Non, Chantal de Rudder, coauteure, avec le psychiatre expert judiciaire Michel Dubec, de l’essai Le Plaisir de tuer au Seuil, ne prend pas de distance avec son partenaire en écriture ou avec le contenu du livre. Mais elle confie volontiers qu’au lieu de ce titre, elle aurait largement préféré celui qu’elle avait suggéré : « La Leçon des ténèbres ». En tout cas, alors que le Dr Dubec est poursuivi par le Conseil départemental parisien de l’Ordre des médecins, elle tient à réaffirmer haut et fort qu’elle lui conserve son entière confiance.


Un titre racoleur ? Devant la chambre ordinale disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins, l’un des avocats d’Illitch Ramirez Sànchez, alias Carlos (le terroriste), Me Francis Vuillemin, avait estimé « racoleur » l’ouvrage de la journaliste Chantal de Rudder et de MIchel Dubec. C’est un peu sévère, mais admettons que le titre est total rentre-dedans (et dans le tiroir-caisse). « Le titre n’est pas de moi et je trouve qu’il n’est pas en rapport avec le contenu, assure Chantal de Rudder, et j’avais proposé La Leçon des ténèbres, titre qui était hélas déjà pris ». L’expression, citée par Primo Levi, a en effet été reprise par Robert Antelme, pour un essai érotique de Jacques Almira, pour un « conte philosophique » de Jean-Pierre Comes, une « petite prose » de Michel Tournier, et par Jean-Edern Hallier pour le sous-titre de son Le Refus (Ramsay), voire à d’autres occasions. Primo Levi, qui avait estimé que, peut-être, « il n’y a pas de pourquoi » évident non plus à la Shoah (et non pas simplement à Auschwitz, selon un kapo), a inspiré, selon Chantal de Rudder, d’autres interrogations à Michel Dubec. « Il finit par comprendre le pourquoi du crime : ce livre, c’est l’histoire d’un homme, Michel Dubec, qui se débat avec sa douleur pour comprendre le mal ».

 

Une vocation inspirée par sa mère. Selon Chantal de Rudder, Michel Dubec serait devenu expert psychiatre devant les tribunaux « en raison de la Shoah ». Parfois, il évoque aussi sa mère, déportée. Ce n’est donc pas contradictoire. « Avec sa rencontre avec Paul Touvier, le chef de la milice lyonnaise, il commence à vouloir comprendre le mal à travers les cas de criminels qu’il examine ». Cette démarche, sans doute obsessionnelle, « ne l’empêche pas d’être un grand professionnel, » poursuit-elle, estimant qu’il sait faire la part des choses en déposant devant les tribunaux. « Il m’intéressait, en quelque sorte, d’expertiser un expert, et il est allé jusqu’au bout ». Au bout de lui-même, affirme la journaliste. Elle revendique avoir fait un travail de journaliste autant que d’écrivain, vérifiant les informations factuelles. Ainsi, commente-t-elle, si l’ouvrage mentionne que Maurice Joffo était détesté par ses employés, « c’est que cela figurait dans les rapports d’enquête ». Était-ce, en réalité, la règle générale ou l’exception particulière mise en avant par des enquêteurs zélés ? Il semble en tout cas que les ouvriers-coiffeurs ou cadres capilliculteurs de Maurice Joffo soient, dans ce cas, extrêmement masochistes pour lui rester si longtemps fidèles. Ce ne fut pas le cas dans la restauration et l’animosité réciproque qui l’opposait à son gérant du Dauvois était notoire. « Ce qui lui arrive est d’une grande injustice, » dit-elle de Michel Dubec. Et pour Maurice Joffo ? « Écoutez, en tout cas, il est absurde de me qualifier, autant que Michel Dubec, tout aussi d’origine juive, d’antisémite ». Le fait est constant, non disputé, mais Michel Dubec et Chantal de Rudder ont toutefois été condamnés pour injures à caractère racial ou en raison d’une appartenance à une religion (ce n’est pas vraiment le cas de Maurice Joffo, très peu présent dans les synagogues) à l’encontre de l’auteur de Pour quelques billes de plus ?, titre inspiré par le roman de son frère Joseph, Un sac de billes. « On nous a tenu dans l’ignorance du délai d’appel, et on pensait que Le Seuil ferait appel… Au départ, personne ne m’a informée de ce procès Joffo-Dubec ».

 

Une féministe très informée. Amie d’Élizabeth Badinter, elle l’est aussi d’autres figures de diverses mouvances féministes, dont l’historienne Marie-Jo Bonnet, Chantal de Rudder, mais s’est aussi attirée, au Nouvel Observateur, les critiques d’autres (tout comme Mariella Righini). Chantal de Rudder, scénariste du téléfilm Les Amants du Flore, consacré au « Castor » (S. de Beauvoir), peut être discutée mais non point considérée être anti-féministe. Nul n’en disconvient. « C’est un reproche aussi absurde quand il est adressé à Michel Dubec, » considère-t-elle. Dans le microcosme des féministes, il se trouvera sans doute toujours des « historiques radicales » pour soutenir que, même compagnons de route, des hommes conservent toujours un fond de machisme patriarcal, mais la présumée misogynie de Michel Dubec n’est pas du tout évidente à toutes et tous à la lecture attentive du livre. « En tout cas, après celle du livre dans son intégralité, souligne-t-elle, car évidemment, si on sort telle ou telle phrase de son contexte, on peut écrire n’importe quoi… Or la plupart, si ce n’est la très large majorité des gens qui s’offusquent de telle ou telle phrase, d’un extrait, m’avouent n’avoir absolument pas lu le livre en son entier. ».

 

Un argument indéniable. Assurant la défense de Michel Dubec devant la chambre ordinale des médecins, Me Bertrand Burgot avait insisté sur le fait que, lors de sa sortie, le livre avait généralement été salué par la critique et n’avait jamais inspiré de supputations voulant faire croire que les propos reproduits pourraient « inciter au viol ». L’argument n’a pas été réfuté par les cinq avocat·e·s opposé·e·s à Michel Dubec. Il est cependant faible s’il s’agit de démontrer que le livre, ou plutôt, surtout, et même exclusivement son coauteur masculin, serait l’objet d’une cabale après coup. Il y a d’abord une énorme différence entre écrire qu’un médecin ou un quidam « incite au viol » et dire que certains propos pourraient être pris pour une telle incitation. C’est affaire d’opinion. Ce qui est certain, c’est que les critiques reçoivent de nos jours soit un PDF d’un ouvrage, soit une épreuve en court-tirage, et qu’on ne sait jamais exactement ce qui va subsister du texte à publication. La prudence est donc de mise quant au verbatim. L’argument de la bonne réception par la critique est indéniable, mais… En fait, après diffusion, c’est assez lentement que des intervenants dans ce qui est désormais l’affaire « médicale » Dubec, ont découvert le livre, et estimé qu’il leur fournissait soit des griefs initiaux, soit des atouts supplémentaires pour le traîner devant l’Ordre des médecins. Eh oui, hélas, tout le monde ne lit plus la presse quotidienne ou hebdomadaire, voire non plus les annonces de parutions de livres sur l’Internet. Mais Chantal de Rudder n’est pas loin de prendre pour vraiment fondée l’une des argumentations de Me Burgot, soit que c’est une ancienne patiente du Dr Dubec, Brigitte Brami, qui serait la cheffe d’orchestre, l’instigatrice d’une acharnée campagne de dénigrement en ligne.

 

Mi chèvre, mi chou. Difficile de faire la part des choses. Oui, Brigitte Brami a lancé en ligne une pétition visant le livre Le Plaisir de tuer. Oui, c’est l’une de ses anciennes patientes qui reconnaît lui avoir notamment lui avoir envoyé des cartes postales, et qui ne se cache pas d’alerter la presse et divers relais d’opinions au sujet de la teneur de passages du livre, mais aussi à propos de certaines des expertises judiciaires contestées, parfois très fortement, par des victimes, ou des protagonistes d’affaires judiciaires. La question est la suivante : Brigitte Brami provoque-t-elle ou catalyse-t-elle ? recense-t-elle les ressentiments à l’égard de l’expert Michel Dubec ? Difficile d’y répondre de manière tranchée sans tomber dans l’absurde : une professeure d’université (la chercheuse Natacha Chetcuti), une journaliste réputée et très expérimentée (Isabelle Horlans, cheffe des enquêtes de France Soir), tant d’autres, toutes et tous « manipulés » par une ancienne patiente d’un psychiatre ? De très faible notoriété et condamnée de surcroît pour harcèlement ? Dotée de titres universitaires de second cycle seulement ? Impossible n’est pas français. Chantal de Rudder en est sincèrement persuadée. C’est une opinion, peut-être réductrice, déresponsabilisant une personne qui peut avoir diverses motivations. De là à se joindre à celles et ceux qui considéreraient vraiment que cette personne, qui déploie effectivement de l’énergie à faire valoir des cas se prêtant à diverses interprétations, soit une déesse ex machina capable de faire perdre la raison et le bon sens à tant de gens censés, Chantal de Rudder ne va pas jusque là.

 

Une simple cabale ? Ne serait-ce, vraiment, qu’une cabale ? S’il est évident qu’il n’est nullement agréable pour Michel Dubec d’être mis en cause en sachant que sa fille de douze ans pourrait en entendre parler, et en être vraiment troublée, on aurait plutôt l’impression, de prime abord, qu’elle doit être plutôt sensible au fait que son père est une personnalité très fréquemment médiatisée, et de manière le plus souvent élogieuse. Et enfin, de par sa profession, Michel Dubec n’est pas tout à fait démuni, en manque d’arguments. Il n’est pas non plus isolé, ostracisé par ses plus éminents et compétents confrères. Au fait, il n’aurait pas exercé en tant que pédopsy, Michel Dubec ? Et Chantal de Rudder, évoquant à ce sujet « la rumeur d’Orléans », ne va pas jusqu’au point d’affirmer que tout reproche adressé à Michel Dubec serait totalement, par nature, illusoire, irrationnel, calomnieux, diffamatoire. Ce qui était le cas pour ceux visant les propriétaires juifs d’un magasin d’Orléans, et la suite a formellement établi que la fiction d’une prétendue « traite des blanches » n’avait aucune réalité à Orléans. Il n’y a pas d’amalgame, car une telle assimilation serait d’ailleurs injurieuse à l’égard du conseil départemental des médecins parisiens qui s’est associé à deux (sur une dizaine examinées) des plaintes visant Michel Dubec.

 

À l’insu de son plein gré ? Ce qui est sûr c’est que personne, dans la presse professionnelle, en ligne ou imprimée, et pratiquement nul, jusqu’à nouvel informé, sur les sites d’information les plus connus, n’a été soutenir que le Dr Dubec justifierait sciemment les viols, et même pas « à l’insu de son plein gré ». Et de toute façon, s’il aurait violé le secret professionnel, ce que dira ou réfutera la chambre disciplinaire, c’est au sujet des cas précis de Maurice Joffo et du terroriste Carlos, nullement à travers ceux évoqués par qui soutient qu’indirectement certains de ses propos sur la sexualité pourraient être mal interprétés, surtout sortis de leur contexte. D’ailleurs, dans certains cercles féministes, et des plus radicaux, ils n’ont pas tant choqué puisqu’ils justifieraient, pour certains d’entre eux, que fondamentalement le sujet masculin est animé par une agressivité machiste et patriarcale. C’est discutable. Pas forcément irréversible. Tant bien même le Dr Dubec admettrait-il cette hypothèse qu’il ne lui est nullement reproché – si ce n’est par des commentateurs ou des réactions de femmes qui n’ont pas forcément châtié leur expression ou approfondi leur raisonnement – d’avoir voulu inciter à nourrir de tels fantasmes et encore moins à passer à l’acte. En ce sens, oui, l’« affaire Dubec et le viol » n’en est pas une, mais il y a bien une rumeur qui, laissant place à d’éventuelles fausses interprétations, pourrait nuire à Michel Dubec.

 

La si courte mémoire de la presse. Chantal de Rudder a fort raison d’évoquer la rumeur d’Orléans et le livre d’Edgar Morin. D’ailleurs, évoquait-elle, au fond, la rumeur elle-même ou le livre ? Les deux ? Il aurait fallu approfondir. En ignorant « la » rumeur, la presse quotidienne régionale française (celle d’Orléans, mais aussi d’ailleurs) risquait fort de la renforcer. Si la presse n’en parle pas, c’est bien parce qu’au fond, telle ou tel sont protégés, « argumente » la rumeur. Et c’est bien parce que, en 2003, Dominique Baudis a « pris les devants » face à la rumeur, permettant le débat public réellement argumenté, que sa présumée participation à des ébats collectifs avec des prostituées a été formellement démentie. Mais la presse manque de temps, de place, et de moyens, et même d’expérience professionnelle approfondie. On n’ira pas jusqu’à écrire que Michel Dubec devrait se féliciter que Brigitte Brami alerte la presse à propos de ses démêlés judiciaires. On constatera que l’argument voulant qu’incriminer l’Internet, censé véhiculer tout et n’importe quoi, et devant donc être superbement ignoré, est peut-être contreproductif. Effectivement, on peut penser que donner de l’importance à ce que propage Brigitte Brami est la conforter dans une phase obsessionnelle. Oui, mais est-ce bien par « charité » envers elle que la presse classique semble superbement ignorer ce qu’elle signale et pointe ? Ou simplement par mésestimation du rôle, des fonctions d’une rédaction ? Ou par lassitude ? Indifférence ? Allez savoir.

 

Un titre révélateur. Révélateur, au sens « argentique » de mise en évidence, de développement, tel pourrait être considéré le titre de cette contribution. Combien de tout jeunes secrétaires de rédaction, pressés par les bouclages de plus en plus avancés et hâtifs, n’auraient pas validé un titre tel « Chantal de Rudder se distancie du Plaisir de tuer » ? Qui, alors qu’autrefois les titreurs étaient soit des journalistes très spécialisés, voire de vieux ouvriers du Livre, se serait encore posé la question de savoir s’il fallait préciser « du livre » (puisqu’un titre désigne aussi, par métonymie, selon Le Robert, « un ouvrage particulier ») ? Qui pourrait considérer que sa mise entre guillemets, en romain, n’équivaut pas à l’usage de l’italique, et suffisait à signaler qu’il s’agissait du titre de l’ouvrage et non de l’ouvrage lui-même ? « L’orthotypo, coco ? Eh, tu as vu l’heure ? Allez, grouille, on s’en fout ! » pourrais-je peut-être croire entendre encore. Des bêtes à concours, issus de prépas, brillants dans les grands oraux, puis passés par des écoles de journalisme, quelques stages, sont directement nommés secrétaires de rédaction. Avec des responsabilités régaliennes, sans jamais avoir fait de terrain, sans jamais avoir senti le bout de la carabine du « vélo » venu protester qu’on lui avait fait brûler la priorité à la « moto » (titre du fait divers : « vélo contre moto »), que son assurance ne le couvrirait pas et qu’il fallait un rectificatif, et plus vite que ça, sinon le « vélo » tirait ? On passe à présent directement ou presque de sèche ou sec’ de rédac’ à la redchef. Ce sans jamais avoir écrit d’autres lignes que des comptes rendus de voyages de presse vers des destinations exotiques avec gadgets fournis et bouquets de fleurs dans la chambre d’hôtel. Et puis, ces affaires de chambres ordinales, c’est compliqué, il faudrait plus de lignes pour expliciter, et on manque de place. En plus, l’ouvrage est paru quand ? Ah oui, début 2007. Eh, c’est du réchauffé ! Place à l’actu chaude, avec des « pipeules » moins vieux que Carlos ou les Joffo. Quoique. « Plaisir de tuer », c’est un bon titre, non ? Vendeur, non ? Bon, allez, un feuillet sur Rudder, bien serré, plutôt 1 200 signes. Heureusement, l’Internet permet de développer. Malheureusement, la presse et ses écoles font du papier à l’écran. Ou croient qu’une bonne vidéo bien creuse, bien télévisuelle, c’est ça, la Toile ! Le son est bon ? L’image équilibrée ? Allez, roule ! Et si le lectorat, content d’être bien diverti, se sentait encore roulé dans la farine, méprisé ? Bah, du moment qu’il clique 

 

Citations tronquées, une partout ! Alors que la défense de Michel Dubec s’évertuait à souligner que les passages incriminés par l’instance départementale de l’Ordre et les parties Joffo et « Carlos » devaient être resitués dans leur contexte, on a vu Michel Dubec faire de même avec un passage du livre de Maurice Joffo, Pour quelques billes de plus ? Et lui imputer une interprétation pour le moins hâtive, tronquée, et plus que douteuse. Sans que la chambre ordinale, déjà lasse de toute une journée de longs débats, ne s’en émeuve, faute de pouvoir songer à prendre le temps de faire lire toute la page, voire tout le chapitre. La justice humaine est imparfaite, la chronique humaine aussi (mais peut-être moins que des synthèses assistées par ordinateur). Que Michel Dubec ait, là, selon moi, dérapé, ne rend pas le « jeu », les je, égal ou égaux. Il faudrait développer. Creuser l’argumentation. Faire valoir que, de toute façon, légalement, un tribunal ne peut plus vraiment condamner tout un livre au bûcher, ni l’exonérer en lui donnant un imprimatur global s’il contient des passages que certains peuvent incriminer. Tout comme un article de presse est limité en volume, une audience est limitée dans le temps. Mais l’hypertextualité peut, éventuellement, ultérieurement, remédier à cette insuffisance. L’Internet n’est ni la meilleure, ni la pire des choses pour la formation et l’information des citoyennes et citoyens. Mais il permet au moins qu’en sus d’une refutatio courte, sous forme de commentaires à une contribution, un droit de réponse plus développé (voire plus long que ce qui l’a suscité), puisse paraître en son intégralité, être accessible, consulté. L’affaire des suites du Plaisir de tuer mérite-t-elle un nouveau livre ? Peut-être pas. Mais quelque développement, sans doute. Libre à chacun d’y participer. Une chose est sûre : en matière de rumeur, les muets ont toujours tort.

 

Voir aussi :
Le Dr Michel Dubec poursuivi pour violation du secret médical…