par Hervé Gattegno

 

Officiellement, la réconciliation franco-ivoirienne est en marche. « Le plus dur de la crise est derrière nous », a lancé Bernard Kouchner au terme de sa visite à Abidjan les 14 et 15 juin-la première d’un dignitaire français auprès du président Gbagbo depuis quatre ans. Officieusement, bien des incertitudes entourent toujours le déclenchement des troubles de novembre 2004, quand le bombardement d’un camp militaire français à Bouaké par l’aviation ivoirienne tua 9 soldats et provoqua une escalade de violence.

Dans le secret de son enquête, la juge du tribunal aux armées Florence Michon a recueilli, le 20 février, une déposition édifiante : l’audition du général Henri Poncet, dont la teneur-jusqu’ici inédite-corrige les premières impressions sur les responsabilités du raid de 2004. Ancien commandant du détachement français de l’opération Licorne (10 000 soldats sous mandat de l’Onu), le général a relativisé l’implication du président ivoirien et de son entourage : « J’ai le sentiment qu’il y a eu une désorganisation totale de l’état-major à Yamoussoukro, a-t-il dit. Je pense que Laurent Gbagbo n’était pas au courant non plus. Je pense qu’il a pris le train en route et qu’il l’a fait parce qu’il est un chef bété et que, dans la culture bété, le chef assume ce que fait son clan. »

Depuis son ouverture, l’enquête judiciaire avait nettement privilégié la thèse d’un coup monté au plus haut niveau du régime pour chasser les Français hors du pays. Le 6 novembre 2004, deux avions Sukhoi de l’armée ivoirienne avaient effectué un raid meurtrier sur une position française, dans des circonstances qu’un rapport du commissaire-commandant de l’opération Licorne avait estimées « imputables à l’Etat ivoirien ». Or, devant la juge, le général Poncet a mis en cause, lui, une « chaîne parallèle » de commandement qui aurait débordé le président ivoirien.

« Le président Gbagbo, raconte-t-il, ne nous avait pas caché, à l’ambassadeur et à moi-même, qu’il allait y avoir une offensive. Compte tenu de tous les signes annonciateurs d’une reprise de la guerre, nous sommes allés en effet tous les deux voir le président Gbagbo pour essayer de l’en dissuader, en lui faisant valoir les risques qu’il prenait vis-à-vis de la communauté internationale en agissant de la sorte. Le président Gbagbo nous avait répondu en substance : « Je ne peux plus les tenir. » Le « les » visait ses militaires. » L’officier supérieur a même relaté à la juge que « deux ou trois jours » avant l’attaque un haut responsable de l’armée ivoirienne « avait fait passer le message qu’il fallait que nous nous tenions à l’écart si nous voulions qu’il n’arrive rien à nos ressortissants à Abidjan ». Un autre soldat ivoirien de haut rang, dit-il, lui avait aussi « lâché le morceau en [lui] disant qu’il n’avait aucune autorité sur la force aérienne ».

Une opération séditieuse

Ces nouvelles déclarations du général Poncet (deux ans et demi après sa première audition) accréditent donc l’hypothèse d’une opération séditieuse destinée à enflammer la situation du pays-et qui aurait visé au renversement de Gbagbo. Elles laissent dans l’ombre un autre point crucial de l’enquête : les arrestations de mercenaires ukrainiens, russes et biélorusses, le 7 novembre (lendemain du raid) à l’aéroport d’Abidjan, puis le 9 novembre à la frontière du Togo. La juge a établi que les pilotes du raid comptaient parmi ces supects, mais qu’ils furent vite relâchés.

« Je n’avais pas du tout envie de lâcher ces personnes », a assuré le général, précisant avoir « reçu très vite l’ordre de les libérer » -sans dire précisément de qui. « J’ai dit que je ne comprenais pas cette décision et on m’a répondu : tu exécutes », a-t-il simplement ajouté. L’enquête montre que l’interpellation à la frontière togolaise fut signalée aux services secrets français et au ministère de l’intérieur, mais là aussi en vain. Convoqué comme témoin le 7 février dans la plus grande discrétion, Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur au moment des faits, a certifié qu’ « à aucun moment [son] cabinet n’avait été saisi de ce dossier ». Et le rapport de synthèse de l’ambassadeur que réclame la juge reste inaccessible : suivant l’avis négatif de la commission compétente, Bernard Kouchner a refusé de lever le secret-défense. Même pour la réconciliation franco-ivoirienne, toutes les vérités ne sont peut-être pas bonnes à dire…

source : lepoint.fr
enquête vidéo sur les évènements de Bouaké de novembre 2004

 par Hervé Gattegno

 

Officiellement, la réconciliation franco-ivoirienne est en marche. « Le plus dur de la crise est derrière nous », a lancé Bernard Kouchner au terme de sa visite à Abidjan les 14 et 15 juin-la première d’un dignitaire français auprès du président Gbagbo depuis quatre ans. Officieusement, bien des incertitudes entourent toujours le déclenchement des troubles de novembre 2004, quand le bombardement d’un camp militaire français à Bouaké par l’aviation ivoirienne tua 9 soldats et provoqua une escalade de violence.

Dans le secret de son enquête, la juge du tribunal aux armées Florence Michon a recueilli, le 20 février, une déposition édifiante : l’audition du général Henri Poncet, dont la teneur-jusqu’ici inédite-corrige les premières impressions sur les responsabilités du raid de 2004. Ancien commandant du détachement français de l’opération Licorne (10 000 soldats sous mandat de l’Onu), le général a relativisé l’implication du président ivoirien et de son entourage : « J’ai le sentiment qu’il y a eu une désorganisation totale de l’état-major à Yamoussoukro, a-t-il dit. Je pense que Laurent Gbagbo n’était pas au courant non plus. Je pense qu’il a pris le train en route et qu’il l’a fait parce qu’il est un chef bété et que, dans la culture bété, le chef assume ce que fait son clan. »

Depuis son ouverture, l’enquête judiciaire avait nettement privilégié la thèse d’un coup monté au plus haut niveau du régime pour chasser les Français hors du pays. Le 6 novembre 2004, deux avions Sukhoi de l’armée ivoirienne avaient effectué un raid meurtrier sur une position française, dans des circonstances qu’un rapport du commissaire-commandant de l’opération Licorne avait estimées « imputables à l’Etat ivoirien ». Or, devant la juge, le général Poncet a mis en cause, lui, une « chaîne parallèle » de commandement qui aurait débordé le président ivoirien.

« Le président Gbagbo, raconte-t-il, ne nous avait pas caché, à l’ambassadeur et à moi-même, qu’il allait y avoir une offensive. Compte tenu de tous les signes annonciateurs d’une reprise de la guerre, nous sommes allés en effet tous les deux voir le président Gbagbo pour essayer de l’en dissuader, en lui faisant valoir les risques qu’il prenait vis-à-vis de la communauté internationale en agissant de la sorte. Le président Gbagbo nous avait répondu en substance : « Je ne peux plus les tenir. » Le « les » visait ses militaires. » L’officier supérieur a même relaté à la juge que « deux ou trois jours » avant l’attaque un haut responsable de l’armée ivoirienne « avait fait passer le message qu’il fallait que nous nous tenions à l’écart si nous voulions qu’il n’arrive rien à nos ressortissants à Abidjan ». Un autre soldat ivoirien de haut rang, dit-il, lui avait aussi « lâché le morceau en [lui] disant qu’il n’avait aucune autorité sur la force aérienne ».

Une opération séditieuse

Ces nouvelles déclarations du général Poncet (deux ans et demi après sa première audition) accréditent donc l’hypothèse d’une opération séditieuse destinée à enflammer la situation du pays-et qui aurait visé au renversement de Gbagbo. Elles laissent dans l’ombre un autre point crucial de l’enquête : les arrestations de mercenaires ukrainiens, russes et biélorusses, le 7 novembre (lendemain du raid) à l’aéroport d’Abidjan, puis le 9 novembre à la frontière du Togo. La juge a établi que les pilotes du raid comptaient parmi ces supects, mais qu’ils furent vite relâchés.

« Je n’avais pas du tout envie de lâcher ces personnes », a assuré le général, précisant avoir « reçu très vite l’ordre de les libérer » -sans dire précisément de qui. « J’ai dit que je ne comprenais pas cette décision et on m’a répondu : tu exécutes », a-t-il simplement ajouté. L’enquête montre que l’interpellation à la frontière togolaise fut signalée aux services secrets français et au ministère de l’intérieur, mais là aussi en vain. Convoqué comme témoin le 7 février dans la plus grande discrétion, Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur au moment des faits, a certifié qu’ « à aucun moment [son] cabinet n’avait été saisi de ce dossier ». Et le rapport de synthèse de l’ambassadeur que réclame la juge reste inaccessible : suivant l’avis négatif de la commission compétente, Bernard Kouchner a refusé de lever le secret-défense. Même pour la réconciliation franco-ivoirienne, toutes les vérités ne sont peut-être pas bonnes à dire…

source : lepoint.fr
enquête vidéo sur les évènements de Bouaké de novembre 2004

Lire la suite : http://tunisiawatch.rsfblog.org/archive/2008/06/21/cote-d-ivoire-novembre-2004-les-revelations-du-general-ponce.html.