Tragique, mais ne manquant pas de sel, l’entretien d’Alain Minc avec le Journal du dimanche : « Si l’Italie saute, le monde entier saute… ». Le gourou des marchés dénonce leur « irrationalité ». Mais enfin, pas du tout : ils se défaussent au son du canon, accumulent les valeurs refuges, et sauront rafler les mises avant que résonne le clairon d’une improbable reprise… là où se portera la croissance retrouvée, hors d’Europe.

Alain Minc, qui a l’oreille de Nicolas Sarkozy, souffle une idée qui pourrait remettre en selle la TVA dite « sociale » : les agences de notation « oublient surtout que les pays européens peuvent augmenter leur TVA ».

De même, si l’Italie est attaquée, c’est irrationnel puisque presque le tiers de son économie est « souterraine » et échappe au fisc. Continuons !

La TVA, c’est pour tout le monde, pas pour l’économie souterraine. Si l’État grec souffre si fort d’un déficit de trésorerie, c’est aussi parce que, comme l’Italien, mais dans une plus forte mesure encore, il souffre d’une formidable évasion fiscale. Mais de cela, Alain Minc ne souffle mot.

Alain Minc dénonce « l’irrationalité des investisseurs, l’inconséquence des banques et l’inculture des agences de notation. ». Allons donc. De quels investisseurs s’agit-il ? Sans doute pas ceux qui se sont portés sur l’or et les matières premières et sauront rafler les bénéfices le moment venu. Les agences de notation, toujours fortement liées aux banques et aux grands établissements financiers, savent parfaitement ce qu’elles font : anticiper une maximalisation des profits pour leurs meilleurs clients.

Pour la France, la rigueur s’impose mais il faudra « un signe des leaders socialistes montrant qu’ils ont compris le monde tel qu’il est. ». Sans doute aussi un autre des leaders syndicaux qui devront renoncer aux 35 heures sans augmentation des salaires, admettre des compressions d’effectifs, et que le monde « tel qu’il est » impose d’autres délocalisations.

Il conviendra aussi peut-être de favoriser l’immigration et ses bas salaires pour compenser les chutes démographiques : Alain Minc ne va pas jusqu’à l’énoncer clairement mais il pointe que l’Allemagne est fragile du fait de sa stagnation démographique.

Alain Minc veut croire à « une baisse brutale des cours du pétrole et des matières premières. » Les marchés auraient tort de la laisser s’amplifier. Mais bien sûr, l’Allemagne se ralliera à la « gouvernance économique » voulue « par la France ». C’est comme si c’était fait. Il ne s’agit surtout pas d’harmoniser la fiscalité et de renforcer les contrôles, mais simplement d’émettre « des euro-obligations ». Conclusion : « tout l’enjeu est de définir une politique de rigueur socialement juste et acceptable. ». En repoussant encore l’âge de départ en retraite ? En augmentant les taxes pesant encore davantage sur le plus grand nombre et ralentissant la consommation des plus faibles ?

En fait, Alain Minc dénonce les lois des marchés pour mieux inciter à s’y plier. De même, Thierry Mariani, dans le même JDD, prépare l’opinion : il faudrait lutter « contre les profiteurs “du bas” et les profiteurs “du haut” de l’échelle sociale. ». Mais surtout ceux du bas, car l’urgence n’est pas de faire rentrer des cotisations dans les caisses de l’Unedic mais de créer « un fichier généralisé des allocataires qui recense toutes les prestations sociales perçues. ». Bah, les hauts revenus qui sollicitent le RMI pour leurs enfants ne cumulent pas trop avec des allocations familiales ou des aides au logement.

Bien sûr, il question de taxer « les très hauts revenus financiers », mais pas trop ceux des entrepreneurs « qui font progresser le pays. ». Que les plus gros entrepreneurs réalisent aussi de très hauts revenus financiers est sans doute normal : ils sont destinés à l’investissement, parfois dans des recherches totalement bidon, mais permettant de bénéficier de déductions fiscales.

Nicolas Sarkozy promettait en mai dernier d’encourager « le développement de socles de protection sociale » et de favoriser « le respect accru des droits du travail. ». Fortes paroles, quand le démantèlement de l’Inspection du travail se poursuit et que la protection sociale est de plus en plus dévolue aux collectivités locales. D’autres demandent une dévaluation de l’euro…

Gordon Brown, ancien Premier ministre britannique, considère surtout que les chefs d’État se bornent à faire se résigner « à plus d’austérité encore ». Il prévoit que « des millions de citoyens européens se verront sans raison valable condamnés au chômage. ». Il dénonce la réticence à envisager « les immenses questions constitutionnelles découlant de l’intégration fiscale. ». Pourtant initialement favorable à l’adhésion du Royaume-Uni à la zone euro, il s’était ravisé en constatant l’absence de prévision de solutions dans l’éventualité d’une crise monétaire. Il plaide à présent de nouveau pour une réindustrialisation de l’Europe afin de développer les exportations de biens vers les pays à forte croissance qui n’absorbent que 7,5 % des exportations européennes.

Dans une tribune libre de The Independent on Sunday, c’est une volée de bois vert qu’il adresse aux dirigeants européens, plus soucieux de leur avenir politique à court terme que d’autre chose. En France, nous avons Alain Minc et le JDD de Lagardère. C’est plus « soft » et cela n’engage à pas grand’ chose si ce n’est à donner un satisfecit à Sarkozy pour améliorer sa cote de popularité. Mais si on ne sait si l’Italie « sautera », on a déjà vu Sarkozy faire tant de fois le pois sauteur à la mexicaine sur ses talonnettes qu’en dépit de ses mâles déclarations, on devine déjà ce qu’il proposera : nous faire passer au régime pois chiches, et nous promettre encore une fois un avenir plus serein.

La crise n’est pas d’abord financière, même si c’est l’urgence du moment. Elle est surtout économique et tout a été fait, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, pour affaiblir l’État et déléguer ses tâches à de coûteuses officines privées de services tout en négligeant le tissu industriel. On s’en souviendra.