Comment les banques et leurs États pillent les épargnants

Nicolas Sarkozy s’est exprimé dimanche soir à la télévision en occultant une question essentielle : comment restaurer les profits des banquiers et du personnel politique sans piller les épargnants ?

Les montants des primes et bonus des dirigeants des établissements financiers et de leurs spéculateurs en chef soulèvent une simple question : qui les rétribue ?
Les déposants, d’une part, les dirigeants politiques, d’autre part. Au nom de quel autre principe que le primat d’un capitalisme dévoyé, contourné, peut-on continuer de la sorte.
Car au-delà des sommes énormes concédées aux tenants des plus hautes positions dans les banques et les assurances, la question plus générale est la suivante : qui accorde à leurs établissements des taux d’intérêts très bas, alors qu’ils revendent du crédit au plus haut, si ce n’est d’autres banquiers, ceux des banques centrales, que les dirigeants politiques ne contrôlent plus ?
La question de la rémunération des chefs spéculateurs et de leurs supérieurs est assez simple à comprendre. Pour élaborer des martingales complexes, pilotant la spéculation, qui renchérit les coûts des matières premières et des denrées alimentaires, mais aussi de tout produit fini, il faut des « têtes ». Soit des mathématiciens doués, supposément capables de juguler les effets pervers de leurs créations. Et comme ils sont très, très bien rétribués, et qu’il semble impensable de les payer davantage que leurs employeurs, il faut que leurs dirigeants soient rétribués encore davantage. Au nom de quoi ? Pourquoi un inventeur devrait-il être moins rétribué que ceux qui exploitent son invention ? En aurait-il été vraiment toujours ainsi ? Comment d’ailleurs peut-on admettre qu’un banquier soit mieux rétribué qu’un capitaine de super-paquebot de croisière alors qu’il a tout autant fait échouer son bâtiment ? Ce qu’il a fait en incitant les chefs d’États et les ministres à s’endetter toujours davantage en se disant qu’au final, le contribuable et l’épargnant règleront la note.
Et c’est là, dans ce système d’escroquerie légale, que réside la question essentielle…
Intérêts négatifs
Les États font désormais pratiquement tous, en Europe et Amérique du Nord, fonctionner la planche à billets. Que cela soit ouvertement ou par le biais de l’assouplissement quantitatif, que pratiquent tant la Fed que la BCE, cela revient pratiquement au même. Le Trésor américain, par la voix de » Ben Bernanke, le chef de la Fed, va céder des lignes de crédit jusqu’à la fin 2014 à des inférieurs à 0,75 % et même proches de zéro. La BCE prête à 1 % à des établissements qui réinvestissent dans des dettes souveraines sur trois ans à 3, 4, 5 et jusqu’à plus de 7 (Italie, Portugal), voire au-delà de 10 % (Grèce). On oublie un peu trop facilement qu’avant de se retrouver en faillite, la Grèce a, pendant des années, remboursé ses emprunts, que les agences de notation, pour que le système perdure le plus longtemps possible, ont maquillé les comptes pour « satisfaire » leurs clients… en leur faisant miroiter des profits infinis.
Ce mécanisme, comparable à ce qui fut utilisé pour financer des guerres, est présumé favoriser une croissance qui est, en maintes occasions, comparable à une guerre : des industriels s’enrichissent à fabriquer des produits toxiques et destructeurs. On n’épuise pas que des ressources et l’environnement, mais aussi des ressources humaines, épuisées dans les transports, dans la course aux remboursements des crédits pour se loger…
Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre a déjà ainsi sauvé la mise des banques en prenant à « son » compte (soit à celui des contribuables et des épargnants) un quart de la dette globale domestique. À des degrés moindres, c’est le cas partout. Mais personne ne peut dire quand tout cela se traduira par de l’inflation correspondante. Pour le moment, les taux de rémunération des épargnants sont inférieurs à la cherté de la vie, mais l’écart reste encore relativement faible. Cela ne pourra durer… Il faudra bien piller les contribuables et les déposants.
Au profit de qui ?
Dans ce système, tous les cochons de payants ne sont pas comme les animaux malades de la peste de Jean de La Fontaine. Tous ne sont pas frappés. Les plus malins, ceux qui ont suffisamment de fonds pour que leur argent intéresse les banquiers « honnêtes », s’en sortent. Leurs profits, ou le simple maintien de leur capital placé, se font aux dépens des déposants et épargnants démunis. En général, plutôt les seniors, qui, s’ils sont chargés de familles, aident leur progéniture à s’endetter, par exemple pour se loger, pour se déplacer jusqu’à l’établissement d’enseignement ou le poste de travail précaire, puis pour contribuer à l’éducation de leurs petits-enfants.
Parfois, l’escroquerie est patente. Des produits financiers d’épargne de plus en plus risqués servent à financer des crédits de plus en plus dangereux, car indexés sur des variables, monétaires ou autres, censées ne faire courir aucun risque au « prêteur ». En fait, les parents voient s’éroder leur capital et leurs enfants voient leurs crédits révisés à la hausse. C’est ce qui s’est produit dans nombre de pays européens où l’encadrement du crédit a été fixé au bon vouloir des financiers. C’est le mauvais coup que Dexia, en Belgique et en France, a pu faire aux collectivités territoriales sans que les banques centrales ne s’en émeuvent. C’est le contribuable, le salarié, l’entrepreneur, pris en étau par les taxes et les emprunts plus chers et la moindre rémunération de l’épargne, qui paye pour les autres, les banquiers et les « malins » sachant négocier avec eux des montages financiers avantageux ou non destructeurs pour le moins.
Le personnel politique – soit les élus nationaux, les ministres et la haute fonction publique – est, lui, épargné. Logements et voitures de fonction, ou prêts aidés, à intérêt de fait négatif, sans compter d’autres avantages, garantissent la complicité avec les financiers. La sanction des urnes ou du système des dépouilles ne frappent qu’une minorité : les uns sont recasés, dans un organisme ou une grande entreprise, les autres poussés par une « promotion » sur une voie de garage, un poste d’attente. Au besoin, on crée une fonction ad hoc (ainsi pour Nicole Notat, ex-CFDT, financée par ailleurs par les grandes entreprises, avec sa nébuleuse société, Vigéo, qui vient d’être aussi nommée médiatrice de la Sncf, et qui pourra ainsi commander des études à des sociétés affiliées).
Capitalisme de connivence
Le fameux « crony capitalism », de connivence entre copains et coquins, de réseau clandestin, touche tous les « pouvoirs ». Il s’apparente à un clanisme qui ne s’avoue pas tel. Il est bien sûr officiellement dénoncé alors que ses fondamentaux sont soigneusement occultés. Quand un Claude Guéant a le culot d’affirmer que « le temps où l’on dépensait l’argent public sans compter est révolu », il oublie comment, et par qui, il le fut, et au profit de qui…
Il élude surtout le flou des programmes des principaux adversaires de Nicolas Sarkozy (Hollande, Bayrou) quant aux moyens de freiner la spéculation financière. Vont-ils en appeler à la création d’un Interpol de la finance ?
La politique du taux zéro, qu’appliquent les banques centrales, décourage (et appauvrit) les épargnants  et pousse les financiers à rechercher des profits supérieurs – souvent risqués – hors de leur zone d’activité de collecte de l’épargne. Elle a son utilité pour recapitaliser les banques. Mais si celles-ci ne sont aucunement contraintes de réinjecter du crédit dans l’industrie locale ou régionale, ses effets à moyen terme sont néfastes.
Au Japon, ce dispositif a conduit à ne prêter qu’aux industries les moins susceptibles de ne pas rembourser, aux dépens de celles qui, même si leur investissement financé par l’emprunt semblait très prometteur, paraissaient moins solides.
Les uns, les autres et les troisièmes annoncent des mesures fiscales pour réduire la dette, ou relancer l’économie, sans pratiquement jamais expliciter ce qu’elles impliquent réellement. Toutes les mesures reposent sur un pari, mais il n’est jamais dit réellement qui peut en bénéficier et qui peut en pâtir. Il serait peut-être temps que les électeurs relèvent leurs niveaux d’exigence. Ils sont sans doute prêts à consentir des sacrifices, mais ils sont en droit d’exiger qu’ils soient mieux partagés.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Comment les banques et leurs États pillent les épargnants »

  1. Au fait, avec plus de 310 millions d’habitants, les États-Unis comptent 535 parlementaires (un pour près de 600 000 h).
    La France, avec 65 millions, compte 350 sénateurs et 577 députés (927), soit un parlementaire pour 70 000 h.
    Cherchez l’erreur, et cherchez quel candidat se prononce sur ce point.

  2. [b] »Allemagne / Obligations : taux d’intérêt à un an allemands proche de 0 %, forte demande des investisseurs » et « a même emprunté à taux négatif à six mois début janvier. »[/b]
    [b]à voir sur:[/b]

    [url]http://www.gecodia.fr/Allemagne-Obligations-taux-d-interet-a-un-an-allemands-proche-de-0–forte-demande-des-investisseurs_a3388.html[/url]

    [b]Et Merkel soutient la candidature de Sarkozy…[/b]

  3. Merci de cette appréciation, Fabien.
    Cela étant, j’ai un peu caricaturé. La politique des taux zéro est assez complexe, et rémunérer fortement les dépôts et l’épargne de tout un chacun a aussi des conséquences pour l’économie. Mais en fait, effectivement, sur l’essentiel, on arrive, avec des taux proches de zéro, à un intérêt négatif pour l’épargnant (il est érodé par l’inflation réelle, généralement minorée par qui la calcule).

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