La « famille » des néo-nazis perdra l’un de ses membres ce soir : Manuel « Manny » Pardo devrait être exécuté par injection dans la prison de Starke (Floride). Celui qui est censé avoir inspiré la série Dexter de Jeff Lindsay était surtout un « pré-Breivik ». Il avait fait de sang froid neuf victimes, soit une soixantaine de moins que le tueur norvégien. Immanquablement, d’autres Pardo ou Breivik se manifesteront…
Je me souviens du temps où, sur les bords de la Vologne, l’affaire Grégory était interprétée comme un possible infanticide, au moins par une partie de la presse et de l’opinion. Hormis les circonstances (un corbeau, des drames familiaux, la période peut-être…), un infanticide n’a rien de vraiment exceptionnel. Le passé l’établissait, la suite (notamment avec ces affaires d’enfants congelés, ou, plus récemment, à Pau) le confirmera, et l’infanticide (maternel le plus souvent, hors cas de conduites suicidaires ou d’élimination de toute une famille par l’un de ses membres masculins) est relativement récurrent.
Il en est de même des tueries aux motivations idéologiques, et l’affaire Manuel Pardo, antérieure d’un demi-siècle à celle d’Anders Breivik (ou celle de l’Allemande Beate Zschäpe), vient à présent le remémorer.
Manuel « Manny » Pardo avait été un militaire fort bien noté, puis un policier estimé en Floride. En 1988, à son procès pour neuf assassinats (six hommes, trois femmes), il proclame : « Je suis un soldat, j’ai accompli ma mission et je vous prie humblement de m’accorder la gloire de mourir et de ne pas m’envoyer finir le reste de mes jours en prison. ».
Ancien scout, puis marin de la Navy, il avait rejoint la police en 1970. En 1981, il est accusé de brutalités par personne détentrice de l’autorité, avec trois autres policiers, mais on passe l’éponge. Cinq ans plus tard, s’étant pourtant encore distingué pour des faits de bravoure en service, il dépose, aux Bahamas, un faux témoignage pour innocenter un collègue accusé de trafic de stupéfiants. Il est révoqué.
Début 1986, en un trimestre, il tue six hommes et trois femmes, certains connus pour des activités délictuelles ou criminelles, d’autres ayant eu le malheur de se trouver présents. Il voue un culte à Hitler, fait tatouer une swastika sur son doberman, et s’estime parfaitement fondé à éliminer « des parasites, des sangsues, qui ne méritent pas de vivre. ». Les victimes étaient en général des vendeurs de drogues, mais aussi des témoins gênants ou un prêtre qu’il croit mêlé à des trafics ou encore un opposant haïtien qu’il considère travailler pour un service secret.
« Au lieu d’en éliminer neuf, j’aurais aimé en tuer 99 », dira froidement celui qui place les cendres de ses victimes dans des urnes afin de les vouer aux « flammes éternelles et à la damnation de l’enfer ». De la psychiatre qui le déclare fou, et d’autres experts, il déclare « ce sont des putes : payez-les assez et elles diront n’importe quoi ». Un autre expert le dira conscient aux moments de ses actes.
À l’époque de sa condamnation, il s’était trouvé des gens pour manifester leur soutien à Manny Pardo en écrivant au Weekly World News qui sollicitait des opinions de lecteurs. De même, en France, Richard Millet, mais aussi d’autres personnes, de nationalités différentes, ont exprimé leur soutien à Breivik.
Les courriels de Breivik ont été rassemblés dans un livre Les Courriers électroniques privés d’un tueur. L’auteur, le journaliste Kjetil Stormark, a aussi publié des messages de soutien envoyés peu après le carnage.
Pardo, lui, entretenait plutôt des correspondances « sentimentales » avec des femmes auxquelles il cherchait plutôt, en détention, à extorquer de l’argent pour cantiner.
Le psychiatre Terje Torissen a pu se pencher sur les messages de soutien à Breivik. « Ce sont des déclarations de soutien sans équivoque avec les mêmes point de vue politiques (…) ce sont des complices (…) qui se servent du même vocabulaire et de la même terminologie que lui. ».
Certains se déclarent à présent « plus extrémistes » qu’auparavant. Un Américain de 23, Kevin, étudiant à l’Assumption College (univ. catholique du Massachussetts) admet froidement que Breivik est « un patriote nationaliste rationnel qui veut protéger les gens contre l’Islam, le multiculturalisme et le marxisme, » comme il l’a déclaré à visage découvert (sa photo est reproduite) au quotidien norvégien VG.
En août 2012, à Ostrava (Tchéquie), un « paramilitaire » de 29 ans, qui utilisait le pseudo « Breivik » a été arrêté : il disposait d’un arsenal et d’explosifs militaires. Fin novembre, c’était un universitaire polonais de Cracovie qui voulait faire exploser une voiture piégée avec quatre tonnes d’explosifs : « en Pologne, le pouvoir est exercé par des étrangers et non par de vrais Polonais ».
Passons sur la « blague » de Mehdy Mikkiche, militant UMP qui, en août dernier, suggérait d’envoyer Breivik à l’université d’été du Parti socialiste. Admettons qu’un Salem Benammar, qui titre un billet « Pourquoi les loi d’Allah sont pires que les lois nazies » se soit laissé emporter par sa verve polémiste. N’amalgamons pas (en tout cas pas déjà, pas si vite…) les auteur·e·s du site Christianophobie à des Breivik ou des Pardo, Zschäpe, &c. : ce n’est certainement pas le cas. Mais pour les sympathisants (surtout ceux qui voient leurs commentaires censurés par ces sites identitaires ou proches, car trop outranciers ou frisant l’illégalité), le doute est permis.
Toutes et tous, friands de ce marketing radical, généralement absents ou marginalisés des cercles de ceux qui l’organisent, ne passeront pas à l’action. Ni à des actes à portée symbolique, ni à des massacres. L’extrémisme radical n’est d’ailleurs pas l’apanage de la seule extrême-droite. La vindicte meurtrière, qu’elle soit froidement envisagée ou favorisée par des troubles de la personnalité, s’alimente surtout d’elle-même et la prose ou les idées des autres ne sont souvent que prétextes, occasions de se conforter dans son, ses dessins, son « destin ».
Mais de toute façon, un prochaine Breivik, ou Pardo, une prochaine Zschäpe, est inévitable, que la police ou d’autres puissent l’empêcher à temps de nuire ou non. Peut-on simplement suggérer que celles et ceux qui ont laissé, puis applaudi, qui a agressé physiquement une Caroline Fourest ou des Femen, que ce type de violence (contenue : par chance, pas de victime renversée et morte la tête heurtant un trottoir) peut alimenter d’autres violences, ou d’autres pulsions violentes ?
Comment peuvent-elles, peuvent-ils, être totalement sûrs que ce n’est pas le cas ? Que la provocation, même pacifique, appelle une riposte musclée, est toujours justifiée ? Après tout, Breivik, Pardo, &c., s’estimaient provoqués…
C’est relativement simple : la fin ne justifie pas les moyens, et certains moyens, même « moyens », ne devraient pas être tolérés, et encore moins encouragés. Dexter, peut-être, mais l’apologie de Breivik ou de Pardo n’a pas lieu d’être.