Contrairement aux coptes d’Egypte, acteurs dynamiques du printemps devenu hiver, les chrétiens de Syrie eux, ont préféré se mettre en retrait par rapport à un conflit qu’ils n’ont ni voulu ni cherché et à l‘issue pour le moins incertaine. « Un tien valant mieux que deux tu l‘auras », pas d’immixtion qui vaille dans une guerre hasardeuse, ni d’opinion avec pignon sur rue ! Mieux vaut préserver ses acquis sous un régime synonyme de rempart contre l‘intégrisme dans un pays où la capitale arbore fièrement les sièges patriarchaux du christianisme oriental. 

Elu le 17 décembre à Beyrouth au monastère de Balamand, patriarche grec orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, Youhana Yazigi, a fêté hier au cœur de Damas, en un dimanche endeuillé son intronisation à l‘Eglise de la Croix sacrée. Quant au déplacement pour l’occasion, sur fond de « crépitement d’armes automatiques », du patriarche maronite Mgr Béchara Raï, arrivé la veille du Liban, il fait des émules entre partisans et détracteurs invétérés de ce choix bien réfléchi. 

Inscrite sous le signe de l’ouverture, la présence de ce haut dignitaire est d’une forte valeur symbolique : une première depuis l’indépendance de la Syrie, la précédente participation de Mgr Antoun Boutros Arida datant de l‘époque du mandat français. A son arrivée samedi, le patriarche Raï a célébré la messe à l’Eglise St Antoine pour fêter la St Maron ; il a prié pour la paix au Liban, en Syrie et dans toute la région. 

Lors de l’intronisation de Youhana Yazigi désormais Jean X, des représentants du régime faisaient partie des invités d‘honneur parmi lesquels  Mansour Azzam, proche conseiller de Bachar el Assad, le mufti de Damas…Une homélie cruciale par ces temps qui court : «  Dieu n’accepte pas que se brise la vie que nous partageons avec les non chrétiens pour des raisons politiques ; les fondamentalistes se recrutent aussi bien chez les chrétiens que chez les musulmans ce qui n’a rien à voir avec la religion. Prier pour le Liban, pour la Syrie… » 

Et à Béchara Raï de faire son allocution y allant de ses belles envolées lyriques sur les souffrances de cette terre ensanglantée. « Et tout sang versé sur cette bonne terre est une larme de Jésus-Christ ». Egal à lui-même, il a parlé politique, martelé pour la énième fois  la nécessité de mettre en place des réformes issues d’un dialogue de fond entre les divers protagonistes et non de celles imposées de l’extérieur. Et de s’insurger contre tous ces Etats qui ravitaillent en armes le régime et l’opposition, lesquels devront un jour répondre de crimes devant le tribunal de l’Histoire.

Incorruptible, le cardinal est demeuré depuis le début du conflit syrien hermétique à tous les appels du pied venant de tous ces revanchards incapables de faire le deuil d‘une sombre histoire d‘hégémonie syrienne sur le Liban. Au lendemain de sa visite surprise si décriée car non conforme à la politique de distanciation que préconise le gouvernement,  le cardinal  continue de s’attirer des foudres. 

Quand la religion vaut encore son pesant d’or, un dignitaire qui œuvre pour la paix et rien que pour la paix, contrairement à son prédécesseur, a toute sa place sur la scène politique. Il a bien raison de ne pas se laisser museler par les fanatiques communautaristes qui parlent de surcroît au nom de la soi-disant séparation entre religieux et politique. 

Mais toutes ces ferventes prières parviendront-elles à réanimer la vie en Syrie ? L’offre de dialogue de l’opposition par la voix de Ahmad Moaz el khatib assortie du préalable de la libération avant dimanche de toutes les prisonnières détenues par le régime a échoué, encore une fois. Le régime n’aime pas « les conditions préalables ». Aujourd’hui les combats continuent de faire rage.