que constatait l'épouse de Daniel Pearl, BHL, l'homme dont "l'égo détruit l'intelligence"…

Quoiqu'il en dise, BHL a choisit l'égoïsme. Cela n'a pas grand chose à voir avec "l'aventure de la liberté"…