Syndicalement incorrecte, telle se présente la filiale française du groupe Hachette, Harlequin, dont la fameuse collection de romans à l’eau de rose se vend annuellement à douze millions d’exemplaires  (avec plus de 500 titres par an) en France. Mais pour rémunérer correctrices et correcteurs, cet employeur sucre un bon cinquième du décompte conventionnel en usage dans la profession. Le régime crème fleurette ainsi allégé ne convient plus ; sept correctrices ont refusé un accord de la direction et l’une d’elle est menacée de licenciement.


Sept  correctrices, sur les 22 correctrices et correcteurs de la Collection Harlequin, poursuivent leur employeur aux Prud’hommes, refusant un accord patronal pérennisant une pratique insolite dans la profession.  Les syndicats organisent un rassemblement de soutien devant le siège parisien (83, bd Vincent-Auriol, station Chevaleret) le vendredi 28 mai à partir de 12 h 30.

 

En France, les journalistes pigistes sont généralement rémunérés au feuillet (de 1 500 signes, espaces typographiques incluses), les traducteurs au mot de la langue d’origine, et les correcteurs au signe. Si ces professionnels sont des salariés permanents (c’est le cas des pigistes réguliers), divers autres modes de rémunération – telle la mensualisation – peuvent être envisagés mais les règles du travail à la tâche en usage dans ces professions sont respectées. La correction orthotypographique porte autant sur le fond (élimination des anachronismes, incohérences, fautes de style) que sur la forme (orthographe, règles typographiques, respect de la mise en page). Et les « blancs » (interlignes, intermot, retraits d’alinéas, &c.) sont traités avec la même attention. C’est pourquoi le décompte des signes permettant de fixer la rémunération les inclus. Chez Harlequin, pour les professionnels mensualisés, le décompte sucre ces signes, ce qui peut réduire d’un cinquième le montant réglé. Chez Harlequin, cela équivaut à rétribuer « à huit heures brut de l’heure » la plupart de ces correctrices et correcteurs, estime Hanne Hébrard, du syndicat CGT des correcteurs.

 

La plupart des correctrices et correcteurs sont des précaires, souvent super-diplômés (bac +5 et au-delà), mais si les employeurs les incitent à être rétribués en droits d’auteurs (aux charges patronales très allégées) ou à opter pour le régime d’autoentrepreneur (qui facturent en exonérant de la TVA), il y a encore des mensualisés ou des permanents dans l’édition, la presse ou le « labeur » (imprimerie hors presse). Mais être permanent peut consister aussi à recevoir un quota mensuel de tâches dont la rémunération peut varier en fonction du volume traité.  Selon la difficulté des tâches (la correction d’ouvrages de mathématiques, de médecine, de documents juridiques ou techniques est souvent très exigeante et chronophage), les tarifs peuvent varier et une rémunération horaire peut même être envisagée. Mais ce taux horaire est le plus souvent, voire toujours, fonction d’un décompte de signes incluant les « blancs ».

 

Sur les sept correctrices ayant refusé l’accord d’Harlequin, l’une fait l’objet d’une procédure de licenciement et une autre d’un avertissement. Harlequin emploie ses correcteurs à domicile, et leur confie jusqu’à huit ou dix titres par mois (entre 700 et 800 pages). Si beaucoup de correcteurs ou traducteurs acceptent souvent des rémunérations dérisoires par rapport à leurs formations et leurs aptitudes, c’est aussi parce que l’intérêt des ouvrages ou articles constitue une compensation. Dans le cas des romances d’Harlequin, le travail est particulièrement fastidieux : les types de personnages sont toujours pratiquement les mêmes, le style formaté au plus simple (sujet-verbe-complément, phrases courtes), les situations convenues et interchangeables. Mais les auteurs, qui produisent « au kilomètre » des poncifs sont parfois ardus à corriger tant sur le fond (la cohérence) que sur la forme. Pour Rue89, sous couvert d’anonymat, une correctrice livre ses impressions sur son labeur. Les titres sont des produits, régulièrement testés par des panels de lectrices, et les auteurs traduits sont en fait pratiquement tous « adaptés » pour conférer une « couleur locale » (voire publicitaire locale, comme pourrait le suggérer l’article « La Machine Harlequin », du Figaro). Un stagiaire donne les clefs de cette fabrication en chaîne sur son blogue-notes. Dans une étude collective, Le Cliché (PU du Mirail, sous la dir. de Gilles Mathis), Anne Herschberg-Pierrot évoque à son propos un « dispositif d’usinage ». Et pour les correctrices et correcteurs d’Harlequin, c’est bien l’usine, mais à un taux horaire en-deçà souvent de ceux pratiqués dans la plupart des usines européennes…

 

N.-B. – Les couvertures des deux ouvrages Harlequin en illustration ont bien évidemment été « détournées »… Harlequin ne fait dans l’érotisme que parcimonieusement, sans la moindre trace de matière grasse comme pour les rémunérations de correction, et la règle de division dite du concuvit s’applique rigoureusement. L’image ci-dessous, vue sur Rue89, serait authentique :

 Collection Harlequin