On se souvient que Christophe de Margerie, le patron de Total, avait protesté lors de la récente assemblée générale des actionnaires que lorsque les cours s’envolent, "ce n’est pas une augmentation des profits de la maison". Et estimé qu’ "il faut que le monde entier s’habitue à un prix élevé du prétrole, y compris les pêcheurs français" (voir Rions un peu avec le patron de Total). Genre "c’est pas notre faute". Mais voilà que l’organisation de défense des consommateurs UFC-Que choisir publie un communiqué aujourd’hui qui affirme : "les compagnies pétrolières portent une lourde responsabilité dans l’augmentation du prix du diesel. En n’investissant pas dans le raffinage, elles ont créé un mécanisme de rationnement qui fait exploser leur profit sur ce segment et qui fait flamber le prix pour les consommateurs".

 

logo site que choisirCalculs à l’appui : sur un litre de diesel vendu, la marge de raffinage a représenté en mai 15,7 centimes, contre 6,4 centimes en janvier 2008, 6,0 centimes en 2007 et 2,5 centimes en 1998. D’où cette conclusion : "À elle seule, l’augmentation de la marge de raffinage explique près de la moitié (47%) de l’augmentation du prix du diesel depuis le mois de janvier. Ce phénomène est indépendant de la montée du prix du baril. Il s’explique par la tension qui existe sur le marché européen du raffinage du diesel et qui est entretenue par les compagnies pétrolières". Un porte-parole de Total a réagi à ce communiqué en mettant en avant "les investissements du groupe prévus dans le raffinage – un milliard d’euros par an d’ici 2010 – et la poursuite de l’adaptation du raffinage à l’évolution du marché". Mais que ne l’ont-ils fait plus tôt, et que de profits amassés entre temps sur le dos des consommateurs ! On se doutait bien que Total se moquait de nous, l’UFC-Que choisir en livre la preuve.

Dans ce contexte, avec les conflits sociaux qui frappent, après les pêcheurs, les chauffeurs de taxis, les routiers et les agriculteurs, toutes professions captives de l’augmentation des prix à la pompe, difficile de ne pas relancer le débat sur la taxation des super profits des compagnies pétrolières. Barack Obama, désormais candidat officiel du parti démocrate à la prochaine présidentielle américaine, s’est prononcé pour. Le nouveau ministre italien des Finances, Giulio Tremonti, également. L’idée fait même son chemin au sein de l’Eurogroupe, puisque son président, Jean-Claude Juncker, l’a évoquée comme "une des possibilités qui ont été mentionnées au cours de notre réunion" de mardi dernier à Luxembourg. "Toutes les réflexions doivent être étudiées. Mais je ne dis pas non à cette idée, personnellement. C’est déjà beaucoup". Et en France ? Sarkozy préfèrerait plafonner la TVA, mais ses partenaires européens ont accueilli cette proposition de façon plutôt glaciale. Quant à une taxation des pétroliers, l’UMP, en bon petit soldat du libéralisme, a toujours été farouchement contre. Une pierre lelloucheposition que résumait en mars 2007, avec toute la finesse qui, parfois, le caractérise, le député de Paris Pierre Lellouche : "En réalité, ce qu’il faudrait, c’est mettre les dirigeants de Total devant un peloton d’exécution, renationaliser et faire un grand soviet ! Arrêtons cette gué-guerre contre l’argent. C’est vrai qu’en dehors de la Corée du Nord et Cuba, tout le monde a compris ça quand même. Même les Chinois, même les Russes..." Les temps changeraient-ils ? La ministre de l’Économie, Christine Lagarde, a déclaré à l’issue de la réunion de Luxembourg : "C’est certainement une proposition intelligente, mais dont il faut bien mesurer et les effets et les mécanismes d’application, à l’aune pas seulement des superprofits mais à l’aune des efforts d’investissement aussi. Ce que nous avons conclu tous ensemble, c’est qu’il fallait examiner toutes les pistes, il faut regarder". Mais rester "très attentifs à toute une série de facteurs : l’attractivité, la nécessité de l’investissement en exploration et en capacités de raffinage, dont on sait aujourd’hui qu’elles manquent cruellement". On voit que Lagarde reste prudente, laissant la porte ouverte à l’argumentaire classique du chantage qui veut que, si l’on taxe Total, la multinationale n’aurait plus les moyens de développer ses investissements et serait même susceptible de quitter la France…

chercarburantRappelons que le compte d’exploitation 2006 de la compagnie pétrolière, publié en février 2007, juste au moment du début du procès de la catastrophe de l’Erika , faisait apparaître le bénéfice record net de 12,585 milliards d’euros. À peine plus que pour 2007 : 12,2 milliards d’euros. Le résultat pour 2008 part sur les mêmes bases : 3,254 milliards d’euros en bénéfice net ajusté pour le premier trimestre. Pendant que les professionnels et les particuliers se saignent aux quatre veines pour payer leur carburant, cet argent n’est pas perdu pour tout le monde.

PS : La "pompe à profits" de Total ci-dessus vient du site Chercarburant, qui calcule en temps réel la progression des bénéfices du pétrolier en parallèle avec le budget qu’il alloue à aux énergies renouvelables.

 

Olivier Bonnet est journaliste indépendant, blogueur de Plume de presse et auteur de Sarkozy, la grande manipulation (Editions Les points sur les i, mai 2008).