Le quotidien El Pais se voit de fait accusé de faux et usage de faux par l’ancien trésorier du Parti populaire espagnol, Luis Barcenas, qui a déclaré que la comptabilité parallèle publiée par le quotidien relevait d’une « manipulation ». Tout est faux, a répété Mariano Rajoy, qui se trouvait aux côtés de la chancelière Merkel à Berlin. Non, il n’aurait pas touché de compléments occultes de revenus… Le Parti populaire va saisir la justice pour contrer toutes les affirmations de la presse. L’opinion publique reste toutefois très sceptique et le terme de « populaire » entre guillemets est de plus en plus employé tel.

Devant les caméras d’Antena 3, ce lundi, l’ancien trésorier du Parti populaire espagnol a démenti toute existence d’une comptabilité parallèle de sa formation.

Il n’y a pas eu de comptes secrets, tout est une manipulation grossière de la part de la presse (El Mundo et El Pais avaient publié des articles selon lesquels les caciques du parti recevaient des allocations occultes régulières en espèces).
Luis Barcenas prépare une action judiciaire en nom propre tandis que le porte-parole de son parti a indiqué que toutes les personnes ayant véhiculé les informations parues dans la presse feraient l’objet de poursuites judiciaires, Luis Barcenas inclus.

Contradictions

La position du Parti populaire serait mieux reçue si, dans une affaire antérieure, le cas Gürtel, qui implique le financement occulte de l’ancien maire de Pozuelo et ancien époux de la ministre de la Santé, Ana Mato, il n’apparaissait pas à présent que ce dernier, Jesus Sepulvedra aurait continué d’être rétribué par « la Génova » (le siège national du PP, rue de Genève, la bien nommée, à Madrid).

Par ailleurs, un élu du PP, dont un établissement privé avait été victime d’un attentat de l’ETA, a bien admis avoir reçu, en sus des indemnités des assurances, des fonds en liquide pour reconstruire ses biens immobiliers. Ses déclarations ont été suivies d’autres, concordantes, hier, lundi.

Diverses accusations de malversations touchent pratiquement tous les partis espagnols. Le PP accuse évidemment le PSOE. Côté CiU, c’est notamment le maire de Lioret de Mar, Xavier Crespo qui est sur la sellette. Oriol Pujol Ferrusola (CiU-CDC) est de même visé par une enquête judiciaire.

Mais dans les démentis, Luis Barcenas est le plus pugnace. Selon lui, ce qu’a publié El  Pais est un faux qui n’a « jamais existé » (si ce n’est du fait d’une falsification). Il demande des expertises graphologiques ou autres pour l’établir. Il vise « ceux qui veulent parvenir au pouvoir » et qui auraient opéré un « montage ».

El Pais laisse ouverte l’hypothèse que Barcenas pourrait « avoir inventé ces carnets pour détourner des fonds à son profit ». Les documents mêleraient « le faux et le vrai ». Dans son édition à paraître ce mardi, le quotidien déballe tout.

Maria Dolores de Copedal, secrétaire générale du PP, a considéré que les carnets de l’ex-trésorier de son parti révélaient des « demi-vérités ». Semi, hémi-vérités ? Des données seraient fausses, d’autres réelles, mais l’existence d’un compte en Suisse n’est plus vraiment réfutée. Barcenas indique que ce compte lui servait pour des opérations boursières totalement étrangères à la gestion du PP.

Barcenas réfute tout versement en numéraire ou liquidités aux caciques du Parti « populaire », comme une partie de la presse le qualifie aujourd’hui. 

L’ancien président du PP, José Maria Aznar, en a appelé à « la responsabilité et au patriotisme ». 

Selon El Pais, Barcenas aurait récolté auprès de Constructora Hispanica (pour le contrat des lignes AVE, du TGV hispanique) un « don » de 600 000 euros dont seulement moins du quart, 144 000 euros, auraient été reversés au PP. En fait, un million d’euros seraient sortis des caisses de Constructora Hispanica en billets de 500 euros.

D’autres sociétés, dont Tedesul, auraient, elles, bénéficié d’arrangements fiscaux. La presse internationale, en particulier la financière, dont le Financial Times ou The Economist, considèrent critique la position du gouvernement.

La cellule anticorruption a exigé du ministère du Budget tous les comptes fiscaux du PP depuis 13 ans. Un ancien député, Jorge Trias, a déclaré avoir visualisé les comptes de Barcenas. En fait, le PP était l’objet d’une enquête depuis le 24 janvier dernier. Une douzaine de caciques du PP ont confirmé avoir reçu les sommes portés sur les carnets de l’ancien trésorier du parti. Selon Jorge Trias-Sagnier, divers dirigeants du PP recevaient 10 000 euros mensuellement de la part de la trésorerie du parti. Mais la majorité n’aurait rien perçu. Certaines enveloppes étaient censées couvrir le manque à gagner de professionnels (dont des médecins, comme Jérôme Cahuzac en France) qui auraient perdu de l’argent en se consacrant à des activités politiques.

L’affaire a réconcilié, au sein du PSOE, Alfredo Pérez Rubalcaba et José Antonio Griñan, qui dirige le parti d’opposition en Andalousie. Ils demandent la démission du gouvernement.

L’affaire espagnole évoque fort celle, française, de Clearstream II et de ses listings : certaines données ont pu être inventées, mais les réelles n’ont donné lieu à rien, à aucune suite judiciaire. Or, en l’occurrence, en Espagne, il y en a qui ne sont pas contestées. 

D’heure en heure, un pétition en ligne qui avait recueilli plus de 700 000 signatures exigeant la démission du gouvernement se gonfle d’apports nouveaux : il y aurait, ce lundi soir, plus de 900 000 pétitionnaires. Le million sera sans doute atteint ce mardi matin. « Les élites politiques et entrepreneuriales dépècent notre pays », résume le texte de la pétition. Toute ressemblance avec un pays voisin relèverait bien évidemment de la fiction ou serait totalement fortuite…

Tout comme, en France, Mediapart, El Pais ou El Mundo se refusent à divulguer leur(s) source(s). Mais dans le cas espagnol, il est largement supputé que des membres de la fonction publique pourraient être à l’origine de ces révélations, rompant avec un long silence contraint et forcé.

Mariano Rajoy a déclaré, dans un premier temps, que tout était faux, puis dans un second que tout était faux hormis diverses choses. Eh bien, qu’il dise comment départager le vrai du faux. L’opposition réclame une réunion plénière du parlement espagnol. Pour le moment, c’est la politique de la marmota (marmotte, ou plutôt autruche, avestruz) comme l’estime Francisco Garcia, de La Opinion de Tenerife. C’est aussi celle d’Angela Merkel : tout peut continuer en Espagne, du moment que les intérêts allemands (ou ceux du complexe industrio-financier germanique) sont préservés.

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