On était en décembre je crois, car dehors il  neigeait. J’ avais 22 ou 23 ans. J’ étais passé voir le "pote d’ un pote" venu pour acheter un peu d’ herbe. Il m’ avait demandé de l’ attendre, alors je m’ étais assis là, un peu à l’ écart, au milieu de nulle part.
Le pièce était sombre et enfumée. Deux ou trois fois on m’ avait fait signe, et j’ avais répondu par un hochement de tête. Je n’ avais pas vraiment peur, l’ endroit était calme. Quelques chuchotements, une musique lointaine. Des petits groupes de personnes remplissaient l’ immense rectangle de béton, dans un mélange d’ odeurs étranges. Comme je n’ osais pas engager la conversation, il était venu à ma rencontre. Appelons-le Bebert.

"Je suis un junkie man, et alors?! Je ne vais pas te sauter dessus ! Ma mère a moi se défonçait au Prozac, crois-moi elle aurait mieux fait de choisir l’ héro!".
Il avait les yeux brouillés et la bouche pâteuse. Comme je lui avais serrer la main sans hésiter, il avait commencé a parler.
 
"J’ ai fumé ma première clope à 12 ans!…bah pour faire le malin, comme tous les gosses du collège…".
Avoir 12 ans dans les années 80. C’ était différent. "Aujourd’ hui c’ est plus facile de trouver de la cocaîne que du shit, et puis les mecs ne respectent plus rien! Ils vendent n’ importe quoi à n’ importe qui…".
La cocaïne, la drogue du jeune fils à papa américain à déborder des frontières des états-unis et de son marché saturé pour gagner l’ Europe depuis les années 2000.
C’ est un fait.
 
"J’ ai fumé mon premier join vers 15 ou 16 ans. A l’ époque, t’ avait ceux qui picolaient en écoutant les Bérus ", ( Berruriers noirs, groupe punk français ), "et ceux qui fumaient du shit en écoutant Thiéfaine. J’ ai commencé à monter à Mass" ( Masstricht, ville hollandaise où les drogues sont en vente libre )," histoire de fumer du bon matos et de le payer moins cher. J’ ai dealé un peu pour mes potes. C’ était cool. A l’ époque on dégueulait grave sur les toxicos, On les insultait mec!
Et puis je me suis fais chopper. J’ ai fais un peu de zonzon. Ma mère m’ a viré. Alors j’ ai zoné un peu, sans tunes. Et un soir, je suis tombé en face d’ un type qui se préparait un shoot ( héroïne en intraveineuse ), je l’ ai regarder partir. Quand il est revenu à lui, j’ ai tendu mon bras. Voilà, comment je suis tombé dans l’ héro. Comme un con…

Bon avant ça j’ ai essayé pas mal de truc, du lsd à l’ extasy. Pendant les années 90, début des raves party, c’ était facile. Tu passais la frontière (Belgique), t’ en achetais 90, t’ en vendais 60 pour rentrer dans tes tunes et t’ en bouffait 30 durant le week-end. Les videurs laissaient faire, tu parles, les boites de nuit étaient pleines à craquer. C’ est là je me suis mis avec une meuf qui délirait pas mal aussi. On a eu un môme. Mais j’ ai préféré me tirer. Tu me vois moi, en papa ! (rires).
Je suis monté sur Paname", (Paris)," j’ ai rencontré des blackos qui fumaient de la C.C ( Cocaïne ), là c’ était le pied. La cocaïne, quand tu la découvres, tu revis…
Mais quand t’ as la gueule dans la dure, le bonheur ne dure jamais longtemps.Les mecs sont cinglés, ils se baladent avec des guns et des couteaux, et te font la peau pour une dose.
Alors j’ ai bougé sur Marseille. C’ est là que j’ ai rencontré Maruis, et que j’ ai pris mon premier fix" ( héroine, intraveineuse )." L’ héro, c’ est le voyage intégrale, mais tout en douceur, avec le crac, tu deviens dingue. L’ héro ça t’ accroche pour de bon. Y a plus rien qui compte après ça. Et puis les mecs peuvent dire ce qu’ ils veulent, y en a pas beaucoup qui s’ en sortent. Y a ceux qui tournent à la méta "( méthadone, produit de substitution à l’ héroïne )" sponsorisé par l’ état. L’ ennui quand t’ es dans l’ héro, c’ est que tout le monde te lâche. tes seuls amis, ta famille, c’ est tous des toxicos.
Bien sur y a ceux qui disent qu’ ils vont bientôt s’ arrêter", sourire édenté, " moi j’ ai laissé tombé de laissé tomber, c’ est trop dur, physiquement et mentalement. Et puis, les flics ont beau dire que les drogués sont des délinquants. La vérité, c’ est que dans la drogue, tu trouves le plaisir facilement. Et quel pied! Y a rien qui s’ en rapproche, même pas le sexe. Un shoot d’ héro, une fumée de C.C, c’ est un orgasme multiplié par 1000!"
Je sens qu’ on me tape sur l’ épaule, c’ est mon ami qui me fait signe qu’ on doit partir.
Je relève la tête, une demi-heure s’ est écoulée. Tout autour de moi, je vois des dizaines de Bebert assis ou allongés, attendant leur tour, sans réactions. Je fais un signe de la tête, et nous quittons les lieux.
Mon ami s’ excuse de m’ avoir entrainé là-dedans, mais qu’ il n’ avait pas le choix, qu’ il avait déjà filer son argent à un dealer. Je lui répond qu’ il n’ y a rien de grave, que j’ ai simplement écouté l’ histoire banale d’ un type pas banal.