Par Dr. Papa A. Seck, Spécialiste en politique et stratégie
L’humanité est présentement face à une crise rizicole très aigue qui, à n’en point douter, constitue une menace sérieuse pour maintenir la paix sociale. A notre sens, Il ne s’agit nullement d’une surprise car vu le capital de connaissances accumulées par l’homme, il est difficile voir impossible de ne pas prévoir de tels phénomènes.
Le Centre du riz pour l’Afrique (ADRAO) a, depuis au moins 02 ans, prédit une crise rizicole en Afrique à partir de 2008. La dernière alerte date du Conseil des Ministres des Etats membres tenu à Abuja en septembre 2007. Au cours de cette importante rencontre, le Directeur général de l’ADRAO avait fait une présentation intitulée «Crise rizicole en Afrique, mythe ou réalité ?». Il en était clairement ressorti que notre continent va vers de réelles difficultés d’approvisionnement. En effet, l’Afrique couvre 10 à 13 % de la population mondiale mais absorbe 32% des importations mondiales, et connaît un taux de croissance de sa consommation d’environ 4,5% par an. S’y ajoute le fait que les stocks mondiaux sont au plus bas niveau depuis 25 ans, avec moins de 2 mois de réserve dont la moitié se trouve en Chine. Il convient aussi de souligner que des modèles économétriques avaient également estimé que les prix de 2008 seraient au moins le double de ceux de 2002.
Enfin, l’offre connaît un rétrécissement graduel. A titre d’exemple, un grand pays producteur comme la Chine a perdu 4 millions d’hectares en 10 ans et pourrait chercher 10 % de ses besoins sur les marchés internationaux, soit 35 % des quantités qui y sont commercialisées. C’est en fait l’équivalent de la part de l’Afrique actuellement.
Beaucoup d’initiatives ont été prises par la plupart des gouvernements africains. Mais force est de constater et de souligner, qu’à l’instar des autres parties du monde, rien n’a pu arrêter le phénomène.
La crise rizicole est structurelle, elle risque d’être longue et pénible car l’Asie est de moins en moins en mesure de nourrir le monde. Une analyse des 10 dernières années montre que la consommation mondiale augmente en moyenne de 1% par an et la productivité de 0,5 %. Par conséquent, cette crise serait l’effet cumulé de gaps enregistrés chaque année.
Nous avons une conviction : l’avenir de la riziculture se trouve en Afrique. Car ce continent, contrairement à l’Asie, a un potentiel immense non exploité repérable à travers ses vastes étendues de terres et ses ressources hydriques faiblement utilisées (Zambie, RDC, Sierra Leone, Mali, Sénégal, etc.). A titre illustratif, nous avons en Afrique au Sud du Sahara, 130 millions d’hectares de bas fonds dont 3,9 millions seulement sont en culture. Par contre en Asie, le pari n’est pas d’augmenter les superficies rizicoles mais plutôt de les maintenir. En outre, la compétitivité de la production du riz local en Afrique au Sud du Sahara est établie. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les rendements obtenus en Thaïlande et au Vietnam, et ceux du Sénégal, du Mali et du Niger. Les préjugés concernant notre compétitivité-coût et notre compétitivité-qualité sont au « musée des idées périmées». Les problèmes sont ailleurs.
Il faut une rupture : l’Afrique doit dépasser la logique de gestion des urgences au profit d’une véritable rationalisation de sa réflexion sur le devenir et engager des actions concrètes de relance. Sous ce rapport, cette crise est plutôt une opportunité pour réfléchir autrement et agir autrement en vue de nous nourrir sur une base endogène et durablement. Par conséquent, une seule question se pose : quels sont les problèmes et que faire ?
A court terme, les mesures prises par certains gouvernements africains relatives à l’allègement de la fiscalité et à certains mécanismes visant la transparence des marchés sont fondées. Cependant, celles-ci doivent être plus ciblées en faveur des pauvres. En outre, ils doivent engager sans délai, une réflexion et mettre en place des actions à moyen et long terme. Car de plus en plus, les équations vont se poser en termes de disponibilité de la ressource que son accessibilité.
Sous ce registre, les éléments suivants peuvent être avancés :
1. Augmenter significativement la part de la riziculture irriguée à haut rendement dans la production. Actuellement les superficies irriguées en Afrique représentent moins de 10% contre plus de 50% en Asie. La riziculture irriguée permet à la fois d’obtenir des rendements très élevés (de 3 a 4 fois plus élevés par rapport au pluvial) et de faire la double culture.
2. Promouvoir l’utilisation des variétés telles que les NERICA (variété obtenue par l’ADRAO grâce à un croisement entre le riz africain et le riz asiatique). Le NERICA permet une augmentation sensible des rendements dans certains écosystèmes, un cycle plus court (moins de 50 jours comparé aux variétés traditionnelles) et une valeur en protéine plus élevée de 25% par rapport au riz importé. Il y a aujourd’hui 18 variétés de NERICA développées pour les plateaux et 60 pour les bas fonds qui sont homologuées dans 20 pays africains. La simplification et l’accélération des procédures d’homologation de ces variétés par l’ adoption des méthodes participatives préconisées par l’ADRAO, mérite d’être retenue dans tous les pays d’Afrique pour réduire de plusieurs années le processus d’adoption.
3. Améliorer l’accès aux semences améliorées : La disponibilité des semences est l’une des contraintes majeures à l’utilisation réussie des variétés améliorées telles que les NERICA. Face à un tel problème, il faut, entre autres, les mesures suivantes : (i) adopter des lois standard sur les semences et définir des mécanismes efficaces de contrôle et de certification de semences, et assurer leur application. (ii) Mettre en place un système de législation semencière pour encourager l’implication du secteur privé dans l’approvisionnement et le commerce des semences. (iii) Renforcer les Systèmes nationaux de recherche agricole (SNRA) pour la production des semences de pré-base et de semences de base.
4. Améliorer les pratiques culturales : L’ADRAO et ses partenaires ont mis en évidence la possibilité d’augmenter les rendements en milieu paysan à travers une gestion intégrée de la campagne rizicole en proposant des alternatives allant de la préparation du terrain jusqu’à la récolte. Des gains de rendement d’une à deux tonnes par hectare ont été obtenus en système irrigué et en bas-fonds, sans augmentation significative des coûts de production ; les améliorations se trouvent surtout au niveau de la gestion de la fertilité et la lutte contre les mauvaises herbes.
5. Diminuer les Pertes à la récolte et post-récolte : les pertes au niveau de la récolte et post-récolte (en quantité et en qualité) représentent 15 à 50% de la valeur marchande de la production. Par conséquent, la mise à la disposition des acteurs d’équipement performant et leur formation est le point de passage obligé pour réduire les pertes et améliorer la qualité ainsi que l’établissement des liens entre les différents acteurs intervenant dans la chaîne de valeur rizicole.
6. Fortifier les systèmes de recherche et de vulgarisation et leurs liens: la mise en place d’une plate-forme des acteurs rizicoles, d’un fonds d’appui au programme national rizicole et de financements adéquats aux systèmes de recherche et de vulgarisation rizicoles, nous semblent des axes majeurs à considérer.
7. Massifier le soutien aux acteurs de la filière rizicole: il y a un dérèglement du commerce international. Jusqu’à une année récente, les 11 000 riziculteurs américains recevaient des subventions d’une valeur de 1,4 milliards de dollars par an. Par contre, les 7 millions de riziculteurs africains continuent de se battre dans un marché libéralisé sans aucune subvention et avec un accès limité au crédit, aux intrants et à l’information sur le marché.
En fait, il y a une évidence : les acteurs ruraux africains, comme tous les autres collègues du monde, ont besoin de soutien conséquent.
8. Améliorer notre infrastructure pour diminuer le coût élevé des intrants : d’une manière générale, les prix des engrais en Afrique sont 2 à 6 fois plus élevés que ceux d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord surtout liés aux coûts élevés des transports. Nous avons par conséquent, des limites objectives pour une intensification intelligente en vue de doper la productivité rizicole africaine.
Conclusion
L’Afrique doit comprendre qu’il lui faut assurer une offre rizicole suffisante en quantité, satisfaisante en qualité, rémunératrice pour les producteurs et supportable par le budget des consommateurs les plus pauvres. C’est à ce prix et à ce prix seulement qu’elle peut éviter d’être un « otage » des cours mondiaux. Il n’y a pas de secret, on construit une agriculture compétitive et durable grâce à une combinaison intelligente de 03 facteurs : Technologies performantes, infrastructure de base et environnement assaini. Oui c’est possible d’inverser les tendances mais à moyen terme.
destindelafrique.com -15 avril 2008
Par Dr. Papa A. Seck, Spécialiste en politique et stratégie
L’humanité est présentement face à une crise rizicole très aigue qui, à n’en point douter, constitue une menace sérieuse pour maintenir la paix sociale. A notre sens, Il ne s’agit nullement d’une surprise car vu le capital de connaissances accumulées par l’homme, il est difficile voir impossible de ne pas prévoir de tels phénomènes.
Le Centre du riz pour l’Afrique (ADRAO) a, depuis au moins 02 ans, prédit une crise rizicole en Afrique à partir de 2008. La dernière alerte date du Conseil des Ministres des Etats membres tenu à Abuja en septembre 2007. Au cours de cette importante rencontre, le Directeur général de l’ADRAO avait fait une présentation intitulée «Crise rizicole en Afrique, mythe ou réalité ?». Il en était clairement ressorti que notre continent va vers de réelles difficultés d’approvisionnement. En effet, l’Afrique couvre 10 à 13 % de la population mondiale mais absorbe 32% des importations mondiales, et connaît un taux de croissance de sa consommation d’environ 4,5% par an. S’y ajoute le fait que les stocks mondiaux sont au plus bas niveau depuis 25 ans, avec moins de 2 mois de réserve dont la moitié se trouve en Chine. Il convient aussi de souligner que des modèles économétriques avaient également estimé que les prix de 2008 seraient au moins le double de ceux de 2002.
Enfin, l’offre connaît un rétrécissement graduel. A titre d’exemple, un grand pays producteur comme la Chine a perdu 4 millions d’hectares en 10 ans et pourrait chercher 10 % de ses besoins sur les marchés internationaux, soit 35 % des quantités qui y sont commercialisées. C’est en fait l’équivalent de la part de l’Afrique actuellement.
Beaucoup d’initiatives ont été prises par la plupart des gouvernements africains. Mais force est de constater et de souligner, qu’à l’instar des autres parties du monde, rien n’a pu arrêter le phénomène.
La crise rizicole est structurelle, elle risque d’être longue et pénible car l’Asie est de moins en moins en mesure de nourrir le monde. Une analyse des 10 dernières années montre que la consommation mondiale augmente en moyenne de 1% par an et la productivité de 0,5 %. Par conséquent, cette crise serait l’effet cumulé de gaps enregistrés chaque année.
Nous avons une conviction : l’avenir de la riziculture se trouve en Afrique. Car ce continent, contrairement à l’Asie, a un potentiel immense non exploité repérable à travers ses vastes étendues de terres et ses ressources hydriques faiblement utilisées (Zambie, RDC, Sierra Leone, Mali, Sénégal, etc.). A titre illustratif, nous avons en Afrique au Sud du Sahara, 130 millions d’hectares de bas fonds dont 3,9 millions seulement sont en culture. Par contre en Asie, le pari n’est pas d’augmenter les superficies rizicoles mais plutôt de les maintenir. En outre, la compétitivité de la production du riz local en Afrique au Sud du Sahara est établie. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les rendements obtenus en Thaïlande et au Vietnam, et ceux du Sénégal, du Mali et du Niger. Les préjugés concernant notre compétitivité-coût et notre compétitivité-qualité sont au « musée des idées périmées». Les problèmes sont ailleurs.
Il faut une rupture : l’Afrique doit dépasser la logique de gestion des urgences au profit d’une véritable rationalisation de sa réflexion sur le devenir et engager des actions concrètes de relance. Sous ce rapport, cette crise est plutôt une opportunité pour réfléchir autrement et agir autrement en vue de nous nourrir sur une base endogène et durablement. Par conséquent, une seule question se pose : quels sont les problèmes et que faire ?
A court terme, les mesures prises par certains gouvernements africains relatives à l’allègement de la fiscalité et à certains mécanismes visant la transparence des marchés sont fondées. Cependant, celles-ci doivent être plus ciblées en faveur des pauvres. En outre, ils doivent engager sans délai, une réflexion et mettre en place des actions à moyen et long terme. Car de plus en plus, les équations vont se poser en termes de disponibilité de la ressource que son accessibilité.
Sous ce registre, les éléments suivants peuvent être avancés :
1. Augmenter significativement la part de la riziculture irriguée à haut rendement dans la production. Actuellement les superficies irriguées en Afrique représentent moins de 10% contre plus de 50% en Asie. La riziculture irriguée permet à la fois d’obtenir des rendements très élevés (de 3 a 4 fois plus élevés par rapport au pluvial) et de faire la double culture.
2. Promouvoir l’utilisation des variétés telles que les NERICA (variété obtenue par l’ADRAO grâce à un croisement entre le riz africain et le riz asiatique). Le NERICA permet une augmentation sensible des rendements dans certains écosystèmes, un cycle plus court (moins de 50 jours comparé aux variétés traditionnelles) et une valeur en protéine plus élevée de 25% par rapport au riz importé. Il y a aujourd’hui 18 variétés de NERICA développées pour les plateaux et 60 pour les bas fonds qui sont homologuées dans 20 pays africains. La simplification et l’accélération des procédures d’homologation de ces variétés par l’ adoption des méthodes participatives préconisées par l’ADRAO, mérite d’être retenue dans tous les pays d’Afrique pour réduire de plusieurs années le processus d’adoption.
3. Améliorer l’accès aux semences améliorées : La disponibilité des semences est l’une des contraintes majeures à l’utilisation réussie des variétés améliorées telles que les NERICA. Face à un tel problème, il faut, entre autres, les mesures suivantes : (i) adopter des lois standard sur les semences et définir des mécanismes efficaces de contrôle et de certification de semences, et assurer leur application. (ii) Mettre en place un système de législation semencière pour encourager l’implication du secteur privé dans l’approvisionnement et le commerce des semences. (iii) Renforcer les Systèmes nationaux de recherche agricole (SNRA) pour la production des semences de pré-base et de semences de base.
4. Améliorer les pratiques culturales : L’ADRAO et ses partenaires ont mis en évidence la possibilité d’augmenter les rendements en milieu paysan à travers une gestion intégrée de la campagne rizicole en proposant des alternatives allant de la préparation du terrain jusqu’à la récolte. Des gains de rendement d’une à deux tonnes par hectare ont été obtenus en système irrigué et en bas-fonds, sans augmentation significative des coûts de production ; les améliorations se trouvent surtout au niveau de la gestion de la fertilité et la lutte contre les mauvaises herbes.
5. Diminuer les Pertes à la récolte et post-récolte : les pertes au niveau de la récolte et post-récolte (en quantité et en qualité) représentent 15 à 50% de la valeur marchande de la production. Par conséquent, la mise à la disposition des acteurs d’équipement performant et leur formation est le point de passage obligé pour réduire les pertes et améliorer la qualité ainsi que l’établissement des liens entre les différents acteurs intervenant dans la chaîne de valeur rizicole.
6. Fortifier les systèmes de recherche et de vulgarisation et leurs liens: la mise en place d’une plate-forme des acteurs rizicoles, d’un fonds d’appui au programme national rizicole et de financements adéquats aux systèmes de recherche et de vulgarisation rizicoles, nous semblent des axes majeurs à considérer.
7. Massifier le soutien aux acteurs de la filière rizicole: il y a un dérèglement du commerce international. Jusqu’à une année récente, les 11 000 riziculteurs américains recevaient des subventions d’une valeur de 1,4 milliards de dollars par an. Par contre, les 7 millions de riziculteurs africains continuent de se battre dans un marché libéralisé sans aucune subvention et avec un accès limité au crédit, aux intrants et à l’information sur le marché.
En fait, il y a une évidence : les acteurs ruraux africains, comme tous les autres collègues du monde, ont besoin de soutien conséquent.
8. Améliorer notre infrastructure pour diminuer le coût élevé des intrants : d’une manière générale, les prix des engrais en Afrique sont 2 à 6 fois plus élevés que ceux d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord surtout liés aux coûts élevés des transports. Nous avons par conséquent, des limites objectives pour une intensification intelligente en vue de doper la productivité rizicole africaine.
Conclusion
L’Afrique doit comprendre qu’il lui faut assurer une offre rizicole suffisante en quantité, satisfaisante en qualité, rémunératrice pour les producteurs et supportable par le budget des consommateurs les plus pauvres. C’est à ce prix et à ce prix seulement qu’elle peut éviter d’être un « otage » des cours mondiaux. Il n’y a pas de secret, on construit une agriculture compétitive et durable grâce à une combinaison intelligente de 03 facteurs : Technologies performantes, infrastructure de base et environnement assaini. Oui c’est possible d’inverser les tendances mais à moyen terme.
destindelafrique.com -15 avril 2008
Lire la suite : http://tunisiawatch.rsfblog.org/archive/2008/04/16/crise-alimentaire-la-solution-en-afrique.html.
faites un résumer s.v.p ;D