Matinée d’audience de ce mercredi du procès en appel de Clearstream II. Le journaliste Denis Robert a été longuement entendu, cédant la place au général Philippe Rondot, qui sera questionné tout l’après-midi. Les deux hommes ont au moins une certitude :a priori, Gergorin aurait été abusé, et comme l’intéressé le clame et répète, il y aurait cru pratiquement jusqu’au bout…
Devant la cour, Denis Robert a estimé qu’il avait, avec son informateur Florien Bourges, servi de « chèvre » à Imad Lahoud, puis d’« alibi ». Pour le journaliste qui avait attiré sur les mécanismes de la chambre de compensation Clearstream Banking, Imad Lahoud croit pouvoir créer de quoi se faire mousser en leur tirant des renseignements, puis la suite « le dépasse complètement ». Totalement blanchi de tout soupçon, Denis Robert, cette fois entendu en tant que simple témoin, aguerri par de nombreuses comparutions en justice (il se retournera bientôt, en appel à Lyon, contre Clearstream), répond posément aux questions. C’est Imad Lahoud, au courant de ses enquêtes, qui le contacte pour rencontrer Florian Bourges (qui avait « pompé » des fichiers Clearstream et les avait communiqués à Denis Robert). Est-il alors mandaté par des services ou veut-il se faire mousser auprès d’autres, prendre les devants, jouer l’histoire de l’espionnage chez le constructeur automobile Renault par mauvaise anticipation prémonitoire ? Denis Robert décrit un escroc, très manipulateur. Lahoud se récrie, c’est là du « venin ». Mais à premier vue, comme peut-être divers services et officines avant lui, Denis Robert voit en lui une source « à traiter », ainsi que le dira ensuite le gal Rondot. Tout comme plus tard Gergorin tombera de haut, Denis Robert se dit d’abord « quand Florian m’affirme que les listings sont des faux » que, vraiment, « ce n’est pas possible ! ».
Lahoud lui racontera par le menu « avec des expressions identiques », avant qu’elle soit divulguée (exfiltrée, discrètement communiquée) à la presse, la teneur d’une lettre anonyme adressée à la justice. Là, le journaliste, commence à comprendre, quand cette lettre fuite, qu’il doit prendre ses distances avec Lahoud.
Lahoud contre-attaque, tentant de jeter le discrédit sur la déposition de Denis Robert. Par exemple, contrairement à ce qu’affirme ce dernier, il ne serait jamais venu le voir dans son service à EADS. « Tout cela est inventé par Denis Robert ! ». Lequel hausse les épaules. Et plus tard, en privé, à la suspension, il confirmera que ce n’est même plus la peine de rétorquer : Lahoud tente tout ce qu’il peut pour se recrédibiliser aux dépens d’autres protagonistes.
L’avocat général veut, dans ses réquisitions, établir « le niveau élevé d’informations sur Clearstream pour cette période… ». On peut le confirmer. Il n’en dit pas davantage, il s’agit sans doute de mettre en doute le peu d’intérêt que Dominique de Villepin disait avoir manifesté alors (audience de lundi : un ministre ne réagit pas en fonction des supputations de la presse, il laisse faire des subordonnés).
Denis Robert décrit un Lahoud lui évoquant le nom de « Nicolas Sarkozy en mai 2004 ». Lahoud lui parle d’un compte des « Balladuriens », « alimenté par le groupe Michel-Édouard Leclerc. ».
En tout début d’audience, l’avocat général avait fait peu de cas de la lettre, lue par la présidente, que Jean-Galli Douani (auteur de Clearstream-Eads) avait adressée à la cour. Pourtant elle affirme qu’en 2006 Lahoud lui aurait confié qu’il avait été manipulé par des services et… Nicolas Sarkozy.
Sur Jean-Louis Gergorin, Denis Robert confirme ce que l’intéressé a dit, redit, réaffirmé de lui-même. « Gergorin est obsédé par cette affaire. Il sentait le piège se refermer sur lui, mais il s’accrochait, ne pouvant concevoir qu’il s’agissait de faux. En 2006, il y croyait encore. Nous nous sommes longuement entretenus, deux jours de suite. Il m’a paru totalement sincère. ».
À propos des comptes clôturés, Denis Robert narre que « la même chose s’était produit à Euroclear. » (Ndlr. – l’autre chambre internationale de compensation). Les nouveaux patrons allemands de Clearstream Banking, apprend le journaliste à l’époque, se sont vraiment demandé si leur système n’avait pas été pénétré. Denis Robert décrit un Lahoud « inquiet d’être démasqué : je posais des questions de plus en plus précises à Imad, il devenait fuyant, multiplie les versions… ». Mais il avance toujours un argument technique, surabonde en jargon informatique, noie le poisson.
Le général Philippe Rondot prend place peu avant midi à la barre. Il explique longuement, posément, qu’en dépit d’une carrière prometteuse, marquée par un accident de parcours au SDECE (il fut victime «d’ une insinuation calomnieuse »), il n’était qu’un simple conseiller « et non coordinateur » au ministère de la Défense, chargé des opérations extérieures. Une affaire comme celle de Clearstream n’est donc pas vraiment de son ressort. Puis il donne sa version des faits à propos de son fameux « journal de marche » (comparable à ceux des officiers en opérations, qui consignent les événements de la journée sur leur front), détruit par la suite, et de ses notes qui seraient des photocopies, réduites de 25 %, de ce fameux journal. Il convient « cette affaire-là ne relève pas vraiment de ma compétence. ».
Ami de J.-L. Gergorin, il lui conserve toute son amitié, le décrit « impulsif, aux analyses percutantes (…) disposant de beaucoup d’audience auprès des services… » et fondamentalement sincère.
Philippe Rondot évoque ensuite Lahoud, « personnage complexe, tourmenté, pas insensible à l’argent… ». Il en fait un Levantin venu d’un « pays de fractures, violences, dérapages, où la parole donnée à une valeur relative… ». C’est « un escroc au renseignement ». Il le pressent, ne le reçoit jamais que dans son bureau, ne l’invite jamais « à sa table », reste distant.
L’avocat général, fort déférent en apparence, demande des confirmations sur des détails, mettant le militaire en confiance.
À ce stade, le général a certes évoqué son père, officier supérieur qui fut en poste au Liban. Mais il ne s’étend pas du tout sur le fait que Lahoud est le fils d’un ancien officier maronite qui aurait pu servir sous les ordres du père du général Rondot. Un général Pierre Rondot qu’un dénommé Carlos (Illitch Ramirez Sanchez, qui a eu maille à partir avec son fils, Philippe Rondot , au Soudan) suppute, dans une note non versée au dossier et qui m’est parvenue, qu’il aurait été le véritable « chef des renseignements libano-syriens sous occupation française. ». Il se pourrait donc, s’il faut en croire Carlos, que les Rondot et les Lahoud ne s’ignoraient aucunement, et de longue date.
Pour Carlos, Philippe Rondot « en poste à Bucharest » aurait été « piégé par la Securitate » (les services du dictateur Ceausescu), puis « récupéré par la CIA » et réintégré dans les services français « grâce à son père. ». Il serait resté au cabinet de MAM sur intervention de Carlo del Ponte (du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie), lequel aurait été persuadé par Rondot (à la manière dont un Lahoud persuade un Gergorin ? Allez savoir…) de ses éminentes qualités et capacités à lui fournir des renseignements.
¨Philippe Rondot, selon Carlos, possiblement motivé par la rancœur, l’assimile à un Prouteau, un Barril, du temps de la cellule anti-terroriste de la présidence Mitterrand (écoutes clandestines, montage de l’affaire dite des Irlandais de Vincennes).I. Ramirez Sanchez avait longuement évoqué, affirme-t-il, le général Rondot avec le juge Jean-Louis Brugière qui l’entendait en son cabinet.
On pourra encore et encore s’interroger sur le fait que Ph. Rondot ait ou non vraiment facilité le travail des enquêteurs qui ont perquisitionné chez lui : ses notes, incriminant des personnalités, étaient en évidence. Le soupçon qui pèse sur lui serait d’avoir (motivé par qui ? seulement lui-même ?), reconstitué à sa manière (ou celle d’un autre, sans doute pas Lahoud) des documents pour les photocopier. En romançant un peu, comme lorsqu’il conseillait l’auteur de la série SAS de Gérard de Villiers ? Les avocats des diverses parties tenteront soit de soulever des doutes, soit de réaffirmer l’entière intégrité de ce militaire.
Revenons à Denis Robert auquel je soumettais par après l’hypothèse, un peu gratuite, concédons-le, que l’affaire Clearstream II, entre autres objectifs, ait pu servir de contrefeu pour enterrer l’affaire Clearstream I. « Là, vas donc le prouver… ». Mais dans cette histoire Clearstream II on ne voit, ne veut peut-être voir, que le plus spectaculaire, les deux thèses antagonistes : déstabilisation de Nicolas Sarkozy ou d’un candidat chiraquien à la présidence. Soit MAM, pas encore totalement récupérée par le clan sarkozyen, soit de Villepin, soit tout autre candidat potentiel.
Le nom d’Alain Gomez (ex-pdg de Thomson) a pourtant été de nouveau évoqué lors de cette matinée d’audience, tout comme lors de celle de lundi (par Gergorin). Lahoud assure n’avoir rajouté que deux patronymes proches de ceux de Nicolas Sarkozy. Un coup lancé avec de tous autres objectifs initiaux aurait-il été mis à profit, en fonction des perspectives électorales, sur le tard, en chemin ? La réponse risque de se faire attendre…