Màj : le conte légèrement modifié est disponible ici : http://0z.fr/uDqQu

 

Pourquoi ne pas tenter pour enrichir cette rubrique, de reprendre un conte ancien mais remis aux goûts du jour afin de s’adapter aux habitudes des jeunes?

Voici donc Le Blop, qui n’est autre que la version remaniée (et parodiée, située dans l’univers de Dofus) du célèbre conte Le Crapaud, et si succès il y a d’autres suivront.

 

Le Blop  

(inspiré du conte Le Crapaud)

(une histoire du Marais version Dofus)

     

Non loin du village d’Amakna vivait un paysan aisé qui avait plusieurs hectares de terre, une centaine de dragodindes et une belle basse-cour pleine de tofus. Cet heureux homme, Iop de son état, possédait également un autre trésor : 3 jolies jeunes filles plus charmantes que n’importe quelle fille Sram.

Elle était si belles que leur père ne manquait jamais de main-d’œuvre : tous les jeunes aventuriers des environs se précipitaient pour pouvoir ensuite, une fois le travail terminé, bavarder et danser avec les filles du maître. Chacun tentait de rivaliser de force, d’adresse et d’agilité afin de se faire remarquer lors de duels en tout genre. Même Kuri ne faisait pas autant tourner les têtes des jeunes hommes !

 

Un jour, leur père lança un appel pour arracher des orchidées freyesques qui couvraient une plaine près d’un marais. Tout le monde redoubla d’ardeur et de sorts pour mener son travail tambour battant sauf qu’il resta au milieu d’un champ un bosquet d’orchidées, pourtant pas plus gros que les autres, qu’aucun jeune homme n’était arrivé à déterrer.

Quand tout ce petit monde rentra souper à la taverne d’Amakna, personne n’osait avouer au Iop, craignant sa colère, ce qui s’était passé. Cependant, un perfide Xélor qui n’avait pas pu participer (et donc pouvoir se faire remarquer des 3 belles) vendit la mèche et les autres furent bien obligés de tout avouer.

Un S acrieur tenta de s’expliquer :

« Chaque fois qu’on tirait dessus, c’était comme si quelque dragoeuf tirait par l’autre bout pour les laisser en place ! Même la déesse Sacrieuse n’a pas pu me prêtez assez de force pour arracher ces maudites orchidées ! ».

Le Iop partit d’un grand rire :

« Vous les jeunes alors, ce que vous n’allez pas inventer ! Et pourquoi pas mêler Djaul à tout ça ? Jeunes mais incapables de détruire quelques petites orchidées. Bouftons ! »

Il voulu alors constater sur place et quand il aperçut ces fleurs toutes seules au milieu de la plaine, il cria :

« C’est quoi ce travail ? Ca fait désordre tout ça ! Regardez les jeunes ce qu’un vieux Iop peut faire ! »

 

Il s’empara des orchidées et tira, tira, et tira encore de toutes ses forces mais rien. Le Iop vit alors rouge et, de rage, se remit à tirer avec encore plus d’ardeur. Il devint tout rouge, au risque d’exploser le peu de neurones qui lui restait, mais peu importe. Il devait y arriver !

Il tira avec tant d’énergie (certaines vilaines langues disent que c’est grâce à la colère du Iop) que d’un coup, les orchidées cédèrent et notre vieux Iop se retrouva les 4 fers en l’air.

 

Voici donc une galerie d’images du conte:

La ferme, le mari, Prim’ Oeuvair, la rivale et la vieille énutrof (cliquer pour agrandir)

 

 

A l’endroit où se trouvaient les fleurs, il y avait un trou profond de 2 corbacs avec un affreux blop à l’intérieur.

« Hein ? Beuargh ! » fit le vieil homme, « C’est quand même pas ce truc qui tenait les racines ? La honte, maté par un blop crasseux ! »

– Bili blibilili bilibli. Bilbilibili. Bi Bibibi blililib.*

                * traduction : Oui c’est moi. Et tu vas regretter ton geste ! T’as 3 filles à ce qu’il paraît, et pas des plus moches d’après ce que j’ai pu entendre. File-m’en une en mariage sinon tu finiras dans le ventre d’un glouto !

– Hu ? C’est quoi ces piaillements ? J’avais pris la langue blop en option au lycée, alors pas si vite !

– Bili blibilili bilibli. Bilbilibili. Bi Bibibi blililib, répéta le blop plus lentement.

– Ah cette fois j’ai compris ! Mais, heu ! Ah, oh non ! Pitié ! j’veux dire : pas dans l’ventre d’un gloutoblop c’est ignoble !

– Bi libibil libililib ibili !*

               * C’est pas mon problème ! Si dans 15 jours tu ne m’a pas donné une de tes allumeuses, tu s’ras bouffé !

– Si dans 15 jours je ne t’ai pas donné à bouffé, j’me f’rai allumer ? Et mes filles dans tout ça ?

– Lil blibilibil !*

               * T’as rien compris écoute bien je répète !

 

Le Iop repartit alors tout triste dans sa ferme où la fête venait de commencer, comme à chaque veillée. Les jeunes riaient et dansaient, ce qui le rendait encore plus triste. Il comptait bien demander à ses filles si elles voulaient épouser un blop, mais il connaissait déjà la réponse. Et comme il n’avait aucune autorité sur ses filles il ne pouvait pas en obliger une à se sacrifier.

 

Pendant tout le repas il rumina ses idées noires et ne dit rien. Pas un traître mot. Les autres pensèrent : « après tout, ce n’est qu’un Iop… » et n’y prêtèrent pas attention.

 

Après la fête, il se retrouva seul avec ses filles et leur dit :

«  Mes filles, j’ai reçu une demande en mariage qui vous concerne.

– Pas fou le vieux ? Tu ne vas pas nous marier toutes les 3 quand même ?

– Mais non, juste une. Celle qui voudra bien, le futur mari s’en moque, il sait que vous êtes toutes les 3 très charmantes.

– C’est qui d’abord ? Un vieux pervers d’Enutrof ? Un Sadida coincé ? Un Eniripsa complexé de ce qu’il a de petit ?

– J’en sais rien moi ! Pas facile de lui donner un âge en le voyant !

– Il est mignon ?

– Tu sais, moi, les hommes… chacun ses goûts !

– Il est riche et cultivé ?

– Il cultive beaucoup si l’on puis dire… mais j’ai pas beaucoup discuté avec lui pour en savoir plus, tu sais je préfère les tête-à-tête plus virils !

– Laissez tomber les filles c’est un loser !

– Bon me saoulez pas les gamines ! On s’en fout comment il est ! Si l’une de vous ne l’épouse pas alors un gloutoblop me bouffera ! Vous avez 15 jours pour vous décider. Au fait, c’est un blop….

– Un blop ? T’as encore abusé de la bière Bwork toi ! Ou alors c’est Al Zaiyemeur qui te frappe !

– Comment tu parles à ton père ! Prends ça ! »

Et vlan, le vieux Iop colla une claque à son aînée. Non mais, on voit bien que ce n’est pas elle qui va se faire bouffer !

 

Les 3 sœurs, même si elles aimaient leur père, ne se voyaient pas épouser un blop ridicule. Alors leur père se mit à pleurer nuit et jour pendant une semaine. Il comptait les jours qu’il lui restait à vivre.

 

Plus que huit, sept, six, quatre, neuf…

Arrivé on ne sait comment à trois, Prim’ Oeuvair la plus jeune de ses filles finit par craquer et dit :

«  Que les 12 dieux nous aient en miséricorde. C’est trop la honte un père qui pleure comme une Eniripsa ! Autant épouser le blop, car maintenant aucun garçon ne veut de moi. »

Son père était soulagé.

« Brave fille, ton sacrifice nous fait honneur ! Quand les autres sauront ça nous remonterons dans leur estime et je pourrai marier tes sœurs ! »

 

Puis il est allé trouver le blop :

« Et toi, l’affeux blop, Prim’ Oeuvair, la plus jeune de mes filles, va t’épouser.

– Ibillib bliliblibil. Ilil. Bili bili libi.*

                      * Qu’elle vienne demain à midi au bord de mon trou que je vois comment elle est. Il y a aussi un mariage à préparer.

– Qu’elle baigne le bord de son trou demain à midi pour voir comment ça fait ? Il y a aussi du un mât et du riz à préparer ? Pas tout compris là mais si c’est ce que tu veux !

Heureusement, le blop avait pris l’habitude de se répéter pour que le Iop comprenne bien.

 

Le lendemain, à l’heure convenue, Prim’Oeuvair se rendit au bord du trou et se pencha pour contempler son futur époux. Il ne ressemble à rien ! Il est couvert d’une boue nauséabonde. Mais ils bavardèrent un moment et elle s’aperçut qu’il en avait plus dans la tête que tous les Iops d’Amakna ! Et plus que n’importe où ailleurs aussi, malheureusement…

 

Ils décidèrent de la date du mariage, fixèrent les détails de la cérémonie (la coquette voulait des bijoux en ambre de bambouto sacré et des bottes de crocodaïlle, très tendance !) puis la jeune fille s’éloigna non sans avoir promis de revenir le lendemain à la même heure (qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un blopanneau !)

 

Mais elle réalisé soudain qu’elle allait épouser un blop ! Tout le reste de la journée, Prim’ Oeuvair ne cessa de pleurer, une vraie Pleur Nicheuz ! Avoir un mari tout petit, en forme de bouteille d’orangina, avec sa peau transparente, ses yeux globuleux et son corps couvert de bourgeons ! C’était trop pour elle !

On l’entendait soupirer : « J’aimerais mieux être morte !… »

Et pendant ce temps, ses sœurs se demandaient si elles devaient vraiment aller aux noces d’un blop.

Le jour des noces finit par arriver très vite, trop vite pour Prim’ Oeuvair.

Elle avait revêtu sa belle robe de mariée en fourrure de croc gland et son père était allé chercher le blop dans son trou sombre comme la mort. Dès qu’il arriva chez le blop, celui-ci se gonfla, se gonfla, enfla à tel point qu’il devint gros et grand comme un gloutoblop.

 

Le cortège s’organisa : Prim’ Oeuvair belle et gracieuse mais si triste et le blop bête graisseuse à ses côtés, progressant par séries de bonds, obscène dans sa nudité bourgeonnante.

 

Le tout Astrub était venu admirer la mariée et se plaindre tout à la fois (une jolie fille de moins !). Les garçons disaient à voix basse : « Mais ce blop, qu’à-t-il e plus que moi ? », les jeunes filles pensaient : « Mais cette pimbêche, qu’a-t-elle de plus que moi ? ».

 

L’absence des deux sœurs de la mariée ne passait pas inaperçue, mais tout le monde se disait qu’ils en auraient fait autant. Après tout, la plus jeune se marie en premier, quel affront !

Le cortège arriva à l’église. Deux chaises avec des prie-Kuri en bois d’Abraknyde sombre recouverts de cuir de bouftou royal avaient été préparées dans le chœur pour les mariés.

Prim’ Oeuvair gagna le sien l’air digne et s’assit bien droite.

Le blop, lui, remonta la nef par petits bonds lourds et s’écrasa comme une fiente sur le sien. L’officiant vint se placer devant eux et ne perdit pas de temps en long discours tellement il avait hâte d’en finir.

Il dit :

« Blop Nogin (c’était son nom), voulez-vous prendre pour épouse Mademoiselle Prim’ Oeuvair de Temprain, ici présente ? »

– Ilil*! », répondit le blop en secouant ses bourgeons.

      * yes !

« Et vous, Prim’ Oeuvair de Temprain, consentez-vous à prendre pour époux Blop Nogin, ici présent ?

– Quelle horreur… Quel honneur, j’veux dire. Oui, quoi ! »

 

L’assemblée, stupéfaite, gardait les yeux fixés sur le blop car il était devenu soudainement humain… et très beau ! Il avait une peau de blop au bras. L’officier termina la cérémonie soulagé puis Prim’ Oeuvair s’empressa de prendre le bras de son beau mari pour sortir.

 

La foule manifesta son étonnement :

« C’était pas un blop en entrant ? », firent les garçons, « Ca n’arrive qu’aux pétasses », firent les filles. Seuls les Iops n’y comprirent rien du tout et furent déçu de ne pas avoir vu ce jeune homme dépecer le marié.

 

Blop Nogin se pencha à l’oreille de sa femme et lui expliqua :

«  Les 4 blops royaux m’avaient condamné à vivre sous cette apparence pour avoir massacré nombre de leurs sujets. Leur graisse se vend bien, leurs fleurs aussi ! »

Ils marchèrent jusqu’à la maison du père de la mariée pour commencer la fête. Nogin en profita pour remettre discrètement  sa peau de blop à sa femme.

« Maintenant, elle est à toi. Mais conserve-là précieusement : personne ne doit y toucher car s’il lui arrive quoi que ce soit, tu me perds à jamais. »

 

Tous les invités étaient heureux que cela se finisse ainsi, surtout le père. L’ambiance était bonne, la bière coulait à flot et les friandises disparaissaient en un clin d’œil. Mais les 2 sœurs de la mariée étaient furieuses :

«  Quelle petite conne ! Papa adoré, je me sacrifie pour toi… Quelle horreur, je vais épouser un homme superbe déguisé en blop ! Elle le savait, j’en suis sûre !

– C’est parce qu’elle est moins belle que nous ! Elle a joué la comédie pour nous piquer le plus beau mec du coin !

– Et ce couillon est trop amoureux pour regarder ailleurs ! Elle va nous le payer, crois-moi ! »

 

Elles devinrent horriblement jalouses, suppliant Djaul de les venger. Prim’ Oeuvair ne se rendait compte de rien : elle avait un mari magnifique, aussi intelligent que beau et très amoureux d’elle ! Le vrai bonheur.

Quelques semaines après le mariage, Nogin lui proposa de l’emmener en voyage de noces. Prim’ Oeuvair était folle de joie et couru faire ses valises. Mais elle en oublia de retirer la clé en os du coffre où se trouvait la peau de blop.

A peine partie ses 2 sœurs, inspirées par Djaul, fouillèrent sa chambre et tombèrent sur le coffre avec la clé en os dessus. Elles furent bien curieuses, l’ouvrirent et tombèrent sur la peau de blop.

 

« Beurk ! Ote ça de ma vue, c’est répugnant !

– Débarrassons nous de cette horreur, on va la détruire. »

 

Comme le four était chaud, elles y jetèrent la peau qui brûla comme un feu de paille. A cet instant, très loin d’ici, Nogin poussa un cri :

 

«  Par tous les dieux, c’est arrivé !

– Quoi donc ? dit Prim’ Oeuvair inquiète.

– Ma peau, ma peau ! Quelqu’un l’a détruite.

– Mais ce n’est pas possible… que va-t-il arriver ?

– Je vais être emmené très loin d’ici, dans un pays inconnu et je ne trouverai jamais le chemin de retour. De ton côté, tu ne pourras pas non plus me rejoindre. »

 

La jeune femme, voyant son beau mariage voler en éclats, fondit en larmes en s’accrochant désespérément à son mari, comme pour le retenir à jamais.

Nogin lui dit, le regard triste et d’une voix éteinte :

« Je dois te faire mes adieux. Prend vite ces trois métarias : grâce à elles, tu ne manqueras de rien. Prends-en une dans une main et fais un vœu en disant : « Haissou un decorma eudi les ke » qu’il soit exaucé. »

 

Prim’ Oeuvair prit alors son bandana, sortit un petit couteau de sa poche et se piqua le bout d’un index. Elle déposa une goutte de sang sur son bandana, puis, serrant une métaria dans sa main, récita la formule et dit :

 

« Que cette tache de sang sur ce bandana ne puisse être enlevée par nulle autre que moi. Amour, garde ce bandana près de toi. »

 

Nogin eut juste le temps de saisir le bandana avant qu’une brume ne l’entoure et ne l’emporte loin, très loin d’ici. Quand la brume se dissipa, Prim’ Oeuvair était seule et ses larmes coulèrent à nouveau. « Je ne vis plus », pensait-elle.

Le désespoir la fit errer sans but, à travers plaines, bois, landes et montagnes. Devant la nécessité de manger et de dormir, elle devait chercher du travail tant qu’on voulait bien d’elle. Mais en raison de sa profonde mélancolie, personne ne la gardait longtemps.

Après avoir une fois de plus dû quitter un emploi, elle reprit la route, au hasard. Le soir, elle ne savait où coucher. Elle vit alors une pauvre masure, comme un temple Sadida, perdue à la lisière de la forêt des Abraknydes sombres. Une enutrof s’y trouvait. Elle la salua poliement, lui conta ses malheurs et demander à passer la nuit ici.

 

« Ma pauvre enfant, ce n’est guère possible. J’aimerais bien, mais j’ai trois neveux Korayeurs et ils auraient vite fait de te manger !

– Ce n’est pas grave, je reste !

– Bon, c’est toi qui choisis. Entre, je leur dirai que tu es ma petite fille, ils ne te mangeront pas. »

 

Les deux femmes papotèrent comme deux vieilles amies jusqu’au soir. La vieille se mit alors à préparer un gros chaudron de potage épais bourré de viande.       

 

« Pas tant, vieille femme, nous ne sommes que deux ! 

         C’est pour mon premier neveu, il sera bientôt là ! ».

 

Un grand bruit retentit alors dans la forêt/ Même les abraknydes tremblaient et sifflaient.

 

« N’aie pas peur », dit la vieille, « C’est mon neveu Koraye Heurwann qui rentre à la maison. Cache-toi dans le tofulailler, que je puisse lui parler. » Il y eu un grand tourbillon de sable. C’était Heurwann qui rentrait.

 

« Slurp ! Chaîr fraîche en la demeure. Donne, que je la mange !

         Arrête de baver et d’agiter ton bec de poulpe. T’as raison, une personne est ici ce soir, mais tu ne la mangeras pas car c’est ma petite-fille. Et pas de ça dans la famille, compris ?

         D’accord tata, mais montre-la quand même.

         Viens ma chérie, tu ne crains rien.

         Quoi, ce petit bout de femme ridicule ? Même pas un bout de gras à sucer ! Pas de quoi en faire ne serait-ce qu’une bouchée… » s’exclama Heurwann. Il avala le chaudron de potage et partit.

 

Aussitôt sa tante prit un chaudron encore plus grand et y prépara un potage plus épais jusqu’au bord, en touillant avec une pelle, disant que c’était pour son second neveu.

Un vent violent fit frémir les abraknydes, un souffle puissant accompagné de crissements lugubres.

« N’aie pas peur », dit la vieille. « C’est mon neveu Koraye Heurtou qui rentre à la maison. Cache-toi dans le tofulailler, que je puisse lui parler.

 

A cet instant la masure fut grandement secouée, la porte à moitié arrachée et Heurtou entra comme un tsunami.

 

« Slurp ! Chair fraîche en la demeure. Donne, que je la mange !

         Commence pas ! Ma petite fille est venue me voir, et on ne se mange pas entre gens de la même famille. Compris ?

         Scuse tatie. Mais montre-là quand même ! Viens ma chérie, tu ne crains rien !

         Quoi, cette greuvette ? Pas de quoi se remplir le bec ! »

 

Heurtou avala son chaudron et repartit chasser des abraknydes.

La tante s’activa alors à préparer un potage encore plus épais, dans un chaudron plus gros que les deux premiers réunis. Le potage était si épais qu’elle pouvait à peine le remuer avec sa pelle. C’était pour son troisième neveu, Koraye Heursri.

 

Un rugissement caverneux suivi d’un fracas infernal se fit entendre puis les abraknydes se mirent à fuir à l’approche d’une chose innommable que rien ne saurait décrire.

 

« Aie confiance », dit la vieille. « C’est mon neveu Koraye Heursri qui rentre à la maison mais soyons prudente et va quand même te cacher dans le coffre tout en bas dans la cave, le temps que je lui parle ! »

 

A peine la jeune fille, pauvre innocente, fut cachée que la porte de la maison vola en éclats.

 

« L’apéritif est servi tata, apporte-moi vite cet encas qui sent si bon ! », fit le monstre d’un ton terrifiant.

« Ecoutez-moi ce grand dadet ! C’est pas parce que t’as la tige qui bourgeonne* que tu peux me parler sur ce ton ! Viens un peu tâter de ma pelle, si t’es si malin ! », répondit l’enutrofette sans se démonter, en menaçant le monstre avec son arme.

« Scuse tata mais j’ai faim…. » fit timidement la créature.

« Allez, viens que je te présente ma petite-fille et sois correcte ! Pas de ça chez nous ! Compris ? MA CHERIE VIENS VOIR TU NE RISQUES RIEN !!!! »

 

A la vue de la jouvencelle dans le coffre, le monstre fut pris d’un fou rire caverneux.

« T’as raison tata, y’a même pas de quoi décorer une tartine avec elle ! Pas plus gros qu’un bouftou, et ça sent à peine meilleure ! »

 

Il avala son repas gargantuesque et alla se coucher après avoir demandé à sa tante de le réveiller de bonne heure car il avait fort à faire le lendemain.

 

Prim’ Oeuvair se leva tôt elle aussi, et lui demanda :

 

« Hé cousin, pourrais-tu m’aider, toi qui est si sage et si vigoureux ?

         Et puis quoi encore ? Débrouille-toi toute seule, j’te connais même pas !

         Allez, pas de chichi entre nous. Pour quelqu’un fort comme toi, ce n’est rien. Mais pour une frêle jeune fille comme moi…

         C’est bon petite, j’ai compris ! Demande mais ne pleure pas, j’ai horreur de ça. Et n’en dit mot à mes frères !

         Voilà : je recherche mon mari que des vilaines sorcières ont obligé à me quitter. Je ne sais pas où il se trouve et lui ignore comment me rejoindre, mais toi qui parcours plaines, vallées et montagnes, peut-être en as-tu entendu parler ? C’était un blop avant de devenir mon mari.

         T’as épousé un blop ? Grosse vicieuse va ! Il était beau, au moins ?

         Le plus beau garçon du monde.

         J’en connais un qui est super mignon il paraît. Mais je crois qu’il va bientôt se marier, on prépare sa noce dans une ferme dans laquelle je dois aller chercher quelques cochons de lait aujourd’hui.

         Oh chic ! Vite, allons-y !

         Hohoho ! Tu n’arriveras même pas à me suivre, je vais plus vite qu’une dragodinde !

         Je peux m’accrocher à ta ceinture comme ça pas de problème.

         Ca marche ! Allons-y mais accroche-toi bien ! »

 

Prim’ Oeuvair s’agrippa à la ceinture de toutes ses forces et le Korayeur fila à toute allure. Ils marchèrent ainsi plusieurs heures. Tout à coup, il s’arrêta et lui montra plusieurs bâtiments.

 

« On est arrivé. Je te dépose là afin que personne ne te voie entrer avec moi. Comme ça, tu pourras faire ce que tu veux. »

 

 

*Une grande partie du corps d’un Korayeur est formée de tiges de Koraye qui, lors du passage à une bête adulte, se mettent à bourgeonner puis à durcir pour former un monstre imposant.

D’où l’expression : « Un homme à la tige bien dure et fleurie » pour désigner un homme robuste. (Note de Dard Ouine, le célèbre Sadida qui étudie les animaux).

 

Prim’ Oeuvair fit donc le bout de chemin restant à pieds et rentra dans la ferme. Sur place, constatant l’agitation, elle demanda :

 

« Je cherche du travail. Peut-être avez-vous besoin d’une servante ?

         Oh oui ! Il y a beaucoup à faire car on prépare un grand mariage. Alors vous pouvez vous occuper des bouftous et nourrir les cochons de lait car nous, nous n’avons pas le temps ! »

 

La jeune fille se mit immédiatement au travail : elle mena les bouftous aux champs, donna des glands et autres friandises préférées des cochons de lait, mit des graines aux tofus et graissa même les plumes des dragodindes !

La noce devait avoir lieu le lendemain : il fallait alors préparer un splendide gâteau qui serait offert au marié afin qu’il en mange la moitié à la fin du repas et en offre l’autre moitié à son épouse, car c’était la coutume du pays. Il était donc très important de réussir le gâteau pour que le marié y prenne du plaisir. La maîtresse de maison avait alors décidé d’en faire un elle-même ainsi que chaque servante comme ça, il y en aurait bien au moins un de réussi.

Prim’ Oeuvair réclama aussi d’en faire un, comme les autres. Mais la maîtresse de maison lui répondit :

 

« Toi ? La nouvelle que personne ne connaît ? Tu te crois meilleure que les autres ?

         S’il vous plaît, madame, laissez-la se ridiculiser », supplièrent les autres servantes.

« Qu’elle fasse son gâteau et comme ce ne sera pas le meilleur, nous le mangerons entre nous. »

 

La maîtresse céda et remit à la jeune fille tous les ingrédients nécessaires à la confection d’un gâteau. Prim’ Oeuvair commença à pétrir la pâte et, en cachette, sortit une métaria et dit à voix basse :

« Haissou un decorma eudi les ke, que mon gâteau soit de loin le meilleur et le plus beau de tous. »

 

Puis, toujours très discrètement, elle retira son alliance et la mit dans la pâte avant de faire cuire le tout. Grâce à la magie, son gâteau était le plus beau et le plus savoureux, ce qui agaçait beaucoup la maîtresse de maison et les autres servantes. Il fut néanmoins offert au marié qui demanda qui avait bien pu faire un gâteau aussi délicieux.

 

« C’est la nouvelle, une souillon qui s’occupe des bouftous et des cochons de lait. Il n’y a pas plus dégoûtant qu’elle. »

         Ce n’est pas grave, je veux la remercier.

         D’accord, mais pas aujourd’hui. Après tout, c’est votre fête, alors ne gâchez pas votre temps avec cette souillon. Vous aurez bien le temps demain. »

 

Mais en mordant encore une fois dans le gâteau, le marié tomba sur l’alliance et faillit même s’étouffer avec, mais il réussit à la retirer discrètement. Elle lui semblait familière, ce qui l’intrigua beaucoup, alors il la mit dans son bandana. Cependant, il n’était pas convenable de laisser ce bijou dans un bandana plein de sang. Il donna alors aux servantes l’ordre de faire disparaître cette tache. Mais les servantes avait beau frotter à en user le tissu, rien n’y faisait, la tache ne disparaissait pas. La maîtresse était si ennuyée qu’elle décida de le laver elle-même mais elle échoua lamentablement, comme les autres.

 

Prim’ Oeuvair, qui voyait et entendait tout, proposa de laver le bandana.

« Encore toi ? Après avoir fait un gâteau délicieux tu veux enfoncer le clou en te croyant meilleure ménagère ? Petite prétentieuse, si aucune de nous n’a pu laver ce chiffon, tu n’y arriveras pas non plus ! Viens donc t’user les mains à frotter ce sang mais supporteras-tu la honte de cet échec ? », dit la maîtresse en lui tendant le bandana.

 

Dès qu’elle l’eut, Prim’ Oeuvair prit discrètement une métaria et murmura :

« Haissou un decorma eudi les ke, que le sang parte de ce bandana et qu’il retrouve sa splendeur et sa douceur d’antan. »

 

Aussitôt dit, aussitôt fait : la tache disparut et le bandana redevint comme neuf, sous les yeux ébahis des autres servantes. Prim’ Oeuvair sécha et repassa soigneusement le bandana et le rendit à la maîtresse qui le rapporta au marié, pendant qu’on entendait les gens de la ferme murmurer : « C’est miracle ! La déesse Eniripsa doit l’habiter ! C’est mieux que de la sorcellerie ! »

 

En prenant le bandana, le marié ne put s’empêcher de s’exclamer : « C’est doux, c’est neuf, lavé par Mirlène* » puis il se rappela que grâce aux métarias, seule Prim’ Oeuvair pouvait effacer cette tache.

 

« Qui a réussi ce prodige ? demanda-t-il les yeux brillants.

         La souillon faiseuse de miracles : celle qui fait des gâteaux somptueux et qui nettoie le linge aussi bien qu’une déesse.

         Qu’on me l’amène ! »

 

La maîtresse de maison courut la chercher.

Prim’ Oeuvair et son mari étaient tout émus de se trouver l’un en face de l’autre.

« Ma femme !

         Mon blop ! »

 

Pensant ne jamais revoir sa bien aimée, il s’était résigné à épouser la fille de son hôte, un riche fermier. Alors il se retourna vers ses futurs beaux-parents et leur demanda :

«  J’ai une question, répondez-moi franchement je vous en conjure. J’avais un coffre dont j’ai perdu la clé, j’ai donc décidé d’en faire faire une nouvelle mais j’ai par la suite retrouvé la première, qui convient bien mieux. Que dois-je faire ?

         Remettre la première clé à sa place, c’est évident, dit le père.

         Je le pense aussi, dit la mère.

         Ouf, quel soulagement. Je peux bien vous le dire maintenant : j’ai été marié à une femme dont j’étais fou, mais une terrible malédiction nous a séparés et je la croyais perdue à jamais alors je pensais la remplacer. Mais maintenant qu’elle m’est revenue, je préfère partir avec elle ! Je suis franchement désolé pour votre fille, mais cette jeune souillon-là me convient mieux. »

 

A ces mots, Prim’ Oeuvair fut prise de rage :

 

« Tu étais fou de moi mais tu pensais me remplacer comme une vieille chaussette ? Je ne suis qu’une clé de coffre à tes yeux ? Tu ne vaux pas mieux qu’un blop ! Comment peux-tu aussi faire de la peine à la nouvelle jeune fille que tu as séduite juste pour en faire une « remplaçante » ? C’est ignoble, et aucune fille ne mérite cela. N’ayez crainte, crainte, il y aura bien un mariage aujourd’hui, mais pas celui qu’on croit ! »

 

Puis elle sortit sa dernière métaria et dit :

« Haissou un decorma eudi les ke, ,que le fils aîné de la maison devienne le plus beau garçon du monde et tombe fou amoureux de moi, que notre mariage soit célébré ce jour devant mon ex-mari qui redevient un vulgaire blop condamné à vivre dans son trou, près du marais. »

 

Et c’est ainsi qu’un grand mariage fut célébré dans cette ferme : celui du fils aîné, soudainement devenu excessivement beau et d’une jeune fille vertueuse qui oublia vite son goujat de premier mari. La sœur du marié se consola rapidement elle aussi et se maria quelques semaines après. Seul le blop repartit tout triste après la noce, condamné à vivre misérablement dans son trou, sans amour, en punition d’avoir pris les filles pour des objets facilement remplaçables. Peut-être qu’un autre petit siècle en temps que blop lui fera retrouver la raison, en attendant il doit vivre avec sa peine et réfléchir à ce qu’il a fait.

 

 

*A cette époque, Mirlène était la déesse des foyers : il était donc normal de l’invoquer pour les tâches ménagères comme laver le linge ou nettoyer une maison.