L’audience d’hier lundi du procès Clearstream II aura au moins permis à des dessinateurs de faire de nouveaux croquis d’audience. C’est déjà cela de pris pour les précaires. Sinon, rien à signaler de neuf, le trompe-l’œil sied bien aux plafonds de la salle d’audience, en répons (comme on dit en Bretagne, des chansons). Sauf que…

Or donc, ce lundi matin 9 mai 2011, dame Anne-Gabrielle Heilbronner, épouse Lahoud, Imad, a confirmé les dires de son mari : Yves Bertrand, ancien patron des RG, qui le dément, aurait assisté à la scène où Jean-Louis Gergorin demande à Lahoud de rajouter des patronymes de la famille Sarkozy sur les fameux listings de Clearstream Banking. Dommage, je n’étais pas le matin à l’audience, j’ai raté l’épisode. Ah, non, ce n’est pas tout à fait cela : elle a simplement dit que le livre de son mari sur l’affaire avait été soumis à de Villepin (qui s’en est défendu) et qu’il aurait été suggéré de supprimer deux passages qui auraient pu être gênants pour Villepin. Elle a confirmé la teneur de sa lettre à la présidente Beauquis : le manuscrit aurait été remis à Philippe Faure, proche de Dominique de Villepin. Les passages portaient sur le fait que le ministre de l’Intérieur disposait d’un Blackberry pour être contacté (sur divers sujets qu’on suppose sensibles) et sur le nombre des rencontres entre lui et Gergorin. Et en fait, ce serait Gergorin qui aurait demandé à Lahoud d’aller voir Yves Bertrand au ministère de l’Intérieur, cette fois celui de Sarkozy, successeur de Villepin, pour s’entendre dicter, à lui, Lahoud, de rajouter des noms évoquant Nicolas Sarkozy. Faut suivre…  Et ne pas s’en remettre aux comptes rendus oraux qui vous sont faits brièvement des propos tenus dans la matinée. Remarquez, vu la qualité de la sonorisation, j’aurais pu y être, et m’emmêler les pinceaux. Marcel Gay, de L’Est Républicain, rapporte ce que de Villepin va dire et redire l’après-midi : « Je veux bien que l’on me reproche une abstention, mais plusieurs services de l’Etat sont saisis, un juge d’instruction dispose d’éléments, la DGSE connaît beaucoup de choses, le patron de la DST dit qu’en 5 minutes il aurait pu savoir qui était responsable de la manipulation… ». Entendez : que si la DGSE avait communiqué avec la DST, ce cauchemar aurait été épargné à de Villepin et à tous ceux dont les noms ont été indûment rajoutés. Restent quand même tous les autres noms. Denis Robert, qui sera de nouveau entendu en qualité de témoin cette fois, pourra peut-être en parler, si la présidente n’estime pas que ce soit hors-sujet…

En revanche, l’après-midi, j’étais donc dans l’assistance, aussi clairsemée que les bancs de la presse. Là, histoire de demander à Imad Lahoud, à la levée des débats, s’il se souvenait d’avoir déclaré à Jean Galli-Douani, en 2006, qu’il s’était senti manipulé par « les services secrets » qui roulaient pour un certain Nicolas Sarkozy. Chou blanc. Imad Lahoud se souvient-il de Jean Galli-Douani ? « Non ». Donc, vous n’avez jamais rencontré ce monsieur ? « Écoutez, je n’ai aucune déclaration à faire, je n’ai rien de plus à dire que ce qui a été dit ce matin ». La présidente a bien lu une lettre d’une personne citée lors de l’instruction et des débats, mais ce n’est pas la lettre que Jean Galli-Douani lui a adressée. Aucun des principaux avocats (défense, parties civiles…) n’en a entendu parler. On verra bien mercredi à la reprise.

Or donc, Jean-Pierre Chevènement veut se présenter à la présidentielle pour « faire bouger les lignes ». Que n’est-il devenu, comme Dominique de Villepin ou Rachida Dati, avocat ! Il aurait peut-être pu faire bouger des lignes défensives qui n’ont guère varié d’un iota. Finalement, personne ou presque, peut-être quand même Michèle Alliot-Marie, n’était au courant de rien qui vaille de s’en préoccuper plus longuement. En fait, tout le monde était au parfum, mais il était urgent de ne rien faire ou plutôt, de laisser faire le voisin, l’autre ministre, l’autre administration, l’autre officine.

Du coup, les bancs de presse du matin ont été plus déserts l’après-midi. Dommage, quelques petites phrases auraient bien fait leur effet. Genre : « nous ne sommes pas experts en rondologie !» (de Villepin, à propos des ministres et du général Rondot). Ou encore, du même : « je ne me prends pas pour Sherlock Holmes ! ». Ben oui, de Villepin fait ce qu’on lui a enseigné rue Saint-Dominique (IEP), à l’Ena, au Quai d’Orsay, dans les cabinets ministériels : surtout, botter en touche, laisser faire les services compétents, sentir le vent, résumer ce qu’on confie aux subalternes. Et cela se prétend homme d’État ? Oh, plutôt deux fois qu’une. Drôle d’État, drôle de république…

Ma consœur de France Culture manie fort bien son éventail. Il fait chaud, pas vraiment besoin de prendre des notes, d’une certaine façon les déclarations des avocats devant les caméras suffiront : on tourne en rond. Enfin, oui et non, pas tout à fait, mais les fameuses lignes Maginot sont inébranlables : Gergorin s’est laissé abuser, y croyait dur comme fer, de Villepin avait d’autres chats à battre et c’était à MAM de voir l’affaire avec Chirac. Je sais, c’est résumé à l’emporte-pièce.

« Il y a un endroit dans l’appareil d’État où l’on sait que Monsieur Gergorin est le corbeau ? Ce n’est pas le ministère de l’Intérieur [Ndlr. celui de D. Galouzeau de Villepin, auteur de cette forte insinuation), c’est le ministère de la Défense. » Et ma foi (comme dirait Gergorin), c’est tout à fait vrai. Dans cet appareil d’État fractionné, compartimenté, où chacun se refile la patate chaude, où tout est contingenté, personne ne décide vraiment de rien : à quoi bon d’ailleurs des ministres, un gouvernement, comme semble le démontrer la Belgique, qui s’en passe provisoirement.

« Le général Rondot va voir le président de la République, via le ministère de la Défense, pas par mon intermédiaire, » insiste de Villepin qui se lave les mains de cette affaire ne reposant que sur des supputations. Ce n’est donc pas que de Villepin ait voulu enterrer une fois de plus l’affaire Clearstream I, celle de Denis Robert. C’est que, dans les ministères, on pense à son avenir politique, à ce pourquoi on est nommé, aux tâches dévolues, aux affaires courantes qu’on délègue, dans la pure tradition de l’Ena, pas vraiment à ce qui fait le quotidien des Françaises et des Français : les réductions budgétaires du fait de l’évasion fiscale, pour ne citer qu’un cas de figure.

En revanche, Chirac aurait dit à de Villepin que ce serait le garde des Sceaux qui informerait Nicolas Sarkozy du fait que des patronymes (Pal Sarkozy, Bocsa) l’évoquant figuraient sur les listings. « Michèle Alliot-Marie ne m’a rien dit, à aucun moment, et elle n’a jamais dit qu’elle m’avait informé, » poursuit-il. De toute évidence, si elle roulait déjà à l’époque pour Nicolas Sarkozy, comme une partie de certains services qui misent sur le prochain président, cela peut se concevoir.

Bizarre audience qui tourne à l’interrogatoire de garde à vue : Gergorin, de Villepin, se répètent sur tous les tons, l’un était sincère, mais abusé, l’autre attendait que la DGSE lui en dise plus avant de s’alarmer et de lever le petit doigt. Je vous le fais très synthétique, mais comme en garde à vue, chacun doit reformuler les mêmes réponses pour contrer les mêmes questions reformulées à l’envi.

« L’action de l’État n’est pas un exercice de divination, » reprend de Villepin. Ce ministre de l’Intérieur a des milliers d’intitulés de comptes Clearstream Banking sulfureux sous les yeux, mais tant que les Finances ou la DGSE ne bougent pas sur le Karachigate, sur tout le reste, ce n’est pas son affaire !

Ou alors, ou alors, personne ne veut mettre le nez dans l’enquête de Denis Robert. Celle que, peut-être, d’autres acteurs, via d’autres protagonistes, veulent relancer. Ce sera en vain. Finalement, Clearstream II vaut contrefeu de Clearstream I.

Peut-être le but est-il en fait que le juge Renaud Van Ruymbeke s’enferre sur de fausses pistes. Ou au contraire de le faire réagir en le lançant sur les vraies pistes, celles qu’on veut atteindre en pimentant l’affaire avec de fausses, mais médiatiques, spectaculaires. Qui l’a voulu ? Circulez, rien à voir. Le gendarme me dit de me rasseoir : je tentais, debout, du fond de la salle, de comprendre qui plaidait pour qui au juste.

Gergorin : « en septembre 2004, c’est la chape de plomb. Tout le monde est au courant et ne veut en parler… j’ai eu l’impression qu’on voulait tout étouffer alors que tout le ministère de la Défense était au courant de mon rôle. ».

L’impression que cela donne, c’est celle d’une partie de billard à trois bandes. Avec des services tentant d’en savoir davantage, d’autres ne voulant que favoriser les promotions de leurs chefs, Nicolas Sarkozy voulant retourner l’affaire à son avantage et peut-être, peut-être, éliminer Gergorin.

Pourquoi éliminer Gergorin ? Oh, pas en soi, pas par vindicte. Mais pour déstabiliser Philippe Camus, du groupe Lagardère et surtout coprésident exécutif d’EADS. Il était question « sous la houlette de Brice Hortefeux », indique Gergorin, de réunir les « cons » (les conglomérats) EADS, Airbus, Thalès. « Clearstream est utilisé pour déstabiliser Camus à travers moi. C’est un vrai bulldozer politique, Chirac et Sarkozy sont d’accord pour remplacer Camus par Forgeard, » lâche Gergorin (ndlr. à la tête d’EADS-Airbus).

Les bancs de presse sont déjà désertés. Cela devient trop compliqué pour le lectorat moyen. Les histoires d’accord Daimler-groupe Lagardère pour réformer la gouvernance d’EADS, passent forcément au-dessus de la tête du public non-spécialiste. De la mienne aussi, pour tout vous avouer.

Et pourtant, je connais aussi – un peu – ce dossier (j’ai luClearstream-Eads – Karichigate, le syndrome du sarkozysme, nombre d’articles, divers dossiers, aussi). Je sais bien ce que Denis Robert préconise pour en finir avec le flou des mécanismes des chambres de compensation telle Clearstream Banking. J’ai pris sept pages de notes serrées, pas relevé d’autres petites phrases rigolotes. J’ai bien noté que Gergorin lâche : « Lahoud approche de la vérité sur Thomson et Alain Gomez » (Pdg de Thomson CSF jusqu’en 1996, qui avait tenté de déstabiliser le groupe Lagardère, qui fait fusionner Matra et Hachette). Mais, bon, c’est de l’histoire ancienne, non ? Et la mémoire, ce n’est guère journalistique.

Ce qui reste actuel, c’est le fonctionnement des ministères décrit par de Villepin. « Des insinuations, on a en a tous les jours dans la presse… Doit-on réagir tous les jours ? ». Euh, oui, quand c’est porteur, quand cela permet de faire des effets d’annonces, sans doute. Sinon, la démocratie, c’est « cause toujours ». On se renvoie la balle, on demande des compléments d’information, à la rigueur.

Si cela se trouve, le pire, c’est que de Villepin n’aurait pas jugé, ni Clearstream I, ni le reste, payant. Pas utile à sa carrière. Trop vague, pas assez étayé. Il n’aurait jamais rien tenté d’exploiter, ne voyant même pas le parti à en tirer. Plus qu’un crime par omission, une faute. Pas vraiment mitterrandien. Pas à la hauteur de la fonction. Piège complet. Rets jouant sur les réflexes d’énarque, de haut fonctionnaire issu du moule. Jouant aussi avec Gergorin, animé par d’autres réflexes, sur ceux de la « gouvernance » des très grandes entreprises.

Avec un Lahoud manipulateur et manipulé, agent multiple, qui veut se faire plus gros que les bœufs (pas ceux des carottes, plus haut dans la hiérarchie). Cela a fonctionné : Villepin n’est pas président, le Karachigate n’est plus à l’ordre du jour, Clearstream I finit oublié, la sono est défectueuse sous les dorures de la justice (très beau plafond à fresques et motifs rehaussés) ce qui en dit long sur son budget, et on baille.

Bien joué, l’artiste, si l’artiste est bien finalement Nicolas Sarkozy qui, peut-être, faute de comprendre toutes les implications, a su feindre au bon moment d’organiser les événements. L’ennui, c’est que, de la manière dont les débats se poursuivent, cela risque soit de lasser grave, soit de se retourner contre lui. De Villepin, altier, livre une bonne prestation, beaucoup plus subtile que l’évocation grossière d’un croc de boucher. Gergorin est en passe de faire croire à sa naïveté et sa sincérité. Lahoud, dont l’avenir est derrière lui et qui se raccroche peut-être à la douceur retrouvée de son foyer, voudrait se faire oublier. Reste son énigmatique déclaration non encore évoquée : « je me suis fait rouler dans la farine par Sarkozy » (ce qu’il aurait en substance déclaré en privé). Il a parfaitement raison pour sa quiétude (et pour ses élèves en mathématiques), mieux vaudra botter en touche, ne se souvenir de rien… surtout ne pas embarrasser un tribunal qui s’acquitte d’une formalité. Esprit de Sarkozy, es-tu là ? Les tables judiciaires ne se soulèveront pas.