témoignage

«Moi, Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, j’ai honte»

 

Ce n’est pas le premier article que j’aie produit sur cette citée tant elle représente la misère de nos banlieues, d’ailleurs, dernièrement, j’ai écrit à Luc Bronner journaliste du Monde.fr un message sur un de ses articles concernant l’abstention, «l’abstention en banlieue plus grave que les émeutes». Cet article porte sur Clichy-sous-Bois que je connais un peu, mon épouse a habité jusqu’à notre mariage à Livry-Gargan, c’est juste en dessous, ce n’est pas loin non plus de l’hôpital de Montfermeil ou je suis allé de nombreuses fois, tout ça est en Seine-Saint-Denis l’un des départements des plus pauvres de France ou sont mêlés toutes sortes de communautés dont les plus malheureuses se retrouvent à Clichy-sous-Bois, la honte de notre république.

Voici le message :

Votre analyse que j’approuve transpire une réalité, celle de ces habitants qui se sentent en dehors de la vie nationale, rejetés en dehors des centres ville comme pour ne plus les connaître et les voir, les ignorer en quelque sorte. L’exemple de Clichy-sous-Bois et caractéristique, perché sur une hauteur à partir de Livry-Gargan, on a l’impression lorsque l’on monte la cote de sortir de la civilisation pour rentrer dans un autre monde, celui des HLM tagués resplendissants de misère. Que l’abstention soit forte n’est qu’une traduction de ce rejet. Pourquoi un pauvre de ces banlieues irait voter pour un candidat qui gagnera plusieurs milliers d’euros par mois et qui sera incapable de lui apporter, non pas de l’argent mais de l’espoir, car ces gens n’ont pas d’espoir de vie. Sans travail, c’est une existence misérable et comment en avoir lorsque l’on habite dans ces banlieues, l’évocation de son seul domicile suffit à vous éliminer indépendamment du langage qui bien souvent n’est pas très riche, malgré la compétence associée à la volonté de ces habitants de travailler.

Clichy-sous-Bois est au bout du monde, et c’est vrai à 15 km de Paris il faut plus d’une heure et demi pour s’y rendre, bus et RER.

J’ai écrit un article sur mon blog intitulé "Clichy-sous-Bois" ici : http://anidom.blog.lemonde.fr/2008/11/01/75-clichy-sous-bois/ , et sur "les abstentions la fin de la démocratie" ici : http://anidom.blog.lemonde.fr/2010/03/24/les-abstentions-la-fin-de-la-democratie/.

L’article que je présente est le témoignage du maire de Clichy-sous bois Claude Dilain 61 ans, est un maire inquiet et en colère. L’élu socialiste de Clichy-sous-Bois, 30 000 habitants, la commune de Seine-Saint-Denis mondialement connue pour avoir été l’épicentre des émeutes de l’automne 2005, ne cache pas ses craintes face à la ghettoïsation de la société Française. Maire depuis 1995, réélu au premier tour en 2008, il a vu défiler un nombre incalculable de ministres, de parlementaires, d’experts internationaux, de sociologues, de journalistes, venus s’informer sur les causes de la «crise des banlieues». A tous, il fait visiter sa ville et ses quartiers, convaincu de la nécessité de faire connaître la gravité de la crise sociale et urbaine, soucieux aussi de faire exister les banlieues dans l’agenda politique et médiatique pour espérer obtenir une action plus volontariste.

Pédiatre de formation, Claude Dilain, qui continue d’exercer quatre demi-journées par semaine dans sa ville, se désole de l’insuffisance et de la lenteur des politiques publiques en faveur des banlieues populaires. De l’indifférence de la société vis-à-vis des cités sensibles. Un manque d’intérêt auquel le président de l’association Ville et banlieue donne une explication sociologique, suivant les travaux de l’économiste Eric Maurin, auteur du Ghetto Français (Le Seuil, 2004), il est convaincu que la concentration des populations pauvres et immigrées dans certaines villes, certains quartiers, arrange la société, en particulier les classes moyennes et favorisées, qui évitent ainsi d’avoir à cohabiter, et à scolariser leurs enfants, avec des populations plus fragiles.

Luc Bronner.

Voici l’article du Monde.fr paru le 11 avril 2010.

Le quartier du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en janvier 2010. CAMILLE MILLERAND POUR  «LE MONDE».

Le premier édile de l’une des communes les plus pauvres de France lance un cri d’alarme sur une réalité encore trop dédaignée par les pouvoirs publics.

Lundi 29 mars 2010, nouvelle semaine banale à Clichy-sous-Bois, ville dont je suis le maire depuis 1995. Avec Xavier Lemoine, le maire de Montfermeil, la ville voisine, nous accueillons une délégation de parlementaires dans le cadre d’une «mission d’évaluation des politiques publiques dans les quartiers en difficulté». Démarche logique, notre territoire, parmi les plus pauvres de France, est éligible à tous les dispositifs mis en place depuis des dizaines d’années. Il incarne la «politique de la ville», une des politiques publiques les plus évaluées, les plus remises en question aussi, sans doute parce qu’elle n’a pas réussi, seule, à enrayer la ghettoïsation de nos quartiers. Lors de cette journée, je veux faire connaître la réalité méconnue de Clichy-sous-Bois, commune enclavée à 15 km de Paris.

Je souhaite aussi que les dizaines de personnes qui s’investissent au quotidien dans les associations, dans les écoles ou dans l’immense projet de rénovation urbaine puissent témoigner. Enfin, je souhaite faire passer un message essentiel, la politique de la ville, si elle n’est pas défendue au plus haut niveau de l’État par un premier ministre capable de mobiliser tous les ministères, ne peut résoudre les problèmes des banlieues les plus difficiles, quelle que soit la volonté affichée par les ministres ou secrétaires d’État successifs.

9 heures. Les parlementaires sont à peine arrivés que je suis alerté par une élue municipale, habitante du quartier du Chêne-Pointu, un local technique, squatté par des jeunes, a brûlé à  «Mermoz», l’une des barres de cette immense copropriété dégradée du centre-ville. Le feu a été assez vite circonscrit par les pompiers mais les fumées toxiques ont eu le temps de progresser jusqu’au 10ème étage. Par miracle, il n’y a pas eu de victimes graves. Je quitte les parlementaires et me rends sur place. Je découvre un hall dévasté. Jusqu’au dernier étage, la cage d’escalier est noire de suie et dans l’obscurité, les câbles électriques ayant brûlé. Nous montons les étages à la lumière de nos téléphones portables et briquets.

Inutile de dire que nous ne prenons pas l’ascenseur puisqu’il est en panne depuis des mois, comme la plupart des ascenseurs de cette copropriété de 1 500 logements. Au 4e étage, nous visitons le logement d’un «marchand de sommeil». Nous y rencontrons trois familles dans un trois-pièces dans un état effarant. L’un des enfants est hospitalisé avec sa maman. Les familles, Africaines, avec enfants en bas âge, paient 420 € de loyer par mois pour une chambre de 10-15 m2. La famille qui occupe le salon paie 700 € par mois. Le business du sommeil est rentable. Le père, en situation régulière, travaille en France depuis onze ans. Il me montre les quelques feuilles volantes, écrites à la main, qui lui servent de reçus pour le paiement de ses loyers. Aucune de ces familles n’a de bail. Elles partagent la cuisine, une salle de bains. Plusieurs fenêtres sont brisées, les murs sont noirs d’humidité. Cas isolé ? Non. Ce logement vient d’être acheté par un nouveau marchand de sommeil après avoir été mis en vente par l’administrateur judiciaire de la copropriété parce que le propriétaire précédent ne payait plus ses charges.

Dans ma commune, ce sont des centaines de logements qui appartiennent ainsi à ces profiteurs de la misère. En toute impunité, ou presque. J’invite les parlementaires, accompagnés du sous-préfet, à venir voir cette réalité. Nous nous retrouvons donc à grimper avec des lampes de poche dans les étages. Nouvelle visite de logement au 4e étage et rencontre hallucinante dans la cage d’escalier, noir complet, avec de nombreux voisins descendus ou montés pour l’occasion, venus crier une nouvelle fois leur désespoir, devant cette arrivée impromptue de représentants de la mairie, de l’Assemblée nationale et de l’État… Des pères et mères de famille que nous connaissons bien à la mairie pour les avoir reçus à maintes reprises pendant l’hiver pour des problèmes récurrents de chauffage collectif et d’ascenseurs. Je sais hélas que nous les reverrons bientôt car ces problèmes ne sont pas résolus à ce jour. Il faudra évidemment y ajouter la cage d’escalier incendiée, qui attendra probablement des mois avant d’être rénovée, à moins que les habitants eux-mêmes ne décident de la repeindre par leurs propres moyens. Cette scène, dans une cage d’escalier étroite, à la seule lumière des lampes de poche, prend des allures surréalistes.

Des personnes arrivent, toujours plus nombreuses, du dessus, du dessous… Dans ce capharnaüm, une femme monte lentement et silencieusement l’escalier, elle est pliée en deux, sous le poids d’un caddie plein, qu’elle porte avec une lanière sur le front. Elle habite au 8e étage. Nous sommes à 15 km de Paris, est-ce possible ? Dehors, une trentaine de jeunes sont venus voir le maire et ces «politiques qui ne font rien». Les parlementaires et les policiers qui nous accompagnent ne sont pas très à l’aise. Il faut dire que la semaine dernière un de leurs collègues a reçu, ici même, un projectile sur la tête, dix points de suture. Les jeunes comparent le Chêne-Pointu aux favelas.

En tant qu’élu républicain, je ne peux me résigner à cette comparaison et j’évoque, devant eux, les «plans de sauvegarde» signés en janvier dernier, qui doivent nous permettre enfin de financer les travaux d’urgence et des équipes de travailleurs sociaux chargés d’accompagner les familles, dont 70 %, oui vous avez bien lu, 70 %,  vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ces explications ne convainquent pas les jeunes. Elles ne me satisfont pas non plus en réalité. Depuis des années, j’alerte les différents ministres compétents, les préfets, le conseil général, le conseil régional, j’ai été jusqu’à l’Élysée pour parler de la situation de ces copropriétés devenues des «bidonvilles verticaux», portes d’entrée en Ile-de-France de nombreuses familles immigrées, de plus en plus précaires, qui viennent se loger à Clichy-sous-Bois faute de trouver un logement social accessible ailleurs.

Les habitants aussi manifestent et crient régulièrement leur colère et leur impuissance à la mairie, à la sous-préfecture. Sans succès. Les travaux promis depuis des mois n’ont toujours pas pu démarrer faute de notification de certaines subventions publiques, toujours en attente. Un autre scandale parmi tant d’autres. Mais je sais surtout que les financements obtenus sont de toute façon largement insuffisants pour trouver une réponse globale. Je sais qu’il nous faudra innover, racheter en masse les logements des marchands de sommeil et ceux des propriétaires qui ne peuvent plus faire face aux charges collectives, mais aussi faire évoluer les législations sur les copropriétés dégradées.

Je sais que sans une volonté politique forte, sans un travail étroit de construction avec les partenaires compétents et les habitants de ces copropriétés, toute intervention sera vouée à l’échec et nous resterons dans l’impasse. La scène que je vous ai décrite n’a, hélas, rien d’exceptionnel et n’a mérité qu’une brève dans les pages locales du Parisien. De même, le policier blessé la semaine dernière au Chêne-Pointu n’a pas mérité de faire partie de l’actualité. De tels événements font partie de notre quotidien et continuent à se produire très régulièrement dans ma commune. Qu’attendons-nous ? De nouvelles émeutes ? Que la «Cocotte-Minute» explose ?

Aux dernières élections régionales, le taux de participation aux élections a été très faible à Clichy. Mais comment reprocher aux électeurs Clichois de se désintéresser d’élections pour des institutions dont ils se sentent exclus, sur ce territoire abandonné de la République ? J’espère que les députés et représentants de l’État, témoins de cette journée ordinaire dans ma ville, seront porteurs de cette réalité au plus haut niveau de l’État. Parce qu’aujourd’hui, moi, maire de Clichy-sous-Bois, j’ai honte d’être le représentant impuissant de la République Française.

Post-scriptum : une réunion sur le «plan de sauvegarde» du Chêne-Pointu devait avoir lieu vendredi 9 avril. Elle a été annulée au dernier moment, la plupart des représentants institutionnels n’ayant pas pu se rendre disponibles.

© Le Monde.

Cette situation ne fait pas la Une des médias, elle n’est pas vendeuse comme les rumeurs sur le couple présidentiel qui sont reprises par tous.

La rumeur, suite et fin ?
envoyé par franceinter. – Gag, sketch et parodie humouristique en video.

Comment dans un pays riche comme le notre, nous puissions avoir une telle misère qui est condamnable pour non assistance à personnes en danger.

Clichy-sous-Bois n’a pas changé depuis les émeutes du 27 octobre 2005 en fin d’après-midi, une dizaine de Clichois reviennent à pied du stade Marcel-Vincent de Livry-Gargan, où ils ont passé l’après-midi à jouer au football. En chemin, ils passent à proximité d’un grand chantier de construction. Un riverain signale par un appel téléphonique une tentative de vol sur une baraque du chantier au commissariat de Livry-Gargan. Celui-ci dépêche un véhicule de la brigade anti-criminalité. La police nationale essaye ainsi d’interpeller six jeunes individus, dont quatre très rapidement dans le parc Vincent Auriol. Deux autres dans le cimetière qui jouxte le poste de transformation EDF où se sont réfugiés trois autres fuyards, Bouna Traoré (15 ans), Zyed Benna (17 ans), et Muhittin Altun (17 ans), qui prennent alors la fuite.

Cherchant à se cacher dans un transformateur, Bouna Traoré (15 ans), Zyed Benna (17 ans) meurent par électrocution dans l’enceinte d’un poste source électrique. Le troisième, Muhittin Altun, est grièvement brûlé, mais parvient à regagner le quartier. D’après les enregistrements des conversations radio, un gardien de la paix présent sur place, dit trois fois à ses collègues qu’il a vu les jeunes se diriger vers l’installation électrique et lance, «S’ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau».

Une procédure judiciaire est en cours suite à la plainte déposée par les parents des jeunes. Deux policiers ont été mis en examen en février 2007. Le 27 octobre 2007, à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort des deux jeunes, le père de Benna a déclaré selon le Nouvel Observateur : «L’affaire prend du retard (…), il faut que ça avance et que les policiers soient jugés».

Des voyous ces jeunes peut-être des pauvres enfants surement qui ont payés de leur vie l’éducation qu’ils n’ont pas reçue. Vivre en bandes pour eux est une façon d’exister, moi aussi lors de l’occupation Allemande de 40-44 j’étais en bande et j’allais dans les carrières des «Buttes à Morel» de Montreuil-sous-Bois. Ces Buttes truffées de carrières dangereuses permettaient de nous retrouver pour discuter et se battre avec d’autres bandes, mais rien de bien méchant, nous n’avions pas autre chose à faire. Nous en sommes sortis par ce que nous avions du travail, tous mes copains les plus voyous si l’on peut dire sont devenus des gens respectables malgré le peu d’éducation reçue. Il y avait une discipline qui nous unissait, celle de la misère, tous pareils nous étions. Seulement à 14 ans on trouvait du travail et l’engrenage potentiel du voyou était rompu ce qui n’existe pas aujourd’hui. La misère de l’occupation nous rapprochait de nos parents par ce qu’il fallait vivre, ce qui pour les miens n’était pas évident. Nous ne sommes plus dans ce contexte, notre monde a changé, les moyens de communications ont tout transformé, et montrent le fossé qui sépare ceux d’en haut de ceux d’en bas, c’est tout le problème, on n’accepte plus ce que nous acceptions de rester bien sage dans notre monde.