La revue de presse du Messaggero relève que l’allemand Handelsblatt a titré « il deficit italiano si chiama Berlusconi » (en fait, c’est plutôt « le problème des Italiens, c’est Berlusconi » : « Italiens Problem heißt Berlusconi »). C’est oublier que le même journal considère aussi que le problème des Allemands, c’est aussi la chancelière Angela Merkel. Certes, l’Allemagne est moins endettée que la France, ou l’Italie, ou la Grèce… mais au prix des mêmes subterfuges que ceux de ses voisins européens.

Le problème, crucial, des Européens, est-ce seulement leurs dirigeants politiques ? La presse britannique, très alarmée par les propos du gouverneur de la Banque d’Angleterre, qui prévoit une crise supérieure à celle de 1929, pointe Brown, le successeur de Blair et prédécesseur de Cameron. C’est plus facile de l’énoncer ainsi. En fait, si Handelsblatt montre du doigt Angela Merkel, et les très gros mensonges de la classe politique allemande au pouvoir, car le déficit allemand serait plus de trois fois celui qu’avoué (7 000 milliards d’euros et non 2 000), c’est accorder bien des pouvoirs aux Sarkozy, Berlusconi, Merkel ou Cameron ou même Papandréou.

Ces derniers ne font que ce que pourquoi ils sont mandatés de fait : nationaliser les déficits, privatiser les bénéfices.

Le mensonge allemand

Ce n’est pas un hasard si Jürgen Stark, le chef économiste de la BCE (Banque centrale européenne) vient de présenter sa démission, saluée avec une certaine hypocrisie par Christian Noyer, de la Banque de France. Stark démissionnerait « pour des raisons personnelles… », selon Noyer.
À d’autres. En fait, Stark, lundi, accorde un entretien à l’Handelsblatt, dans lequel il appelle à de profondes réformes au niveau européen mais aussi à « des sanctions ».

Mais qui décide dans l’Union européenne au juste ? Les gouvernements et les présidents ont-il si envie de se sanctionner ?

À commencer par Angela Merkel, désavouée par les urnes, qui n’a aucune envie de décréter l’austérité en Allemagne, aussi, ce que Stark préconise. Les « stimulations fiscales », indique-t-il, ne pourront que « creuser les déficits ». On sait à qui elles sont destinées, et qui en supporte les conséquences. Pour éponger la dette, il ne suffit pas d’aider ceux qui l’ont creusée en investissant hors d’Europe.

Certes, l’Allemagne n’a pas investi que hors d’Europe. Mais pour que ses industriels et financiers investissent, en Europe, notamment dans l’économie grecque en trompe-l’œil, les dirigeants allemands l’ont endettée à hauteur de 270 % de son PIB (contre 83 % officiellement), rapporte aussi Handelsblatt dans un dossier intitulé « La Vérité ». Soit, en fait, un bon tiers de pire que la Grèce. Si les mêmes critères étaient appliqués à la Grèce qu’à l’Allemagne, sa dette publique ne serait pas de 186 % mais… de plus de 700 %, soit plus de sept années de production.

Le grand mensonge, le Lüge énorme, c’est qu’Angela Merkel a créé plus de dette, 500 milliards (+18 points en 4 ans), qu’au cours des quatre décennies précédentes. 7 000 milliards d’euros au total, soit un chèque sans provision à régler par les générations à venir, est un chiffre qui tient compte des déficits de protection sociale, de retraites, qu’une nation en déclin démographique devra supporter.

Bombe à retardement

Le Spiegel dénonce que l’Allemagne et la France ont violé les règlements qu’ils imposaient aux autres nations de la zone Euro. C’est ce qui a enclenché la « bombe à retardement ». Les dettes étaient cachées et les investissements nécessaires aux équipements collectifs, aux dépenses publiques qui n’étaient plus le fait des fonctionnaires mais de bureaux d’études, d’entreprises privées, ont été financés non plus sur les ressources (l’impôt des plus riches baissait constamment), non pas sur l’épargne des Européens (engloutie par les marchés financiers), mais par des emprunts sur les marchés mondiaux. L’argent des épargnants a été dilapidé, mais la dette reste.
Les banquiers, qui ont poussé sans cesse à l’emprunt, ont déversé des sommes folles qu’ils n’avaient pas vraiment mais qu’ils croient pouvoir récupérer sur les marchés mondiaux. Avec bien sûr, le parapluie des États… Les bénéfices, accordés d’abord aux dirigeants et aux actionnaires, ont fui vers les paradis fiscaux.
Tout a été aussi fait pour que les entreprises aient recours aux bourses, où les valeurs de leurs actions pouvaient atteindre dix, vingt, cent fois ou davantage celles de leurs actifs.

La France et l’Allemagne ont tout fait pour s’épargner les sanctions prévues par le traité de Maastricht en camouflant aussi leurs dettes respectives, donnant le feu vert à leurs voisins pour faire de même. Les gouvernements ont dépouillé Bruxelles de ses pouvoirs de sanction. Et de toute façon, à Bruxelles aussi, les mêmes, soient les groupes de pression financiers, étaient à la manœuvre.

Le Portugais José Manuel Barroso, donna, avec l’assentiment des gouvernements qui l’avaient placé à la tête de la Commission européenne, jusqu’à 2006 à la Grèce pour redresser ses comptes. Laquelle s’est livrée à ce qu’on appelle couramment de la cavalerie (emprunter pour rembourser).

Mais c’était très bon pour l’industrie allemande, qui vendait cash ce que les banques allemandes ou françaises accordaient, dans les pays européens, à crédit. Et si les banques françaises et allemandes accordaient des crédits à des pays sous-industrialisés, c’est que c’était profitable. Les banques non-européennes ont donc suivi… jusqu’à la crise des subprimes, et même au-delà : les États viendraient au secours de leurs banques.

Impunis

Mais il n’est bien sûr pas question d’encadrer vraiment le monde de la finance. Au contraire, il faut venir à son secours. Ce n’est pas ce qui se passe pour les propriétaires endettés en Espagne. La bulle immobilière, qui a profité aux banques et aux promoteurs, est suivie d’expulsions de plus en plus nombreuses : les acquéreurs ne peuvent pas rembourser. Oui, mais, qui les remplacera ? Les chômeurs plus fortunés ? Les banques et établissements de crédit font, sur le papier, de très bonnes affaires : les premiers versements perçus permettent de récupérer les intérêts, l’expulsion – théoriquement – de récupérer le capital. Mais que valent ces actifs, faute d’acquéreurs.

Pour soutenir les promoteurs et les industriels du bâtiment, on a aussi, en France, défiscalisé l’achat de logements neufs destinés à la location : y compris pour bâtir dans des zones géographiques où il n’y a pas (ou plus) de demande.

Tant que les États resteront non seulement les otages, mais les gardes du corps des marchés financiers, et continueront à répéter la vulgate que l’enrichissement des actionnaires et des dirigeants est la seule et incontournable condition du redressement, il n’y aura pas d’issue.

En 1995, à Davos, Hans Tietmeyer, de la Bundesbank, avait déclaré « les hommes politiques sont désormais sous le contrôle des marchés financiers. ». Dans ce même cénacle, en 2009, un industriel s’exclamait publiquement : « Dans tous les autres secteurs de l’économie, ceux qui fabriquent et distribuent des produits toxiques sont sévèrement punis et parfois mis en prison. Pourquoi cela n’est pas le cas dans la finance ? ». Oui, mais qui en décide ? Ceux qui contrôlent… pas les exécutants. Il y a au moins une chose de vrai dans la remarque sur Berluscuni, qui n’est pas tout à fait un exécutant, et dont la cupidité aura peut-être contribué à ruiner de très nombreuses Italiennes et Italiens, en creusant les déficits en tant que chef d’État et en les empochant en tant qu’industriel. C’est que la ruine n’est pas celle de ceux qui la provoquent. Ah, oui, au fait, c’est lui qui nommera, d’ici la fin de ce mois, son candidat au conseil supérieur de la Banque d’Italie. « Silvio, le problème, c’est toi… », lui aurait dit, selon La Repubblica, Giulio Tremonti, son ministre des Finances. Oh, lui ou un autre, fusse-t-il Tremonti, cela ne change guère la donne. Et en France, un Sarkozy peut en cacher un autre…