Persuadée que Christiane Taubira effraie les électeurs du Front national, la tendance la plus droitière incarnée par Copé à l’UMP en rajoute sur « l’inélégance » de Christiane Taubira.
C’est le chiffon noir et rouge de l’extrémisme (de l’ultragauche) qu’on agite ainsi sous le nez d’un électorat qui a délaissé l’UMP pour le Front national.
Et pourtant, en divers domaines, Christiane Taubira est très proche des thèses (ou plutôt, hypothèses) du Rassemblement Bleu Marine.
Nicolas Sarkozy, du temps de l’ouverture à la Gauche moderne du si futé Bockel, avait C. Taubira d’une mission : remettre à plat les accords de partenariats économiques (APE) entre l’UE et les pays de la zone Afrique, Caraïbe, Pacifique (ACP).
C’était une manière de lui offrir une prébende (fort mince) et de la détacher de son groupe parlementaire. Mais lorsqu’elle rend son rapport, en juin 2008, plus rien. Tout d’abord, elle proposait de se détacher des Accords de Lomé de 1975 et de la résolution de Cotonou (2000). Se plaçant trop dans la ligne des accords de Grenelle, elle prônait le développement durable et une certaine dose de protectionnisme, si cher à présent aux partisans de Marine Le Pen. Ah, oui, mais ce protectionnisme visait à rééquilibrer la dépendance de ces pays africains et autres vis-à-vis de l’Europe.
Eh, si l’on veut du protectionnisme, il faut bien qu’il soit réciproque, non ?
Racolée par Sarkozy
L’abandon des barrières douanières expose les pays moins développés à se retrouver inondés par des produits étrangers. C’est bien ce qui a été constaté, mais les produits manufacturés chinois, beaucoup davantage que les européens, en profitent très largement.
On demandait sans doute à C. Taubira un rapport à la Tiberi, bâclé, et le petit délai imparti (deux mois) visait à lui mettre la pression. Dommage, elle a remis 191 pages, fort critiques. Celle qui avait été pressentie pour intégrer le gouvernement Fillon I ne sera d’aucun des suivants.
Comme le proclame à présent le FN, elle entendait s’attaquer à la finance et aux « fonds vautours ».
L’UMP est prête à reprendre tous les thèmes sociétaux et sécuritaires du FN, voire à les renchérir encore, mais quand il est question de finance internationale, il n’y a plus personne (ou peut-être le très isolé, voire ostracisé, Wauquiez).
En plus, elle aurait pu fâcher le laboratoire Servier et d’autres en constatant que « les barrières non tarifaires, telles que les normes sanitaires, phytosanitaires et autre standards sur lesquels les ACP n’ont ni moyens ni pouvoirs de contrôle, faute de laboratoires agréés par l’Union européenne, constituent des remparts bien plus efficaces que les tarifs douaniers. ».
Elle énonçait clairement qu’il fallait dire si, oui ou non, ce qu’on attendait d’elle était « d’abandonner le développement comme un dangereux mirage et d’inviter les pays ACP à se jeter dans la grande kermesse du libre commerce. ». Du pur FN… lorsqu’il s’agit de la France.
Il y a beaucoup d’ironie dans les éléments de langage de l’UMP visant Christiane Taubira. Mais aussi, en fait, beaucoup de ressentiment : on aurait aimé la voir rejoindre les Dati, Yade, Bougrab, et autres Amara…Taubira n’a pas voulu jouer la Rachida, ou, plutôt, avait-elle pris au mot les déclarations initiales de Nicolas Sarkozy lors de sa campagne électorale de 2007. Impardonnable erreur !
À présent au ministère de la justice, l’UMP reproche à la nouvelle Garde des Sceaux de vouloir approfondir les dispositions de la loi pénitentiaire de 2008, imposée par Sarkozy et le gouvernement aux députés godillots de l’UMP : favoriser les peines alternatives à la détention (bracelets électroniques, mises à l’épreuve, peines civiques…).
Trop économe ?
Alors que la magistrature n’arrive pas à pourvoir tous les postes, la décision de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs permet au moins de désengorger, sinon les greffes, du moins les audiences. Mais qu’à cela ne tienne, on va bientôt entendre l’UMP demander le recrutement de davantage de magistrats… au mépris de la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, policier, magistrat, mais pourquoi pas membres du Conseil constitutionnel ?
C’est un peu comme les cris d’orfraie de Copé sur le nombre des ministres (34) alors que le dernier gouvernement Fillon en comptait autant (et bien davantage de membres des cabinets ministériels).
Cela va plus loin : l’UMP invente qu’un drapeau tricolore aurait été brûlé le 6 mai au soir et que Taubira en aurait exonéré par avance la perpétuation. Aucun drapeau n’a été brûlé, Taubira n’a jamais évoqué cette question, mais peu importe !
On a Zemmour concluant : « Christiane Taubira a choisi ses victimes, ses bourreaux. Les femmes, les jeunes des banlieues, sont dans le bon camp à protéger. Les hommes blancs dans le mauvais. ». Bah, Zemmour… pas un peu basané derrière les oreilles, celui-là ? C’est beau d’affirmer ainsi une solidarité masculine… Mais ridicule d’affirmer sa supériorité sur quelqu’un moins blanchi que soi… Qu’il aille donc dans les réunions de l’UMP voir ce que la base pense des kabyles… Je sais, cela m’abaisse au niveau de ce chroniqueur qui débuta chez… Marianne. Mais quand on a tant dénoncé « l’angélisme antiraciste », il faut quand même s’attendre à ce que cela vous revienne à l’occasion – d’accord, zemouriennement, de manière rance et stupide – à la figure.
Le problème de l’UMP avec Taubira, c’est qu’elle risque de les surprendre. À Jules Ferry, elle « préfère Condorcet, marquis de son titre, et Jean Zay, ministre de l’Éducation de Léon Blum. ». Lequel Jean Zay estimait que l’éducation devait former « des citoyens difficiles à gouverner. ».
Au fond, c’est ce que cherche l’UMP : des citoyens prêts à tout gober. On comprend mieux son désamour d’avec Taubira : les béguins déçus conduisent à l’amertume la plus vindicative…
Taubira ? Taubira pas ? tel est la question…
Attendons et voyons…