Après « Amour » de Michael Haneke, « Quelques heures de printemps » de Stéphane Brizé, voilà « La belle endormie », le film de Marco Bellochio qui à son tour, revient sur le thème de la fin de vie. Un film inspiré du drame d’Eluana Englaro qui avait à la fois bouleversé et divisé l’Italie en deux : après un accident de voiture, Eluana est restée dans le coma pendant 17ans ; son père a livré, en ultime recours, un combat au terme duquel la Cour constitutionnelle a autorisé l’exécution de la sentence : mettre fin à l’alimentation artificielle qui maintient sa fille en vie végétative, ce qui conduira progressivement à son décès en 2009.
Seule la prise en compte du choix qu’aurait pu être celui d’Eluana en personne, confrontée à un coma irréversible, aurait déterminé la Cour à soutenir en définitive, cette sentence. Un sujet effervescent qui en Italie, a mis face face, le Vatican et le parti laïque entre lesquels s’est engagé un bras de fer bien plus virulent que celui hexagonal, suscité par le mariage pour tous !
Le parti de Berlusconi, au pouvoir à l’époque, était venu interférer de tout son poids dans cette agressive épreuve de force : corrompu sur les bords, il a balayé d’un revers de main les considérations éthiques au profit de celles d’ordre politique, appuyant le choix de l’Eglise ; il a poussé le zèle jusqu’à se lancer dans une course précipitée à la loi par laquelle il viendrait contrecarrer la sentence prise par la justice.
Un suspense haletant que l’Italie entière suivait scrupuleusement, scotchée qu’elle était devant son poste de télévision ! Pas de représentation du père ou de la fille tout au long du film ; le fait divers est relaté avec subtilité via des retransmissions télévisées. Marco Bellochio a choisi plutôt de tisser autour des problématiques que soulève ce drame trois fictions avec chacune sa Belle endormie : la première traite d’un sénateur Uliano Beffardi (Toni Servillo) obsédé par le prochain vote et le dilemme auquel il l’expose par rapport à sa fille, à sa conscience, avec en toile de fond son propre vécu de cette douloureuse expérience ; une deuxième parle d’une autre belle endormie, une toxicomane suicidaire face à un médecin qui veut l’empêcher de passer à l’acte : liberté de mourir de l’une, contre liberté de sauver, de l‘autre; une dernière fiction dans laquelle une grande actrice (Isabelle Huppert) renonce à son art pour se mettre au chevet de son enfant endormie.
Comme dans les précédentes fictions, nous assistons dans celle-ci aux affres des luttes intérieures auxquelles sont soumis les proches de victimes. Dans le cas de cette star, le seul refuge s’avère être la foi et elle s’adonne à des prières compulsives. Parmi les Belles endormies, certaines se réveilleront, d’autre pas. Il y a aussi une certaine allusion à cette Italie endormie et que l’on tente de ramener en vie à coups de perfusions. Le drame est que ceux-là mêmes qui sont à la barre semblent désemparés ; ils sont presque au bord de la dépression et ne tiennent le coup pour certains, qu’à force de calmants prescrits par ces psychiatres omniprésents au parlement.
Je me demande si Marco Bellochio a bien fait de nous trimballer d’une histoire à une autre alors qu’il aurait pu incorporer dans une seule et même fiction, de préférence la « sénatoriale », toutes les réflexions que suscite son film. Les séquences Isabelle Huppert sont longues, répétitives, fatigantes. Dommage !
Il y a toutefois matière à rester totalement perplexe devant toutes ces foules de manifestants venus empiéter sur le malheur d’autrui au nom de leurs propres convictions ! La mise en scène symbolique du sénateur au chevet de sa femme profondément croyante et qui le prie de mettre fin à son supplice, à l’acharnement thérapeutique, est forte : peut-être qu’après ce film, certains y réfléchiront à deux fois avant de franchir parfois le seuil sacré de certaines vies privées. Il est des situations où l‘on n‘a pas son mot à dire et où l’on ferait mieux de se faire tout petit, de tracer, quitte à heurter ses propres convictions…
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