Ce n’est pas tous les jours  qu’on a la chance et la joie d’approcher un écrivain célèbre et ce matin les habitants de Castelfranc, modeste bastide de la vallée du Lot ont vécu un grand moment en fêtant dans la petite salle d’accueil de leur commune, le lauréat du Prix du Commonwealth 2008, leur concitoyen Indra Sinha .Né en Inde en 1950, d’un père indien capitaine de l’Indian Navy et d’une mère anglaise elle-même écrivain, il a vécu ses années d’enfance  près des montagnes au cœur de forêts luxuriantes et sauvages. Il fit ses études à Cambridge et commença une carrière lucrative dans la publicité, puis rencontra son épouse Vicky et s’établit dans le Sussex. Il partage désormais son temps entre ses voyages et sa paisible demeure du Lot où, dit-il, ayant toujours aimé la France, sa culture, ses paysages, ses bons vins et sa gastronomie,  il a trouvé « un séjour accueillant, de charmants voisins, et le calme nécessaire à la création littéraire ». C’est en écrivant un slogan pour une campagne de Amnesty international  qu’il découvre vraiment les séquelles de la dramatique explosion de l’usine de l’Union Carbide : des photos insoutenables, des entretiens avec Satyuunath Sarangi  un activiste venu de Bhopal avec lequel il noue une relation d’amitié profonde, lui font prendre conscience  que finalement, dix ans après rien n’a vraiment été fait pour les populations touchées ….Vingt mille morts, des blessés par milliers, n’ayant reçu aucune aide pour survivre, l’eau empoisonnée  à des kilomètres à la ronde, des enfants qui naissent mal-formés, atteints de lésions au cerveau, de diabète ou de cancers, telle est la triste réalité  .

indra_sinha_004.jpgEt pourtant, les responsables de l’hécatombe n’ont jamais voulu reconnaître leur responsabilité dans la catastrophe ou accepter d’en réparer les dommages. Union Carbide, prétextant son  statut d’entreprise américaine a toujours refusé de se présenter devant le tribunal indien depuis 1992 empêchant de la sorte tout jugement. Aux Etats-Unis, le consortium a été jugé 4 fois, mais  par le jeu des recours, on assiste à une partie de ping-pong judiciaire  qui reste toujours à la lisière des choses sans jamais aller vraiment au fond du problème, mettant en cause les négligences envers la sécurité et l’appât du gain mercantile probablement sources du drame…Bouleversé par ses découvertes, Indra Sinha consacre alors une grande partie de son temps et de ses ressources à ce qu’il considère comme une injustice profonde : il achète une double page du quotidien anglais The Guardian et réussit à collecter 60.000£ qui vont lui servir à acheter un bâtiment et à embaucher du personnel pour ouvrir à Bhopal une clinique destinée aux malades . On y a traité gratuitement  à ce jour environ  30000 patients et l’écrivain s’y rend fréquemment.C’est cet homme singulier et pourtant discret, que le maire de Castelfranc, André Bessières, a souhaité que nous fêtions aujourd’hui. Dressant de lui un portrait chaleureux et louant ses talents de poète et de romancier tout autant que son engagement personnel au service d’une juste cause, établissant un parallèle évident entre la catastrophe de Bhopal et celle survenue près de Toulouse lors de l’explosion de l’usine AZF, il exprime sa reconnaissance et nos remerciements à celui qui a tracé pour nous, par la vertu de sa plume , un chemin d’espoir au cœur d’une désespérante réalité.indra_sinha_010.jpgC’est bien de cela qu’il s’agit en effet et la lecture émouvante ce matin, d’un extrait du superbe livre  de Indra Sinha  nous le confirme . "Cette nuit-là" est l’expression utilisée par les habitants de Bhopal lorsqu’ils évoquent l’explosion de leur usine chimique, dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984.« Cette nuit là » est aussi le titre de l’ouvrage de l’écrivain, livre honoré de plusieurs prix , livre dans lequel il transpose le drame de Bhopal dans la ville imaginaire de Khaufpur ( littéralement ville de l’horreur) et nous fait découvrir  le martyr de toute une population , au travers de son personnage principal « Animal » jeune homme de 19 ans, marchant à quatre pattes à cause d’une colonne vertébrale déformée par la maladie mais porté par une énergie débordante et exprimant dans un langage cru, truculent , et plein d’humour  l’affreuse souffrance de ceux qui ont tout perdu : « « J’étais humain, avant. À ce qu’on dit. Moi, je ne m’en souviens pas, mais les gens qui m’ont connu quand j’étais petit disent que je marchais sur mes deux pieds comme les hommes ».Lorsque l’on demande à Indra comment est né le personnage de « Animal » il répond comme une évidence : «  Un jour, il est apparu dans ma tête, comme ça, et a commencé à s’y installer avec ses gros mots…J’ai commencé à discuter avec lui, toujours dans ma tête et j’ai eu envie d’écrire, non pas pour moi, mais pour lui qui ne pouvait pas le faire ! Et c’est ce que j’ai fait …Ce livre a été écrit à un niveau basique, très simple car moi je ne connais pas la langue des pauvres gens, mais Animal, lui la connaît et en me soufflant , il lui fut facile d’écrire…C’est un grand mystère de voir que grâce à l’imagination on puisse réellement voir des choses advenir dans des temps et des espaces autres que les nôtres… »Comment peut-il expliquer le ton utilisé dans son livre ? : « la seule façon de pouvoir parler d’une chose si terrible et si grave est d’utiliser un ton ironique. Rendre compte d’une telle horreur avec exactitude est très difficile, il ne reste que la dérision, l’humour, qui puissent être un bon moyen pour ne pas se détruire soi-même en exprimant l’inexprimable. »Fallait-il vraiment faire explicitement référence au drame de Bhopal ? «  Au début je ne souhaitais pas écrire sur ce lieu, car je le connaissais trop bien et étais trop impliqué. J’avais pensé aux favellas du Brésil ou pollutions survenues en Afrique de l’Ouest. Et puis finalement l’Inde, c’est ce que je connais le mieux et dans lequel je pouvais avoir les éclairages  les plus vrais sur le vécu des survivants ».Qu’en est-il aujourd’hui de la situation dans la région ? : «  la vie là-bas est toujours très difficile, l’eau et la nourriture manquent cruellement, les habitants demeurent très marqués par la souffrance physique et morale. Ils font parfois des choses qui peuvent sembler bizarres ou folles, comme ces 80 personnes ayant  marché pendant 30 jours pour aller voir le premier ministre à Delhi et repartant  sans l’avoir vu…Mais ils vivent dans des conditions épouvantables, une extrême pauvreté, sans travail , sans nourriture et parfois la faim les tenaille tant qu’ils mettent autour de leur taille une ceinture de tissu qu’ils serrent très fort pour calmer leurs tiraillements ».!indra_sinha_011.jpg Notre entretien avec le romancier s’achève  dans une ambiance recueillie  tant est intense l’émotion ressentie par l’assistance devant le drame évoqué. Bien sûr, ceux qui n’aient pas eu encore le plaisir de lire le roman vont sans doute se précipiter pour l’acheter et s’en délecter…j’espère vous avoir donné la même envie, à vous lecteurs de C4N et que bientôt, par vos commentaires vous serez nombreux à nous faire partager votre découverte .