J’ai quand même attendu que la presse écossaise se réveille pour procéder à une petite revue de la presse britannique. Côté eurosceptiques, la BBC est accusée d’avoir fait preuve d’un penchant très europhile en commentant le veto britannique à Bruxelles. Ce n’est pas si évident, à mon humble avis. Lesquels avis sont partagés : pour ou contre le « splendide isolement » du Royaume-Uni. Mais pendant qu’on en cause, l’euro n’est toujours pas sauvé…

Pour Dominic Sandbrook, du populaire Daily Mail, c’est tout simplement, ou ce n’est que « Apocalypse Not ».

Non, la fin de l’euro ne signifierait pas l’Eurogeddon. « La débâcle du sommet de Bruxelles semble confirmer tout ce que les eurosceptiques ont répété depuis des décennies, » estime D. Sandbrook qui n’en poursuit pas moins que « la réalité est un peu plus complexe ».

Il simplifie un peu, Sandbrook, en disant que les pays les plus pauvres ont abusé de la dette extérieure. Ce n’est nullement le cas de l’Espagne, très peu endettée, si ce n’est « entre soi » : sa dette souveraine est très basse, celles des Espagnols fortes.

Mais la disparition de l’euro serait le moindre d’entre tous les terribles maux.
Après tout, l’étalon or, lui aussi, puis l’écu (le mécanisme européen des changes), ont été considérés intouchables. L’Europe est à présent en plus piteux état qu’en 1931 mais il y a « une autre voie » que de soutenir l’euro jusqu’à son inéluctable disparition. C’est un démantèlement ordonné qu’il faut envisager car d’autre part, le Royaume-Uni doit influer sur l’Europe, en faire une championne de la compétition économique. Si ce n’est plus possible, autant se replier sur soi, conclut le Daily Mail.

La BBC donne la parole à Lord Heseltine (conservateur), qui approuve le veto, mais ne croit pas qu’une isolation sauverait la City. Le Financial Times relève que Cameron n’a obtenu aucune garantie et que le Royaume-Uni devra de nouveau négocier avec ses partenaires.

Le Guardian considère que le R.-U. est devenu un patient ambulatoire signant une décharge hospitalière. Le veto ne protège pas la City et même Margaret Thatcher se refusait à la politique de la chaise vide à Bruxelles. Le problème le plus crucial, c’est la domination du secteur financier et le démantèlement du secteur industriel. Certes, l’euro tel qu’il a été conçu est un échec, mais l’europhobie est vaine.

Europe, va te faire

The Sun, toujours dans la délicatesse, titre « Up Eurs » (dans ton c.., l’Europe), mais craint l’effet pervers en retour. Le Telegraph cite Cameron qui ne veut pas participer à la « partouze » européenne, soit échanger sa femme, la City, pour d’autres (il avait été avancé qu’un Français avait campé Cameron en homme « qui se rend sans sa femme dans une soirée échangiste ») et si l’un de ses éditorialistes l’approuve, d’autres articles sont plus inquiets des conséquences.

John Lichfield, de l’Independent, compare le futur Royaume-Uni aux îles Caïman, « sans la météo ». Le quotidien recense les pour et les contre, via une volée de citations de personnalités britanniques et européennes. Dont le député conservateur Bernard Jenkin, qui craint que son pays devienne le satellite d’une « superpuissance ». Chris Bryant, travailliste, pointe que rien n’a été obtenu sur la PAC (politique agricole commune), les pêcheries, et la législation sur le temps de travail. Mais Andrew Grice donne plutôt la parole à ceux qui, en Europe, pensent que Cameron « a marqué un but contre son propre camp. » (national, pas celui de son parti, mais au final, il plonge son pays dans l’incertitude).

Ben Chu compare les dirigeants européens à des candidats au bac qui s’accrochent pour répondre à la question qu’ils pensent dominer et non à celle du sujet d’examen. Les banques ont détruit les richesses nationales, et ils dissertent d’autre chose. Et voilà 18 mois qu’ils le font. Quant au R.-U., il reste trop dépendant du continent pour s’estimer à l’abri, avec ou sans la livre.

Nicholas Faith dénonce « l’égoïsme de la City » qui ne voit que les profits à court terme : « Le Square Mile est le repaire des traders et non des investisseurs. ». Chaque pays a désormais son hectare de la finance, peuplé de « naufrageurs », de « pilleurs d’épaves » (ce que j’évoquais dans divers articles, sans savoir que Jonathan Swift avait usé de cette métaphore voici deux siècles, merci à Nicholas Faith de me le remémorer). Et ces naufrageurs, à Londres, c’est aussi 300 000 jeunes Français, très gourmands, très « moi d’abord », ne pensant qu’à leurs pépettes, leur grisbi, leur fraîche, leurs bonus, leurs primes… Ils sont le plus gros contingent, parmi les opérateurs multinationaux, les Néerlandais, les Scandinaves, et tant d’autres. « Messrs Cameron and Osborne » ont certes injecté un peu de crédit pour les PME-PMI, mais tout comme Hausmann-Brongniart, la City spécule mondialement, et se montrera ingrate, disant « Pourquoi me haïssez-vous ? Je n’ai jamais tenté de vous aider… ». Cela ne vaut pas que pour le Square mile (de Londres, aussi d’Édimbourg).

Peu d’impact

La presse dite « de qualité » n’a pas beaucoup d’influence sur l’opinion britannique. Elle ne touche que les plus aisés, car le « prix populaire » ne permet pas de faire tourner d’autres machines que celles des tabloïdes populaires. C’est le cas du Daily Record, qui, en Écosse, traite du sport, des faits-divers locaux. Mais son édito est sanglant : « David Cameron risks all our futures ». Pas de jeu de mots, ici, sur les valeurs boursières (les « futures » ou contrats à terme sur marché des devises, des taux d’intérêts, sur indice boursier). C’est bien du devenir qu’il s’agit. Les exportations écossaises, c’est pour moitié ou presque, le marché européen. « Pas besoin d’être un prix Nobel d’économie pour saisir ce que la débandade européenne signifierait, » poursuit l’édito. Mais pour éviter une guerre intestine chez les conservateurs, Cameron a obéi à ses mandants de la City.

The Evening Times (Glasgow) répercute l’avis du Scottish National Party. Alyn Smith (SNP) prédit que le Royaume va donner du gîte et sombrer « bien plus vite que l’Eurozone ». Les Écossais, qui se relèvent de divers ouragans, ont d’autres chats à fouetter dans l’immédiat : ils commentent peu.

Il n’est pas sûr que l’édito de Bill Jamieson dans le Scotsman soit très lu. Il est favorable à Cameron : « de toute façon, quelle influence avions-nous ? ». La finance est le plus grand employeur écossais dans le domaine des services : plus de 100 000 jobs. Il faut renégocier avec l’Europe, ou en sortir, car une Écosse indépendante, sans renégociation, ne serait guère plus « que le mégot d’un fief de Vichy ». Tiens, tiens, j’avais déjà vu, hier, une référence à Waterloo. Voilà donc la France de Vichy, qui veut des pastilles, des fonds pour « son » Europe, sans contreparties pour l’Écosse. J’évoquais hier la Auld Alliance (France, Écosse, Norvège). Pour le Scotsman, ce n’est plus de mise.

Un Écossais pro-Européen évoque le Pacte de Varsovie (qui liait l’URSS à ses « pays frères » contre l’Otan). Pas question de faire figure de dominion. De plus, Bruxelles ne rend pas assez à l’Écosse, il faut donc renégocier et Cameron a eu raison d’être ferme.

Pour l’Herald, et Ian Bell, « Cameron joue pour la City ». Il a mis ses testicules sur la table et brandi son énorme veto à deux mains. Mais cela ne suffira pas à sauver la City. Cameron s’est fait rouler dans la farine par Sarkozy, qui a besoin de l’épouvantail britannique. Il n’a en fait qu’un tout petit zizi car les décisions fiscales et budgétaires se prendront sans lui. « Un petit drapeau pourra bien flotter à Bruxelles ou Strasbourg encore quelques années (…) en spectateur… ». Que ce soit côté cour ou côté jardin, exit l’acteur John Bull, le gesticulateur.

Pour une fois que ce n’est pas Sarkozy qui est traité d’hystérique dans la presse britannique, cela vaut d’être relevé.

En fait, le plus significatif provient du Dundee Messenger. Oh, pas question de l’Europe. Mais du fait qu’un quart des entreprises écossaises ont peur de se tourner vers leurs banques pour solliciter du crédit : peur de se voire éconduire, ou pire, d’une hausse des taux des avances déjà consenties.

Le « traité » insuffisant

Par commodité, la presse britannique évoque l’accord de Bruxelles en évoquant un traité. Pour le moment, nul n’a vu l’ombre d’un seul nouveau traité, juste une possible préfiguration de ce qui pourrait, un jour, aboutir, ou pas… Une partie de la presse britannique, quelque peu dépitée, ne voit dans l’accord de Bruxelles qu’un coup d’épée dans l’eau, au mieux une nouvelle rustine consistant à blablater. Ce n’est pas du tout faux.

L’Europe future aura peut-être avancé, en se ressoudant, si, surtout, elle met au pas le Royaume-Uni, protège, régule, sa finance, en érigeant un mur entre elle et la City. Ce qui n’est pas gagné. Mais le sauvetage de l’euro, de la zone euro, l’euroquake, l’euroterremoto, guette toujours. L’eurofaille n’est nullement comblée. Car personne ne sait clairement à quel jeu dangereux les banques ont vraiment joué. Personne ne sait qui est vraiment solvable, et de combien, en dépit des « stress tests ». D’autres avaient précédé les plus récents, et des banques estimées en bonne posture ont flanché.

C’est demain, dimanche, que la Sunday Press, les éditions dominicales, beaucoup plus chargées en éditos et analyses, donneront le véritable la britannique.

Peut-être les titres dominicaux tiendront-ils compte de la réticence des habitants de Cardiff à dépenser pour les fêtes de fin d’année : ils espèrent d’autres rabais, d’autres promotions. Pourtant, la Fragrance Shop a déjà consenti des réductions de 60 %. Chez Burton, sur Queen Street, c’était du 40 %. Mais pas de réponse enthousiaste.

Lundi, le soufflé de l’accord de Bruxelles risque de retomber, et le veto britannique peut passer pour un épisode mineur, réversible ou non. Comme l’exprime Chine nouvelle, il est trop tôt pour faire sauter les bouchons de champagne. Mais, « un bon départ, c’est la moitié du chemin fait », selon un proverbe chinois. Pour un marathon, c’est un peu différent. Et ce n’est pas si bien parti alors que les investisseurs américains et asiatiques sortent leur argent de France.

Dans le Telegraph, Charles Crawford, ancien diplomate, conclut « le sommet n’est pas parvenu à s’en prendre aux vrais problèmes fondamentaux de l’Eurozone. ». Par conséquent, le Royaume-Uni ne sera pas de trop pour influer et faire face à la réalité, en laissant un peu de côté l’ambition (européenne).

Bagehot (nom du défunt Walter Bagehot, repris par les éditorialistes actuels de l’Economist) pense que l’accord risque de rester lettre morte. Était aussi en jeu à Bruxelles le maintien à Londres de la nouvelle European Banking Authority et que les institutions financières américaines localisées à Londres ne soient pas affectées par les nouvelles règles. Cameron voulait aussi pouvoir opposer un veto à la taxe Tobin (ou Robin Hood Tax).

Cameron a ouvert la voie, en réaction, à l’Eurozone Plus. Mais que vaut-elle vraiment ?

En tout cas, va te faire…, partouze, boules, gros dard, &c., la presse n’a pas hésité, chez les voisins du nord-ouest, à faire usage d’expressions imagées. Une chose est sûre : l’Europe n’est plus du tout sexy, mais elle fait encore, soit des ravages, soit figure d’épouse de raison dont on ne voudrait pas divorcer. Avec l’écu, The Sun avait évité d’employer « cul » (en français), mais c’était déjà très explicite : nos lecteurs sont conviés (incontinent, pourrait-on ajouter) de dire à l’idiot français où se coller son écu. Là, c’est un photomontage de Cameron en Churchill au geste très explicite. The Seattle Post Intelligencer en rajoute, citant le Premier ministre néerlandais, en une allusion explicite à un autre doigt : « On ne peut pas simplement rester derrière les digues » (en y coinçant le doigt pour empêcher la mer de se déverser).
Selon Piotr M. Kaczynski, du Centre d’études européen, il n’y a plus d’endroit où on ne peut plus mettre les doigts, et parmi ces endroits, la souveraineté des États. Cameron veut les retirer du pot aux euros, mais cela pourrait revenir à sortir la main d’un placard, l’Europe, dont la porte se claque. Sur les doigts, avant de se refermer hermétiquement. Allez, peut-être mettra-t-il deux doigts d’eau gazeuse dans son gin… On verra en mars si l’euro ne s’est pas effondré d’ici là.