« Sans liberté de blâmer… ». Alors que Le Parisien n’est plus « libéré » et que le groupe Hersant a retiré à certains journaux leur devise ou sous-titre (ainsi du quotidien L’Union qui n’est plus « grand journal issu de la Résistance » comme naguère), le Figaro de Dassault a conservé la citation de Beaumarchais en bandeau. Louons donc l’équipe de modération du Fig’ qui sait admonester pour mieux louer ou mettre en valeur ce qui doit l’être. La délicate affaire Clearstream, qui divise son lectorat, en offrira-t-elle maintes illustrations ?


Restons sérieux. Monter en épingle une petite boulette de l’équipe de modération du site du Figaro n’autorise pas à se draper de l’étendard des victimes de la répression de la liberté d’expression. D’aucuns disent que la célèbre répartie du regretté Maurice Clavel (« Messieurs les censeurs, bonsoir ! », adressé au plateau d’animateurs de l’émission de la première chaîne de l’O.R.T.F., À armes égales, le 17 février 1970), avait été, de sa part, pas si spontanée qu’il n’y parut… N’empêche. Au jeu des feintes indignations, je pourrais me targuer d’avoir reçu pain béni des « modos » du site du Figaro et me parer de l’étole des bâillonnés de l’Inquisition des publicistes. Pas moins ! Peut-on, en effet, oui ou non, rappeler que l’État du Vatican, dont les enseignements via ses filiales universitaires en France sont désormais reconnus par la République Française, est aussi un paradis fiscal ? Ou doit-on considérer que faire allusion au chanoine du Latran et protochanoine d’Embrun, sans mentionner nominativement Nicolas Sarközy, embrouillerait le lecteur et vaudrait qu’une réaction à un article du Figaro puisse passer à la trappe ? Il ne s’agirait plus de censure, mais de mesure « technique ». Venons-en au(x) fait(s).

 

Alors que Libération et d’autres titres bien en cour ne profitent guère de la médiatique affairefigaro_censure.png Clearstream pour évoquer ce qu’est vraiment Clearstream Banking et revenir sur la mansuétude dont bénéficient toujours les paradis fiscaux et ces institutions financières (dont les banques françaises) qui les alimentent, Le Figaro a fait un effort. En effet, sous la plume de Mathieu Delahousse, le quotidien de la maison Dassault évoque « Robert et Bourges, acteurs d’un scandale qui les a dépassés ». Il s’agit d’une part du journaliste Denis Robert (enfin, de l’ex-journaliste Denis Robert, selon, sans doute, la Commission de la carte de presse, mais il collabore toujours à Siné Hebdo). Lequel, informé par Florian Bourges, alors auditeur chez Clearstream, a démonté patiemment les modes de fonctionnement de cette chambre de compensation sise au Luxembourg. La véritable affaire Clearstream, celle qui vaudra à Siné d’être viré de Charlie Hebdo par Philippe Val sous un prétexte commode, n’est pas tout à fait celle qu’on nous donne en pâture. Cet article, factuel, prudent (qui qualifie de « controversés » les livres de Denis Robert sur Clearstream), révèle l’essentiel : « plus de 33 000 comptes ont été abrités par la chambre de compensation luxembourgeoise dans 107 pays, dont 41 territoires à la législation clémente s’agissant des délits financiers ». Et à l’heure actuelle ? Ne comptez guère sur Le Figaro pour se livrer à un récapitulatif actualisé des pratiques des chambres de compensation. Mais, de la part de Mathieu Delahousse (ira-t-il loin ? ce « petit », comme pourrait l’écrire Siné… peut-être, sans doute moins vite que d’autres…), et du Figaro, qui n’ira sans doute pas détailler la liste des comptes à l’étranger de son principal actionnaire (il faut savoir ne pas aller trop loin), c’est méritoire.

 

 

De même est-il remarquable et salutaire de laisser passer nombre de réactions peu amènes à l’égard des actuels pouvoirs politiques et financiers français. Mais dans ce cas, pourquoi retoquer celle qui suit (reproduite, en fac-similé, ci-contre) ?

 

En quoi écrire ce qui suit viole-t-il, comme le soutient « l’Équipe d’animation de la communauté Mon Figaro », la « charte de modération monfigaro.fr » ? La réaction incriminée est la suivante :

« Bref, on a compris… Ce procès en trompe l’œil va aussi servir à blanchir Clearstream, les chambres de compensation, et les paradis fiscaux.Au fait, le chanoine et protochanoine, quand s’en prendra-t-il à ce paradis fiscal qu’est le Vatican ? Non, non, rien ne doit changer, tout, tout doit continuer… ».Avouons-le, ce n’est pas une contribution majeure au débat, ni une réaction d’une tenue littéraire méritant la postérité. Ce n’est pas cela qui va nous éclairer sur les mécanismes permettant à l’administration française de, supposément, détenir des noms de fraudeurs fiscaux qui pourront fort bien nier impunément conserver des avoirs à l’étranger car les dispositifs actuels n’obligent en rien les banques étrangères à fournir des éléments incriminants. Lorsque l’Allemagne aurait fourni à la France des noms de fraudeurs détenant des fonds au Luxembourg, il a été avancé que certains auraient farouchement nié et que rien de solide, faute de preuves émanant des banques en question, n’aurait pu être retenu contre eux. Les mesures contraignantes à l’égard des paradis fiscaux n’ont en fait rien de bien contraignant. Cela vaut sans doute tant pour l’Institut pour les Œuvres de religion (I.O.R.) que pour l’Administration du patrimoine du siège apostolique (Apsa), que l’on regroupe communément sous l’appellation sommaire de « Banque du Vatican ». Certes, préjuger d’une décision de justice n’est pas tout à fait convenable. Ce n’est pourtant pas le cas ici. Et écrire qu’une audience fera office de « trompe l’œil » n’est guère condamnable. D’ailleurs, s’il ne s’agit que d’un bénin écart de langage, l’équipe de modération en commet bien d’autres. Son formulaire commence en effet par :« Votre message et/ou contenus/contenu a été modéré. Votre contenu ne respecte pas la charte de modération lefigaro.fr. » Le « et » est superflu, car dans ce cas le « ou » est inclusif, et un simple « la teneur de votre message ne respecte pas la charte… » serait plus idoine.Serait-ce que le terme « protochanoine » (qui vaut « primicier », soit primus inter pares) aurait été mal interprété ? On s’autorisera à en douter. figaro_modo.pngUne explication serait tentante : plutôt que de noyer cette réaction dans la masse de celles qui vont s’accumuler sous l’article en question, la rejeter conduit à lui conférer – ailleurs que sur le site du Figaro – une importance qu’elle n’a pas. Ils n’iront pas bien loin, ces modérateurs, estimerait sans doute Siné, dans ce – très hypothétique – cas de figure. On peut en tout cas se demander comment fonctionne la « modération » au Figaro. Qu’un certain Mo7899 puisse écrire « Robert le mythomane » sans que la « modération » s’inquiète, cela « passe encore » (avec guillemets de distanciation). Qu’un courageux Zonard, sous le titre « Journaliste, auditeur etc… » (sic, car il s’agit d’une redondance, &c. aurait suffi) puisse qualifier Denis Robert et Florian Bourges de malfaiteurs, sans que la « modération » s’émeuve est assez cocasse (« En clair des escrocs quoi, et qui en plus en tirent un max de fric… » écrit le surnommé Zonard). Ne serait-ce pas diffamatoire ? Bah, Denis Robert, qui a retiré de ses articles et livres un « max » de dettes, de visites d’huissiers, de désagréments qui auraient conduit bien d’autres confrères au suicide (cela s’est vu, cela se voit parfois encore…), n’en est plus à cela près. On le sait. Le risque n’est donc pas bien grand. Voire totalement négligeable. En revanche, ce ridicule et dérisoire incident m’offre l’occasion non négligeable de signaler que Denis Robert présentera, dans le cas de l’exposition Junk, de nouvelles créations à la galerie parisienne W. Cette exposition, qui confronte ses œuvres à celles de Régis R, se déroulera jusqu’au 30 octobre 2009. La galerie W est toujours sise 44, rue Lepic, à Paris, à proximité de la place de Clichy. Denis Robert et Régis R y sont liés temporairement. Par un junk bond particulier. Par une articulation, un huis, derrière lequel on entendra peut-être encore un comte balzacien (de Saint-Vallier, de Nagy-Bocsa, de Villepin ?) « aux écoutes » (dans Maître Cornélius, et non point Maître Puntila, assurément, quoique…). Régis R a intitulé sa monumentale sculpture ARTuro et dans le même logis, préservé du « merdier » ambiant, pourrait écrire Éric Landau, on retrouvera les fameuses listes, celle de l’album BD L’Argent invisible, premier tome de la série « L’Affaire des affaires » (de Denis Robert, Laurent Astier, Yan Lindingre, chez Dargaud). On verra bien si ARTuro fera pisser quelques lignes au préposé culturel du Figaro. Ce n’est absolument pas impossible. D’ailleurs, le magazine Madame Figaro, à propos de Marie-Céline Somolo et Céline Brugnon, galeristes de La B.A.N.K. avait déjà évoqué l’artiste Denis Robert. Après tout, c’est bien une ministre de la Culture de la Sarközye qui a voulu acquérir les manuscrits du situationniste Guy Debord. Non, non, rien n’a changé, tout, tout va continuer…