Clearstream II : le « J’accuse » d’Edwy Plenel

Une certaine justice, un président sûr (de lui) et certain (de son impunité), mais aussi une presse complaisante : « La leçon de Clearstream », éditorial d’Edwy Plenel, n’épargne pas grand’ monde. Salutaire et à saluer.

Mediapart est d’accès, hormis sa page d’accueil, réservé à ses abonnés. Articles et commentaires. Commençons donc avec celui-ci, de François Brunet : « Merci pour cette analyse qui me semble imparable quoique inaccessible à la majorité de nos concitoyens. ». Edwy Plenel tire la leçon – quasi définitive, en dépit du pourvoi en cassation d’Imad Lahoud – de l’affaire Clearstream II, qui a permis de manipuler Denis Robert, détenteur de « listings » de Clearstream Banking, pour en faire l’épisode Sarkozy-de Villepin le plus marquant de la campagne des dernières présidentielles. C’est cinglant. Imparable, pas sûr ; implacable, assurément.

En voyant qu’Edwy Plenel montait « au créneau » de la tête de la page d’accueil du site de Mediapart, je n’ai été guère surpris, ni très attiré. Je pensais plus ou moins savoir à l’avance ce qu’il pourrait écrire, et donc pouvoir me dispenser – pris par d’autres tâches – de lire de suite.
Voire de commenter à mon tour.
Mais ce n’est pas tant ce qu’il peut avancer que la manière dont il l’énonce qui me fait réagir. Car il faut lire, et parfois entre les lignes…

Inaccessible

Rien n’est plus déplorable, pour un journaliste, de ne pouvoir rendre accessible ce qu’il décrit. Du moins, à son propre lectorat. Lequel est parfaitement accessible aux arguments avancés, dans le cas d’espèce : en témoignent les commentaires des abonnées et souscripteur de Mediapart qui le démontrent.

C’est un brûlot. Une dénonciation claire et nette… Lahoud avait – par téléphone – évoqué le nom de Nicolas Sarkozy à Jean Galli-Douani. Lequel avait écrit aux juges. Déposition lue en audience et balayée d’un revers de main par le procureur…

Qu’écrit Plenel ? Ceci : « les audiences ont mis en évidence que l’univers social et relationnel de l’informaticien [I. Lahoud] n’était pas sans proximité avec l’entourage proche de Nicolas Sarkozy. ». Seulement l’entourage proche ? Nicolas Sarkozy n’était pas sans savoir, une partie de l’appareil judiciaire n’était sans (feindre d’)ignorer. La phrase suivante peut s’interpréter de diverses manières : « la source première du scénario accusateur, tel qu’il fut repris et utilisé par par le futur président de la République, n’était autre que le principal auteur de la falsification. ».
Remplacez auteur par inspirateur, et vous trouverez peut-être, comme l’a laissé songer Pierre Péan, dans sa République des mallettes, Alexandre Djouhri, ancien proche du RPR, ayant retourné sa veste pour se rapprocher du clan UMP de Nicolas Sarkozy. Voire quelqu’un de beaucoup plus haut placé. Le « candidat inspirateur » n’est pas nommé.
Mais à la question « à qui profite le crime ?», la réponse de Plenel est limpide : Nicolas Sarkozy. L’inaccessible Nicolas Sarkozy. Car, bénéficiant de la « jurisprudence Chirac », au-dessus des lois. Au-dessus aussi du décryptage d’une presse qui ne peut se livrer à la « désintox » qu’en étant totalement inattaquable, sur le fond et « au portefeuille ».

Complot

La « thèse d’un complot ordonné par Dominique de Villepin s’est effondrée, » indique Plenel. Mais non pas celle d’un complot. Celui de « la fabrication d’une fausse affaire à des fins de règlement de comptes politique. ». Plenel aurait pu mettre aussi « politiques », au pluriel, tant cette « politique » est aussi affaire de comptes, licites ou occultes. Puisque ce n’est de Villepin ou son entourage qui l’a fabriquée, « l’ultime faute (…)incombe à toute une hiérarchie gouvernementale dans laquelle se trouvait aussi bien (…) Michèle Alliot-Marie que (…) Nicolas Sarkozy. ».
En resserrant le propos de Plenel, on lui fait écrire ce qu’il n’a pas écrit, mais peut-être ce qu’il convient de lire, ou du moins, ce qu’un Émile Zola, plus libre de ses propos et plus appuyé par l’opinion que Plenel, aurait proclamé sans détour : « J’accuse ! ».

Sautons donc les paragraphes : « Ce pouvoir vient de le montrer: il est prêt à incendier son propre camp si c’est le prix de sa survie. ». Il n’y a pas qu’Alain Juppé – provisoirement ? – dans le camp de Nicolas Sarkozy à être visé. « Le grossier contre-feu Bourgi » vaut aussi avertissement à maints autres…

Complot (bis)

Ce pare-feu Bourgi, nous l’avions dénoncé ici, sur Come4News, le 11 septembre dernier : « certains reprennent, d’autres escamotent ». Avec Bourgi, passez muscade. « Il se pourrait que Bourgi ait contribué à faire passer – un temps – La République des mallettes à la trappe (…) Ignorez ce que fait ma main gauche, voyez donc ce que faisait la droite de mes prédécesseurs. » (voir « Médialogie : Djouhri, Takieddine, Bourgi… à qui le tour ? »). Le lendemain, François Bonnet, de Mediapart, arrivait aux mêmes conclusions, et nous le citions, mais un rappel n’est pas inutile : « Puisque le livre de Pierre Péan a pour personnage principal (…) Alexandre Djouhri (…) Robert Bourgi est ainsi lancé sur le devant de la scène. ».
Ce n’est pas que nous aurions été plus « fins » analystes que d’autres : dans de nombreuses rédactions, le même raisonnement a très certainement dû être tenu. « Certains retiennent… » (répercutent ou font de la rétention) pourrait-on dire, d’autres non, car ils ne sont pas en position d’écrire ce qui se discute en conférence de rédaction. Et puis, le « temps
C4N » n’est pas tout à fait le « temps Mediapart », et comme on l’a vu avec l’affaire Takieddine, divers titres, certes – aussi – frileux, finissent par s’enhardir, la pression externe confortant la pression interne.

Plenel pourrait qualifier l’affaire Bourgi de « seconde opération Reflux ». Il laisse aussi entendre que lorsque Nicolas Sarkozy menace Djouhri d’une « balle entre les deux yeux » (« phrase (…) rapportée par Pierre Péan », précise Plenel), c’est « une culture (…) faite de violence, de haine et de peur » qui s’exprime : il faut parfois prendre la métaphore pour ce qu’elle n’est pas, au tout premier degré, et l’assassinat resté mystérieux du ministre de Broglie (1976), d’autres affaires, tendent à l’accréditer.

Relayée

« Il ne reste plus rien de l’affaire Clearstream telle qu’elle fut vendue par Nicolas Sarkozy depuis six ans, relayée par des magistrats soumis et promue par des médias complaisants. ». Ainsi Plenel débute-t-il son réquisitoire. Un certain président, une certaine magistrature, une certaine presse, donc.
Magistrature chapeautée, chaperonnée de fait, non par un ministre, mais par Jean-Claude Marin « 
désormais placé tout au sommet de la hiérarchie de l’institution judiciaire » puisque « nommé cet été procureur général près de la Cour de cassation » dont « dépend l’éventuelle mise en cause de ministres devant la Cour de justice de la République. ». « Il représente la variante sophistiquée de cette justice défigurée dont le procureur Philippe Courroye fut l’instrument. » (lors du ou des Woerthgate, les affaires Woerth, Bettancourt, et nombreux consorts du Premier cercle ou de sa périphérie).
Une capitale
J aurait convenu aussi : « Justice défigurée », blafarde, devenue hideuse; « servant l’injustice », résume Plenel.

Promue

Clearstream ne fut « l’Affaire qui allait tuer les affaires » que par la (dis)grâce d’une presse qui la fit « proliférer », contribuant à « imposer une grille de lecture à l’opinion. ». Bis repetitam… (non) placent avec Bourgi, soit avec le « nouveau procureur médiatique de Dominique de Villepin. ».
Un Bourgi dont les dires auront été repris tels que s’ils sortaient de la bouche d’un magistrat du parquet s’adressant à des faits-diversiers. Y compris quand il pointe le doigt sur Alain Juppé. Une certaine presse a préféré initialement ne pas trop s’y attarder. Quand cela semble glissant, le « temps » des uns, « 
qui sommeille », n’est pas celui des autres, mais comme le chantait Charles Aznavour, le dominant doit devenir « notre », celui des lectrices et des lecteurs. Jamais il ne s’arrête, mais il peut se distordre, se suspendre, pour de bonnes raisons, comme celui de « confronter à la réalité dont elles se prévalent » des « déclarations accusatrices » avant de les « reproduire ».

Pour de mauvaises raisons aussi car, parfois, pour curer l’abcès de la rumeur, il convient de le crever et de mettre la main au pus : quand la presse tait et que la rumeur colporte, ceux qui la fomentent s’appuient sur le silence des médias. Pour « ne pas tomber dans le piège des fictions politiques qui déréalisent et illusionnent, » et « mettre à distance l’agenda officiel » d’une présidence « devenue scénariste de l’actualité et de l’immédiateté », il convient aussi de réagir d’urgence, de décrypter au plus vite. Ce qui ne consiste pas seulement à tendre le micro à l’autre camp pour un même temps d’antenne.

Plenel rappelle que l’opposition avait épousé hâtivement « la vision sarkozyste du dossier… » avec cette affaire Clearstream II. Une partie de cette opposition, une partie de la presse aussi, avait plus ou moins épousé la vision Clearstream Banking du dossier Clearstream I, le rappel n’est pas superflu.

Imparable

La démonstration de Plenel, qu’il étaye et que je résume à l’essentiel, n’est pourtant pas imparable. Mediapart, combien de divisions ? Le premier quotidien français, c’est Ouest-France, les journaux télévisés restent regardés… davantage si un DSK menotté, ou une Carla Bruni entrant en maternité, y figurent. Après « pouvoir d’achat », « travailler plus », « plus un SDF dans la rue », la cause sarkozyenne a été entendue, celle du « rassureur » des marchés financiers.

Mais une France qui a apprécié le madré Mitterrand en raison de sa duplice habileté aurait tout aussi bien pu applaudir le nouveau « contrat social » d’un Dominique Strauss-Kahn pourvu qu’il soit bien enrobé d’autre chose que de la vérité « bête, ennuyeuse et triste » évoquée par Charles Péguy et dont Plenel se fait le héraut.

Nous aurons bientôt un Sarkozy clamant : « vot’ pognon, y craint moins qu’avec ceux d’en face, on s’comprend… ». Des médias terrorisés ou complices (ou séides et affidés car terrorisés mais aussi flattés par des promesses) ont certes aussi beaucoup perdu de leur crédibilité.
Mais un, des « coups de Tarnac », valant botte de Jarnac, peuvent fort bien être de nouveau montés, crédibilisés, ressassés. Les divisions adverses (ou flottes et escadrilles, comme un commentateur de
Mediapart définit la presse dominante), en les spectacularisant, peuvent encore l’emporter.
Radio-Paris, osons l’écrire, Radio-« hongrie » (après tout, après le « Coréen national » des (« H »)uns, pourquoi pas ? mais j’évoque ici bien sûr la presse châtrée, hongre) grime et ment. Elle est malheureusement un peu plus « partout » que
Mediapart, Rue89, Siné Mensuel, ou les plus modestes AgoraVox ou Come4News.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

5 réflexions sur « Clearstream II : le « J’accuse » d’Edwy Plenel »

  1. En très clair, Edwy Plenel n’est pas loin d’écrire que Sarkozy aurait « couvert » l’affaire Clearstream II avant de la couver.

  2. « medias complaisants », la formule est insuffisante. Il s’agit de « médias complices » tout bonnement.

  3. Demi-Juif, semi-Rrom, hémi-Gênois, cela, je m’en fous, Veritas, et je n’irais pas chercher combien de Libanais gravitaient autour du gaullisme du général. L’héritage « inné » est sans doute bien moins important que la culture « acquise » au sein du RPR.
    Cela étant, Hortefeux venant d’être relaxé en appel pour ses « Auvergnats », on se pose des questions (le MRAP s’est pourvu en cassation, faudra voir…).

    Pour Alois : oui, on peut le voir ainsi. Je ne veux pas trop filer la métaphore « collaborationniste » car, en fait, il y avait de tout dans les collaborateurs, y compris dans la presse (notamment de province) et certaines complaisances sont plus ou moins forcées.
    On (divers, dont des lecteurs de l’hebdo) avait reproché notamment à [i]L’Express[/i] d’occulter l’affaire Takieddine. Or, l’hebdo sort ce jour un papier :
    « Libye : la guerre Takieddine-Djouhri ».
    En tout cas, le fait de Bourgi ait pu servir de paravent commence a être répercuté :
    Dans [i]Challenges[/i], Pierre-Henri de Menthon écrit « [i]L’immense nuage médiatique soulevé par Bourgi aura effectivement désamorcée toute la campagne- pourtant bien partie- concernant cet homme de l’ombre, principal héros de la [/i]République des malettes , [i]le sulfureux livre de Pierre Péan. Boules puantes et billard à dix bandes, on attend de voir la suite…[/i] ».
    Péan, pour [i]La Dépêche[/i], relève :
    « [i]Les mallettes de Bourgi ont un avantage : le public visualise parfaitement des tam-tams remplis de billets verts, contrairement à des transactions électroniques qui portent pourtant sur des montants sans commune mesure. À côté, la mallette, c’est la diligence…[/i] ».
    Au fait, [i]Bakchich[/i] (.info) revient en ligne.
    Pour saluer sans retour, je lui pompe sans vergogne un petit dessin qui en dit long :

    [img]http://www.bakchich.info/local/cache-gd2/fcff32a0711722b95453bd5b54eb71b5.jpg[/img]

    À propos de [i]Bakchich, Siné Mensuel, La Lettre du Sud…[/i], voir :
    [url]http://www.come4news.com/medias-bakchich,-sine-mensuel,-le-retour-358566[/url]

  4. Bof… Villepin a arrosé tout le monde avec l’argent des Africains…

    Je suis toujours sidérée par les interprétations à sens unique de toute une partie de la classe politico-médiatique.

    Les vérités cachées par TOUS avec Clearstream II pourraient refaire surface dans le cadre des enquêtes sur Takieddine et l’attentat de Karachi. Et alors, que trouvera encore la presse pour tout étouffer ?

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