Est-ce un « canard » ? Soit un « faux bruit », base « de toutes les religions » selon Nerval (rapporté par Paul Ginisty dans son Anthologie du journalisme), dont celle de la sécurité omniprésente. Selon le volatile, Le Canard enchaîné, et notamment Noël Mamère, nous serions toutes et tous potentiellement exposés à voir nos « fadettes » (factures détaillées de téléphone) atterrir à l’Hôtel de Police.

 

Cela n’arrive qu’aux autres ! En particulier à David Sénat, qui a fait l’objet mardi d’une perquisition dans l’affaire Visionex (paris clandestins ; voir notre chronique d’hier du Woerthgate). C’est grâce à ses relevés détaillés de communications téléphoniques qu’il a été désigné comme la « taupe » du Monde dans le volet Bettencourt du Woerthgate. Mais selon l’opposition à l’Assemblée et le Canard enchainé de ce mercredi, tout le monde peut avoir « droit » à ce que les identités de tous ses correspondantes (maîtresses incluses) ou correspondants (amants…) soient déterminées par les services de police.

 

Cela irait même plus loin… « Écoute, écoute… », ainsi débutaient tous les sketches du chansonnier Roger Nicolas. Dans des greniers qui ne sont pas ceux du chantage, mais encore moins celui de la célèbre émission Le Grenier de la chanson, des « barbouzes » dénoncés par Noël Mamère devant l’Assemblée nationale, se livreraient sans contrôle à l’épluchage de nos factures détaillées, nos « fadettes » de téléphone, mais aussi, à l’occasion, à des écoutes. Pour le compte de qui ? Du petit Nicolas ? Qui voudrait tout savoir sur tout et sur nous ? On le disait pourtant indifférent à l’opinion des Françaises et des Français (sauf à celles et ceux du Premier Cercle, évidemment…). Ce serait vrai ? À l’insu de notre plein gré, et on ne nous aurait rien dit ?

 

Lors des questions d’actualité, mardi, le vert Noël Mamère a vertement interpellé Brice Hortefeux. Ce dernier, impavide, a répliqué : « La réalité est très simple (…) le gouvernement ne pratique aucune écoute téléphonique illégale dans notre pays… ». De même, François Fillon a fait savoir qu’il « conteste les affirmations du Canard Enchaîné, selon lesquelles il aurait validé un accès sans contrôle aux données techniques de communications ».

 

Mais le cabinet du Premier ministre ne dément pas qu’un document daté du 17 février dernier, signé par son directeur, Jean-Paul Faugère, autoriserait les fonctionnaires des ministères de l’Intérieur et de la Défense à exiger des opérateurs téléphoniques de leur fournir tout document en leur possession en cas d’atteinte supposée à la « sécurité nationale ». Bien sûr, pas question de mettre les élus du Peuple au courant : c’est « confidentiel Défense ». Mais le coup a manqué, car cela a fuité…

 

Depuis la loi de 1991, la police, voire même la sécurité militaire, devait prier un magistrat ou à la CNIS (Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité), de l’autoriser à obtenir des opérateurs des renseignements sur les correspondances téléphoniques des individus. Il en est toujours ainsi aujourd’hui, mais « on » aurait pris des libertés avec la Loi.

 

À maintes reprises, Le Canard enchaîné à mentionné la croissance faramineuse des coûts d’obtention des relevés détaillés de communications, soulignant à chaque fois que les opérateurs s’en frottaient les mains. Car tout comme les banques facturent lourd, ne serait-ce que pour obtenir la photocopie d’un chèque, Orange, SFR, Bouygues et les autres, ont des frais considérables à recouvrir. La question de savoir comment les magistrats et la CNIS trouvaient le temps d’autoriser toutes ces demandes démultipliées d’autorisations n’était pas posée. La directive de Jean-Paul Faugère pourrait fournir un élément de réponse…

 

Dans l’affaire de David Sénat, liée au dossier Woerth-Bettencourt, le DGPN, Frédéric Péchenard, papa du scootériste Maxime, avait certifié que la CNCIS avait été saisie. Mais c’était peut-être par courrier, et les courriers, comme ceux destinés par exemple à la Justice européenne, peuvent s’égarer. Ou alors, peut-être que les motards de la police et de la gendarmerie, comme le fils Péchenard, peuvent avoir des « égarements » de conduite. Le démenti de la CNIS n’invalide donc pas les affirmations de la police. Dans le cas de David Sénat, à la suite de supputations de l’opposition parlementaire, des écoutes avaient aussi été évoquées. Pour la bonne forme, le parquet de Paris avait demandé à la police de fournir le détail de ses investigations. Là encore, le coursier du Palais de Justice a dû faire une pause rafraîchissement sur le parcours et égarer le pli. Ou alors, c’est celui de la Préfecture de Police qui a délivré la réponse à une autre adresse, ou s’est dispensé de l’acheminer, la confiant aux soins de La Poste, qui l’a encore enfouie dans un sac postal repoussé, par inadvertance, d’un coup de pied sous un meuble. Le parquet a-t-il songé à interroger le concierge de la Conciergerie, au moins ?

 

Les sondages d’opinion et les consultations indiquent que Nicolas Sarkozy est supposé ne pas être assez à l’écoute de l’opinion. On peut comprendre qu’il ne se fie pas trop aux sondages. Mais s’il veut vraiment savoir, le mieux serait qu’il traîne dans les bistrots. Incognito, en compagnie du fils Péchenard, par exemple, qui doit avoir quelques bonnes adresses de comptoirs. S’ils rencontrent un coursier un peu pompette en route, ils pourraient aussi tenter d’acheminer son courrier.

Allez, encore un petit canard trempé dans le rhum pour la route vers… 2012.

Plus sérieusement, voir ci-dessous, en commentaires d’actualisation, les explications du Canard enchaîné (résumées) sur la généralisation des écoutes téléphoniques.