Vous êtes un (jeune ou vieil) homme, féministe, séparé, divorcé ou célibataire endurci et vos notions de couture sont balbutiantes : tentez le fil transparent ou dit « invisible » en polyamide. Certes, il est un poil plus difficile à manier que son équivalent coton ou d’autre matière. Mais il peut vous pardonner bien des erreurs et embrouillaminis…

Mon expérience actuelle de la couture doit tout à Océane (mon arrière-petite-cousine, à laquelle je souhaite plein succès à ses examens de styliste-monteuse-cheffe de produit, &c.), et à mes amis Zéki et Gunaï, retoucheur émérite et première main en de grandes maisons.
Il n’en fut pas toujours ainsi car ma mère s’était quelque peu évertuée à m’apprendre quelque raccommodage avant de renoncer.
Mais, à 16 ans, pratiquant l’autostop au Moyen-Orient, un autre routard m’a conseillé de coudre un petit drapeau français sur mon sac à dos (modèle scoutisme ou armée de l’époque). C’était la guerre des Six jours, et mieux valait être distinctement français ou suisse dans ces contrées.
Quelques années plus tard, la vague féministe militante m’a porté à me perfectionner (eh, plus difficile de jouer à l’incompétent avec une compagne qu’avec sa « môman », surtout après s’être vanté de se débrouiller plutôt convenablement).

J’ai donc même pratiqué la machine à coudre (donnée depuis à un jeune couple dans la panade). Je me défendais assez bien pour divers travaux… j’ai tout oublié depuis !
La faute à une fermeture Éclair™ de braguette de jean de fort bonne qualité (le denim, pas forcément la fermeture).
In petto, derechef, et illico presto, je me lance !

Qu’avais-je tenté là ! L’ennui, avec les jeans, ce sont les coutures apparentes (naguère ocres ou orangées pour certaines marques). Démonter, passe encore. Remonter, la galère : cela m’a pris des plombes mais j’étais fier de moi au moment de passer le pantalon dans la machine à laver.
Je devais aller en stage de perfectionnement à Paris (histoire de mieux apprendre « à mieux rédiger pour être mieux lu », ce dont je me suis heureusement départi depuis) et je place ce jean de rechange dans mon léger bagage… que j’oublie dans la voiture SNCF à la gare de l’Est.

De ce jour, je me suis promis de ne plus jamais, au grand jamais, toucher à du fil et à une aiguille. Promesse non tenue…

Cher·e·s ami·e·s…

Le hic, c’est que, sans l’avoir cherché, je me suis retrouvé avec des compagnes du style tête d’œuf qui n’avaient jamais eu de cours de travaux ménagers en primaire et dont les parents avaient assumé tout le quotidien. Je ne sais même pas si les élèves des pensionnats suisses apprennent encore à coudre de nos jours, mais faites l’expérience : qui, parmi vos copains de comptoir dispose encore d’une compagne à laquelle proposer de faire des ourlets de manière satisfaisante. J’avoue que j’envie F., devenu l’époux de L., charmante jeune russe éduquée à l’ancienne, perle d’exception qui confirme la règle.

Comme je ne veux pas faire faire des heures sup’ à Océane et que mes amis de Turquie pratiquent des prix à la hauteur de leur talent franciliennement reconnu (et bien au-delà), prix certes fort honnêtes, mais pouvant représenter celui de l’article acquis chez Tati, force m’a été de parfois renfiler le dé à coudre. J’ai fini par rechausser l’opinion que c’était convenable, même pour un costaud, un tatoué, balafré, &c. Certes, en zonzon on trouve toujours plus faible que soi pour œuvrer de la sorte, mais en cavale, hein ?

Compañeros de miséria, my down and out brothers, je ne sais si vous l’avez remarqué, mais même les boutons des Burton of London ou des Levi’s se taillent rapide, et cela ne doit rien au fait que vous achetez soldé en troisième démarque. Ainsi va la vie, tout fout le camp, et les boutons (comme les femmes, et même les enfants qui grandissent, d’accord…) d’abord. 

Où en étais-je déjà ?

Comme pourrait me le redire mon cher et estimé confrère et formateur : « Jef, si tu désires devenir romancier, la porte t’est grande ouverte, mais si tu tiens à rester du métier, il y a comme des progrès à faire ! ». C’est d’ailleurs pourquoi je pige ici à même pô 30 cents du feuillet… Mais glissons sur ces apartés et digressions préliminaires et revenons à l’objet du châpo, le fil dit « invisible » dont la dénomination n’est pas totalement usurpée.

Cette contribution est libre de toute publicité, mais comme une recherche sur Google risque de vous remonter quantité de liens vers des films (plastiques) transparents d’emballage et autres, un tuyau : mot-clef, Güterman. Cela me semble la marque la mieux placée sur le marché, mais ne me demandez rien sur le rapport qualité-prix, j’ai totalement oublié la marque de ma bobine dont j’use le plus parcimonieusement possible.

Attention ! Si vous commandez en ligne, le fil à enfiler des perles est généralement trop épais pour vos travaux habituels de couture. Il en est d’autres. Vérifiez la capacité de la bobine : celle de 220 yards (env. 200 m) vaut certes moins de cinq euros, mais vous la réservez à des usages industriels, ce qui m’étonnerait fort de la plupart d’entre vous.

Avantages, inconvénients

Le fil transparent polyamide a l’avantage d’être pratiquement invisible. C’est aussi son inconvénient. Bien sûr, votre brevet d’œil de lynx de votre passage chez les Éclaireurs de France n’est plus qu’un souvenir, surtout si la presbyopie (ok, la presbytie, toujours employer des mots simples et non leurs synonymes moins usités) vous guette.

Vous êtes pêcheur à la ligne ? Là, rien de ce qui se rapporte à l’enfile-aiguille ne vous est étranger. Pour les autres, consultez la section « réparation soie » du site peche-mouche-seche. Ah-ha ! Vous assumiez que l’emploi de l’enfile-aiguille allait de soi (surtout avec du fil en coton torsadé) ? Que nenni ! Voyez les schémas… « C’est alors un jeu d’enfant, » qu’il ose écrire, le chevalier de l’Archisèche auteur de ce site pédagogique. Euh, pas vraiment…

Une photo, un dessin, vaut mieux qu’un long discours. Mais si je vous photographie ou filme l’enfilage d’un fil à coudre transparent, il me faudra des plombes de retouche pour que vous discerniez… Oh, et puis zut… Revenons à nos torons.

Évidemment, le fil invisible n’est pas torsadé. Il est très fin, mais plutôt très résistant. À vous de voir si vous le doublez ou non. Cela peut être déconseillé. En effet, ce fil a une forte propension à s’emmêler quasiment de lui-même. En sus, si vous « dérapez », et piquez un peu loin de là où vous le pensiez, vous risquez d’avoir à couper… et même à tout recommencer.

N’empêche, il y a des solutions. Par exemple, pour un bouton, celle consistant à le doubler d’un autre minuscule, à l’avers, histoire de guider votre aiguille. Pour les ourlets, veillez à ne pas trop tendre, soit serrer trop fort : le fil restera certes fort indiscernable, pas son parcours. Tout va bien si le tissu est épais, ce qui vous évite de faire trop ressortir l’aiguille (le fil s’accroche alors dans la matière, les points d’ourlet restent vraiment invisibles), c’est plus délicat s’il est très léger.
Cela étant, je prédis de la gaité aux hommes adeptes de la mousseline… Pour les autres, soit encore la majorité, le coming out couturier gagne à l’emploi du fil polyamide.

Je n’ai pas tenté l’usage à la machine (voir supra). Si vous vous lanciez, messieurs, dans cet investissement, sachez que les moins chères et d’encombrement réduit sont désormais engorgées de programmes (pour réaliser des points compliqués) qui vous seront superflus.
Tentez l’occasion mais attention : n’allez pas acquérir une surjeteuse (à point de chainette) qu’on tend à réserver pour les synthétiques légers. De plus, le maniement en sera plus complexe. Témoignage d’une spécialiste (lu en ligne) : « finalement, deux machines séparées, c’est mieux ». Et encore, pour elle, il s’agit d’une surjeteuse et d’une recouvreuse (ne me demandez pas de vous éclairer, mais toutes les deux disposent de plusieurs porte-bobinos, alors qu’une machine de base se contente souvent d’un seul).

Cousu de fil blanc

L’alternative existe. Vous pouvez utiliser la photo d’un sexagénaire portant beau sur un site de rencontres. Décrivez-vous fortuné, sans enfant (ou peu), modérément sportif, &c. Quand la belle vous verra arriver avec vos dents cariées, vos boutons d’acné, et votre mise élimée, peut-être vous prendra-t-elle quand même en pitié… N’apportez qu’une pièce de vêtement à la fois et non tout un sac débordant d’effets. Mais c’est une fausse bonne idée : le nombre des râteaux impliquant un budget transport risque de l’emporter sur les – trop rares – succès.

Et imaginez votre Smalto noir recousu de fil blanc ! Méfiez-vous des « blondes ».

 

En revanche, pour beaucoup, la joie d’avoir un compagnon et bricoleur et sachant coudre peut vous valoir quelques bonnes fortunes de nos jours. Persévérez !

 

L’inconvénient du fil invisible c’est qu’il est souvent légèrement plus difficile à manier que d’autres. Par conséquent, à la longue, vous vous perfectionnerez et pourrez passer plus facilement à des fils de diverses couleurs.

Pour les ourlets, vous trouverez tout plein de vidéos en ligne indiquant la marche à suivre. Pour recoudre la manche déchirée à la suite de la bagarre au kop du dernier match désastreux, c’est plus coton (allez plutôt chez un fripier ou chez Emmaüs remplacer la veste ou la chemise).

Celle-là, je l’attendais !

Qu’entends-je de derrière mon écran ? Que le thermocollant double face n’est pour les chiens ? Pour les vrais mecs qui enfilent leur pantalon après avoir chaussé des brodequins non plus… Là, c’est sûr, l’ourlet n’y résiste pas. Qois-je ? Qu’après tout, avec une bonne agrafeuse… Objection retenue. À réserver pour les petites retouches et les pays froids (le métal chauffé à blanc, hein !). Que perçois-je ? Qu’on peut se tromper de vêtement dans les vestiaires… Oh ! Voler, c’est pas beau, et c’est un coup à ne pas se faire déchirer que du prêt-à-porter.

 

Le vrai mec, celui qui ne mange pas de quiche ou de brocolis (voir Real Men Don’t Eat Quiche sur Wikipedia) tient l’ascension de l’Everest en string et la plongée en apnée vers les 200 mètres pour des promenades de santé mais considère que recoudre un bouton représente un exploit.
Veillez pourtant à ne pas trop vous vanter. Ne retroussez pas vos bas de pantalons pour proclamer à la face du monde la qualité de vos ourlets. Les chaussettes copieusement ravaudées en sandalettes très ouvertes, ça ne le fait que très moyen.

Jouez-là finement. Par exemple, tricotez un gilet pare-balles en Kevlar™, l’air détaché… Ou brodez Kung Fu Champ sur une manche de chemisette. Dans ce dernier cas, évitez le fil invisible, ou alors de diamètre maousse-costaud.

C’était quoi déjà, le fil bleu de cette succincte contribution ? Ah oui, il s’agissait d’éviter les fils barbelés. Pour l’instant, heureusement, ils restent plutôt visibles. Mais quel homme digne de ce nom sort encore de chez soi sans une pince coupante diagonale à boussole intégrée ?

 

N’empêche, j’ai connu un prospecteur minier en Guyane qui s’était recousu lui-même une plaie plutôt profonde en attendant la décrue du Maroni, avec du fil poissé pour cuir. Si on vous surprend en train de coudre, utilisez l’anecdote : vous vous entraînez pour une expédition de survie. 

La prochaine fois, je vous donnerai la méthode pour poisser vous-même du fil de lin (accessoires, un bocal à confiture, une casserole pour le bain-marie ou voyez là, chez Anne-So et Manu, sur annesocouture.canalblog.com).

C’est fou le temps perdu à voir ou lire des trucs inutiles et confus sur l’Internet. CQFD ci-dessus…