La Charité des prédateurs est, aux éditions Les Impressions nouvelles, le second livre, sous forme d’essai (cette fois de lettre ouverte à l’abbé Pierre), de Christophe Leclaire. Ce dernier, né en 1952, vit clandestinement, sans doute à proximité du Vietnam, à la suite de la parution de son autobiographique Insolvables (il fut surendetté). Ces prédateurs de la solidarité, qu’il pointe du doigt aujourd’hui, ne sont pas des escrocs susceptibles de poursuites. Bien au contraire, la plupart finissent décorés. Ils n’en sont pas moins pernicieux.

Je n’ai lu de ce livre rien d’autre que son premier chapitre (en ligne sur les site des éditions Les Impressions nouvelles). Difficile de demander un service de presse depuis l’un de ces pays où le coût de la vie est largement inférieur à celui de la France, ou dans lesquels, parfois, de petits colis s’égarent. Ce qui fait que je suis incapable de vous dire qu’il est ou non question de la Fondation Brigitte Bardot. Il est de toute façon très difficile d’obtenir des témoignages d’animaux et par ailleurs, ce qui intéresse l’auteur, ce sont plutôt les employés et bénévoles d’associations dont les cadres et dirigeants mènent grand train (comme celles et ceux de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals, la RSPCA qui défraie la chronique britannique).

La Charité des prédateurs commence par eux-mêmes et c’est bien des prédateurs de la charité, de la solidarité dont il s’agit.

Il en est de multiples. Des dirigeantes et dirigeants, certes. Des cadres ou contremaîtresses, bien sûr. Mais aussi, parfois, d’autres bénévoles.

Voici quelques mois, j’avais reçu un appel téléphonique d’un allocataire (enfin, bénéficiaire) des Restos du Cœur. Un chômeur de longue durée du nord-ouest de la France. Être listé journaliste sur des annuaires, avoir signé dans divers titres (dont Come4News mais aussi d’autres, de presse écrite aussi) vous vaut ce type d’appel s’apparentant à ceux à l’aide, au secours. L’ennui, c’est que, généralement, vous ne pouvez rien prouver, que l’interlocutrice, l’interpellant, voudrait bien que vous agissiez, mais sans vraiment trop se mouiller. De plus, c’est souvent cujus unus, cujus nullus (un seul témoin, pas de témoin). Là, c’était fort différent. Le lanceur d’alerte se faisait fort de me faire remonter des témoignages concordants du sud, du sud-est, voire d’autres régions de France.

En cause, des bénévoles ne l’étant que pour se servir et même servir leurs familles, leurs proches, voire revendre l’aide alimentaire recueillie. Parfois, il s’agit de petits fonctionnaires disposant de temps libre, n’ayant nul besoin de piquer dans les stocks. Des responsables départementaux ou régionaux seraient (le conditionnel s’impose) fort au fait des faits mais n’y pouvant mais… J’attends toujours la remontée des témoignages, je n’ai pas jugé bon dans ce cas d’enquêter et encore moins de faire état de faits non vérifiés, peut-être exagérés, exposant ainsi Come4News à un démenti soit contrit, soit contraint, voire à des poursuites. Ce dont je peux attester c’est que les renseignements fournis, les exemples donnés, étaient fort détaillés, documentés. En cas d’affabulation, d’expérience, je sais que c’est aussi le cas.

Cela étant, les bénéficiaires ne sont pas non plus très solidaires entre eux. Ayant été down and out in London (notamment dans la crypte jouxtant Trafalgar Square, bien connue à présent des touristes, après aménagement), je peux en témoigner. Ces braves clodos pétris d’affectation religieuse amassaient les viennoiseries, gratifiés des sourires béats de ces dames de la Salvation Army, et barrage était fait aux derniers rangs qui repartaient bredouilles. Pour la soupe, moins convoitée, c’était beaucoup plus égalitaire.

Qui a un peu roulé sa bosse et en a pris d’autres comprend très bien le propos de cette lettre ouverte à l’abbé Pierre. « La gestion de la misère est devenue outil de profit cynique ». Ne remémorons pas les frais de gestion d’associations d’aides aux malades (du cancer, ou de diverses maladies que des pièces jaunes pourraient concourir à rendre moins pénibles), les trains de vie des principales et majeurs bénéficiaires. « Les tirelires déguisées en trousses de secours » sont multiples. Parfois aussi nids d’espions, mais c’est une autre histoire.

« Mon pauvre Abbé, tes communautés d’aujourd’hui ressemblent bien souvent à des entreprises négrières et des filières à humiliations », avec l’alternative du renoncement ou du PSG (Porte-Sac-Gare). « Les élites corrompues s’enrichissent de la misère qu’elles produisent en toute impunité tout en prétendant la combattre. ».

Ce « les » et non « des » est pratiquement totalement justifié. Ancien cadre en communication, sachant se documenter, trouver des témoignages irréfutables, l’auteur peut fort bien se sentir autorisé à généraliser. Cela ne m’empêchera pas de vous entretenir prochainement du projet de kibboutz rural burkinabé d’Henri Rodier qui, au moins de son vivant, vaudra exception confirmant la règle (son passé parle indéniablement pour lui, et j’irai constater dès que je serai retraité, journaliste honoraire à part entière).

Flammarion avait commercialisé Les Insolvables, sans trop craindre que ses banquiers usent de mesures de rétorsion. Cette fois, avec cette attaque frontale du charity business, il fallait sans doute s’appuyer sur une maison d’édition qu’il ne serait pas politiquement correct d’attaquer au portefeuille. Pure supputation de ma part, certes, mais « l’éditeur transgenres » (aux divers types des genres variés ; au-delà de ceux décortiqués par les études de genres) semble approprié. L’économie spectacularisée parfois des Impressions nouvelles n’est pas que marchande. C’est assez courageux de leur part d’avoir non seulement inscrit au catalogue (on a vu des ouvrages inscrits et non diffusés, comme un temps celui d’Anne Larue) ce document, mais de le diffuser (via Harmonia Mundi et d’autres). Autrefois, on publiait aux Pays-Bas, à présent, c’est en Belgique (l’auteur s’est fort peu penché sur les associations caritatives du pays de son éditeur, mais ceci n’explique pas cela).

L’auteur (qui écrit sous pseudo, ce qui se conçoit) prolonge sa lettre ouverte par un blogue-notes sur Facebook (intitulé identique au titre du livre, mais « tout en attaché »). Marisol Touraine et son Observatoire des suicides en prennent pour leur grade. Aucun Orwell sans doute dans cet observatoire, mais que de Blair (non point Eric, comme Orwell, mais d’autres, se réclamant de saint Antoine).

La Charité des prédateurs paraîtra en octobre. D’ici là, je l’aurai peut-être lu. J’y reviendrai dans ce cas. Peut-être en me lançant dans une enquête sur les salaires (et surtout, la globalité des émoluments et revenus, car des fonctionnaires détachés peuvent œuvrer dans des associations caritatives) des dirigeants d’ONG et associations. Histoire de prolonger.

Pour ce qui se rapporte aux seuls Compagnons d’Emmaus, Georges Otin (cherchez sur la Toile) se chargera de prolonger. ll est bien sûr mentionné par Leclaire. Lisez aussi Sud-Ouest qui évoque à leur propos un « chantier moral » et la dérive « commerciale » des cadres. On pourra aussi s’intéresser au recyclage et au circuit international des fripes collectées par Emmaüs.

Cela fera bientôt une décennie que Leclaire a fui la France. C’est drôle, on évoque beaucoup Gérard Depardieu et les exilés fiscaux dans la presse, très rarement celles et ceux qui ont fui ce qui est vraiment insupportable en France, non pas les impôts, mais l’incapacité d’en payer le moindre (hors la TVA qui frappe aveuglément ou presque, l’impôt foncier, même pour une masure de survie précaire et écourtée par les maladies que sa vétusté, son insalubrité engendrent). Il a pourtant été suivi, Leclaire. Et par un large nombre (trois personnes à temps complet dans mon ancien relationnel plutôt restreint, moi-même à temps partiel), sans doute beaucoup plus large que celui des exilés fiscaux. Cela restreint d’autant les chiffres du chômage.

En général, de ces exilés, on n’en veut pas trop dans les associations caritatives des pays où ils se trouvent. On préfère qui ne critiquera pas ouvertement l’inadéquation du 4×4 super-équipé (sauf en pare-chocs de brousse) que donatrices et donateurs ont généreusement financés. Elles et ils font tache à la soirée de l’ambassadrice. C’est tout juste s’ils sont tolérés au raout du 14 juillet. Cela va un peu mieux dans les centres et instituts culturels français dont les directions savent qu’elles sont sur siège éjectable (le Quai d’Orsay prévoit d’en fermer une nouvelle dizaine).

Cela étant, il y a des dérives nationales, régionales, départementales, locales, et au sein d’une même association peuvent cohabiter des gens vraiment altruistes et dévoués, d’autres beaucoup plus intéressés par des profits et profils de carrière. Des associations et fondations (on se demande bien à quoi et qui donc sert celle de Jacques Chirac, et ne parlons pas de celle de Carla Bruni) peuvent redresser la barre, recommencer à répondre aux objectifs fixés par leurs statuts.

L’auteur n’a certes pas tort d’opposer frontalement justice (pas que sociale) et caritatif. Il a sans doute raison d’estimer à la louche que le secteur caritatif français (et au-delà) ne survit et ne survivra (du moins dans sa forme et ses pratiques actuelles) que grâce à des mesures de défiscalisation. Lesquelles profitent surtout aux plus hauts revenus et aux fondations permettant de faire de meilleures affaires (voire placements induits).

N’empêche, tout n’est à pas à jeter. Mais, comme chez les Compagnons, il devient urgent de vraiment faire le tri. Ce livre pourra aider à mieux mener l’opération du départage en faveur du réel partage.