Avant même que les sondages s’accumulent, Charles (« Charly », dit l’homme au chapeau pour maints visiteurs de salons du livre) Duchêne, bien avant la veille de la présidentielle de 2007, pronostiquait – amèrement – la victoire de Sarkozy. Ce n’était tout à fait joué, ce fut un beau coup d’édition (chez BTF Concept), peu remarqué alors cependant mais qui favorisa la diffusion de ses essais suivants. Lesquels s’accumulèrent (Chacun pour soi ; Après moi le déluge ; Pas vu, pas pris ; et l’éloquent On n’a plus besoin d’un plus petit que soi – sous-entendu, de Nicolas Sarkozy). Parvenu à l’âge de la retraite, Charly pensait jeter l’éponge… ou plutôt le martinet. Mais les faiblesses de François Hollande et l’outrecuidance de Nicolas Sarkozy ont eu raison de cette résolution. Il publie donc La Peste et le Cholérique.

Bubonique, François Hollande ? C’est un peu vachard, un tantinet exagéré. Fesse-mathieu, usé à fond la déculottée de n’avoir pas osé fouetter les usuriers de la Phinance après l’avoir haut et fort proclamé, certes. D’aucuns, tel moi en mon vacillant for intérieur, estiment qu’il n’avait pas de forte latitude. Mais force est de reconnaître que le Royaume-Uni a durci ses lois et les sanctions infligées aux banquiers et assureurs, et qu’en France, nous restons en-deça.
Charly Duchêne le voit évincé – par la courbe du chômage ? – ou battu lors de la prochaine présidentielle. Cette fois, il semble en phase avec la plupart des augures. On peut rester plus réservé. D’autant que les dernières mesures gouvernementales, telles la prime convenable attribuée aux chômeurs âgés en fin de droits (aux indemnités du Pôle Emploi), ou l’admonestation de Bercy aux banques limitant leurs pratiques commerciales léonines, vont dans le bon sens pour l’électorat de gauche. On verra bien ce qu’il adviendra.
Mais on ne lit pas Charly surtout pour s’y confronter ou se conforter dans ses propres opinions, mais d’abord pour sa faconde, ses fines observations du quotidien, son sens aigu de la dérision.
J’attends donc de lire ce La Peste et le Cholérique dont la parution est à présent (dernière semaine de mai 2015), imminente. Mais j’ai pu consulter la courte ébauche de préface du caricaturiste Delambre, qui signe les couvertures de ses livres entre deux crobards pour le Canard enchaîné.   
Lequel campe son complice en pourfendeur de « la lepénisation des esprits », des « sarko-trafiquants » et des « faux et usage de faux socialos ». Bref, le « tonton flinguant et fringant » qu’est Charly ventile les étrons policards, résume Delambre.
Récemment, pour me rafraîchir la mémoire, j’effectuais une recherche sur ses pamphlets, ce qui m’a valu de constater que la librairie SciencesPo (celle de la rue Saint-Guillaume) proposait encore Le Best ouf de Charly (épuisé chez BTF Concept). Nos futures assistantes parlementaires, nos cheffaillons de cabinets territoriaux viennent donc puiser chez Charly de quoi se gausser des discours sous-préfectoraux de demain et animer les dîners en ville…
Pour Vincent Tremolet de Villers, plume bien-pensante du Figaro, la gauche aurait perdu les intellectuels. Non point qu’ils aient été noyés par un Jean-Baptiste Carrier (le Fouquier-Tinville nantais), mais que la presse de droite les repêche un par un. Tant qu’il n’est question que de la soubrette Pauline (celle de Xenophon), et non du régime fiscal des popes et armateurs hellenes, tout va…
Charly se préoccupant davantage du prix du jambon-beurre ou de celui des péages, c’est sûr qu’il intéresse beaucoup moins Valeurs actuelles. Pourtant, l’historien Pierre Nora observe, parmi la « basse intelligentsia » (telle que la classifie Régis Debray), une radicalisation gauchisante. On peut en douter : le fort mesuré Charly n’est pas plus gauchisant aujourd’hui qu’hier, mais la pensée de droite passant pour la norme et contaminant l’électorat socialiste, bientôt, les radicaux de gauche se ralliant à Guy Alcide Mollet (en 1956) feront figure, pour l’historiagraphie qui vient, de crypto-bolchéviques. Puissent les bonnes feuilles de ce très prochain Charly dissiper cette imposture…