« Riche » idée d’un architecte senior au chômage de très longue durée : obliger tout un chacun à consulter un « homme » de l’art ou une praticienne avant de changer quoi que ce soit dans son logement ou sa résidence secondaire. Tiens, « on » devrait aussi obliger pas mal de gens à s’offrir les services d’un écrivain public ou d’une rédactrice administrative…
Comme les « hôtesses de caisse » seront bientôt remplacées par des superviseuses des machines à régler ses achats, on va bientôt trouver sans doute de jeunes chômeuses et chômeurs, obligés de travailler un peu pour conserver leurs allocations et devenant « conseillers » dans la grande distribution, à sillonner les travées, comme certains, dans les couloirs des métros, remplacent les poinçonneurs et les contrôleurs. Belle idée bien antilibérale : recréer de l’emploi forcé.
Aux deux extrémités de la « chaîne » du froid de l’emploi, soit le chômage, que le Medef souhaite maintenu à un taux d’un cinquième, on trouve deux catégories de personnes. D"abord les sous-qualifiés, désocialisés, désacculturés, &c., et inaptes à la plupart des emplois du moment. J’en connais de tous âges qui vous font du « travail d’arabe » (pour faire image, pas pour stigmatiser) quand ils daignent se présenter à l’heure et en état de s’occuper. Ensuite les surqualifiés, surcompétents, surdiplômés, &c., souvent des seniors, occasionnellement sous-employés de manière systématique. Pour certains jobs, j’ai appartenu successivement aux deux catégories, mais j’étais largement améliorable (je n’ai pas passé la première journée à la plonge dans un snack de Londres, mais, perfectible, je fus par la suite champion à Bremen et Strasbourg dans l’emploi, devenant aussi serveur, buffetier, &c.). Dans un autre contexte, un ex-grand reporter ou ex-redchef étant estimé la plupart du temps inemployable, sauf pour des piges qu’on refile bientôt à des plus jeunes et plus proches d’un supérieur beaucoup plus jeune, j’ai pris des tonnes de rateaux dans mes recherches d’emploi en diverses branches en rapport avec mes études supérieures, ma maîtrise d’au moins une langue dominante, mes capacités de graphiste, &c.
Bon, je ne me suis pas trop formalisé à la longue, devenant un temps surveillant de concours, un autre chauffeur-livreur à l’international, et je ne sais plus quoi. Partant de vendeur à la criée, j’avais un peu trop vite grimpé ensuite dans le journalisme, branche saturée, je n’ai pas pu me maintenir dans d’autres petits emplois.
Forcer à employer
Évidemment, même Jean-Luc Mélenchon ne reprendra à son compte l’idée de Dan Zamora, 59 ans, depuis trois ans et 3 027 curriculums envoyés, au chômage. Et pourtant : j’ai connu pas mal d’architectes qui n’avaient pas construit grand’chose mais qui se sont tournés vers le journalisme spécialisé, l’enseignement, un peu n’importe quoi. Et même d’autres, architectes bâtisseurs ou de suivi de chantiers, qui ont fini par ne plus pouvoir s’employer.
Dans le même temps, quand j’ai acquis un logement bien mal organisé, je savais à peu près ce qui conviendrait le mieux (ce que m’a confirmé un ami archi), mais je ne disposais pas du budget nécessaire. J’ai donc bricolé un aménagement qui, ma foi, n’est pas idéal, mais à peu près convenable. Selon l’idée de Dan Zamora, j’aurais dû consulter un archi pour obtenir ce que je ne pouvais projeter faute de ressources et que je n’aurais donc pas réalisé. Mais qu’importe, Dan Zamora aurait pu me facturer un petit quelque chose.
Vous savez le nombre de diagnostics qu’il faut pour tout et n’importe quoi avant de vendre un local, surtout commercial ? C’est faramineux et coûte très cher, tout autant que la remise à niveau d’un règlement de copropriété imposée par un syndic ou un voisin. Et après l’éthylotest dans chaque véhicule, ce sera l’alarme incendie dans tout logement (qui ne vous empêchera pas de vous asphyxier, mais glissons…).
Pour Dan Zamora, un archi est un « médecin de l’environnement » comme il se définit dans La Dépêche, et il n’a pas tout faux. Il voudrait que tout dépôt de permis de construire (et il en faut désormais un pour tout et n’importe quoi, même une véranda devant un pavillon clôturé et environné de grands arbres et de hautes haies), la consultation d’un archi généraliste soit contrainte et obligée. Pour qu’il vous dirige vers un spécialiste ? Vous verrez que, bientôt, pour un mal de dents, il faudra consulter un médecin de famille qui vous autorisera à voir un dentiste…
copies, correspondances massacrées
Bénévolement, je fais de la correspondance administrative pour des connaissances étrangères allophones, beaucoup de travaux universitaires (bac+2 à doctorat), et comme j’ai été aussi correcteur professionnel (pas mal perdu du métier – extrêmement exigeant – mais, bon, j’ai de bons restes), dactylographe (et même compositeur d’imprimerie), traducteur (de l’anglais vers le français, avant et après mastère spécialisé), &c., je peux constater divers dégâts.
Dégâts qui peuvent être remédiés, pour le plus grand soulagement d’enseignants ou de destinataires de courriers formels (administrations, assurances, &c.). Mais à l’aune du système Zamora, une doctorante maniant parfaitement le français, sachant faire des recherches rapides sur l’Internet (domaine que j’ai enseigné), serait autant obligée de me consulter que des étudiantes ou étudiants étrangers ou pas trop à l’aise avec les orthographes anglais et français auxquels je rend assez fréquemment service.
Où va-t-on, là ? Cette foutue « valeur travail » survalorisée (relisez donc Le Droit à la paresse, qui ne s’adresse pas du tout aux fainéants) pour des raisons mercantiles et autres, doit-elle être à ce point renforcée ? Rappelons que les ateliers généraux de la Commune n’ont pas trop bien marché tandis que le bagne, les bataillons disciplinaires et les galères ou l’esclavage fonctionnaient (avec pourcentages de pertes humaines quasi-illimitées) plutôt bien.
Je ne suis pourtant pas trop hostile au volontariat rémunéré. L’ennui, c’est qu’il concurrence des professionnels dont, dans le cas de seniors ainsi réintroduits dans le cycle, l’incompétence flagrante serait un peu trop vite révélée. On connaît aussi les dérives : stagiaires fort qualifiés corvéables à merci et vite remplacés par d’autres.
Du travail pour tous ?
Soyons lucides. Il n’y a plus de travail pour tous, sauf peut-être en médecine et dentaire où le numerus clausus vise à maintenir les revenus et limiter la concurrence. Même si former des archis ou des journaleux en fort surnombre peut fournir de très bons professionnels dans d’autres branches et secteurs, c’est un formidable gâchis. Combien d’agronomes faisant tout autre chose dans l’agro-alimentaire ou ailleurs ? Ne parlons pas des archéologues, des musicologues…
En sus, même si tout est fait pour inciter les gamines, les jeunes filles et les femmes à se faire décorer les ongles, on ne va quand même pas faire inspecter les ongles par la police pour coller des amendes et inciter à aller dans les ongleries, ou si ?
Mettre tout le monde à mi-temps serait peut-être porteur d’effets pervers (déjà, à plein temps, on dépasse souvent largement les horaires en heures supplémentaires non payées et non récupérées dans des tas de petites boîtes, le spectre du chômage faisant son effet).
Mais il va bien falloir, alors que la misère augmente, le sous-emploi gagne chaque jour du champ, qu’une seule personne en remplace une bonne demi-douzaine avec l’informatique (sauf chez les banksters où l’on s’ingénie à compliquer tout), il faudra bien imaginer un assemblage d’autre chose. À base ou non de réduction du temps de travail, de formations obligées qui ne soient pas total bidon, peut-être d’emplois « inutiles » (voyez donc ces haies d’hôtesses d’accueil décoratives, là, c’est vraiment inutile, tandis que des personnes renseignant vraiment d’autres ne sont pas vraiment superflues), et de diverses initiatives, essais, tentatives qui n’aillent pas que dans le sens de fournir de la main d’œuvre bon marché à des gens vendant du vent ou du décor, du prestige.
Pour le moment, je ne vois pas trop à quoi servirait d’obliger un docteur en socio de devenir éventeur public lors des canicules. Mais à vouloir faire du chiffre pour masquer les stats, certains seraient prêts à y venir. Pour soutenir un PIB qui fait que faire et défaire, et refaire, c’est toujours travailler et soutenir l’économie (soit en fait, les plus riches, d’abord), on peut préconiser n’importe quoi.
Former, certes, mais à quoi ? À produire utile, à générer du bien-être, ou à répondre aux prétendus besoins d’un marché qui vendrait tout et n’importe quoi à n’importe qui ?
C’est toute la question à laquelle la plupart des politiques, en cette période d’élections, répondent, pour la plupart, très peu (hormis peut-être Mélenchon et Joly, qui mettent l’accent sur l’écologie et les emplois qu’elle peut générer).
En revanche, je ne vois pas pourquoi maintenir en survie, à coups d’aides sonnantes, de sympathiques petits agriculteurs qui dévastent impunément des préfectures tandis que d’autres professionnels peuvent crever la bouche ouverte sans que personne ne s’y intéresse. On ne peut interdire toute faillite. Ni maintenir dans des emplois obsolètes. La reconversion et la syndicalisation (mutualisation de ressources, par exemple) doivent certes être accompagnées, mais de manière réaliste. Le bio très haut de gamme, par exemple, ne pourra pas faire vivre tout le monde : il est beaucoup trop cher. Si la grande distribution est forcée de réduire ses marges sur l’alimentation, elle se rattrapera sur autre chose (soit sur d’autres produits de consommation courante, aussi).
La question centrale reste : produire quoi et pour qui ? Quels besoins prioritaires satisfaire ?
Dans le cas présent, aider au regroupement d’architectes sans travail ni clientèle pour proposer des avis à bas coût, non obligatoires, semblerait une voie qui mécontenterait sans doute la concurrence des archis mieux dotés, mais cela pourrait rendre un service utile plus accessible.
La question fondamentale reste celle du bon dosage entre libéralisme et dirigisme et au profit de quoi et qui ? Nous avons déjà la réponse ultra-dominante de la plupart des économistes inféodés aux plus grandes entreprises et établissements financiers : toujours abaisser le travail des subalternes, moins les rémunérer, les rendre encore plus flexibles et dociles.
Dan Zamora, avec lequel je compatis, pose une bonne question, mais il n’est pas sûr que la réponse soit la mieux adaptée. Les charges obligatoires des particuliers sont désormais vraiment lourdes, trop pour les moins aisés. Mais créer des coopératives de professionnels en travail collaboratif à distance, auxquelles un certain nombres d’études ou travaux divers publics seraient réservés (et non plus aux plus en vues et mieux introduits et souvent plus chers) serait peut-être une piste moins coûteuse pour tout le monde. Mais elle pourrait heurter la doxa libéraliste… alors…
[b]… et on va en arriver aux enfonceurs de portes ouvertes: métier social par excellence ![/b] 😉 🙂 😀