Lorsque, dans sa dernière édition (de septembre), Le Monde des religions publie un entretien d’Élizabeth Badinter, il était « prévisible » que le bulletin Riposte laïque s’empresse, dès le lendemain, de reprendre les fortes paroles de la pédégère de fait de Publicis : « En dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la laïcité… ». ll n’en a rien été et la « riposte » tarde…

Laïcité et libre-pensée sont souvent (à raison jusqu’à voici peu) associées.
Soit que la libre-pensée puisse s’accommoder de diverses manières d’interpréter la laïcité et de ne pas s’ériger en culte d’une raison totalement univoque.

Je lisais récemment, sur diverses pages en ligne, qu’Yvette Cauchois, physicienne et chimiste française, s’était, vers son grand âge, convertie sous l’égide de l’église orthodoxe autocéphale roumaine. Mieux vaut jamais que tard ?
Allez savoir.

Ion Stoïca, du monastère de Bârsana (Marmures), l’aurait convaincue que son cheminement spirituel chrétien valait d’être emprunté.
En tout cas, théiste, la thésarde.

Yvette Cauchois, 90 ans, reçoit donc le baptême de rite orthodoxe au monastère, lui lègue ses biens, attrape froid, fait un très bref retour à Paris pour retourner, décédée, s’y faire inhumer. Coïncidence ou « don de Dieu » ? Dont les voies sont si impénétrables ? Je ne ferai pas l’injure à la mémoire de cette professeure émérite, prix de l’Académie des sciences et récipiendaire du prix Henri de Jouvenel (père de Bertrand, lui aussi plutôt positiviste et laïcard tempéré), d’imaginer qu’elle se soit fait mesmériser par un intellectuel illuminé.
Celui que j’imagine être l’auteur de la Relation entre religion et science, antagonisme et convergence (annales de l’université Vahalia de Targoviste), n’a rien d’ailleurs d’un illuminé. Dommage que l’église orthodoxe roumaine, dont les manifestations sont de plus en plus ostentatoires, voire hégémoniques et au service d’un nationalisme roumain conquérant, ne se contingente pas à la sphère privée… Yvette Cauchois († 1999) n’est plus là pour le constater, et cela l’aurait peut-être autrement refroidie…

Pas assez « juive » ?

Riposte laïque fait encore un peu preuve d’esprit libre-penseur puisque ses chroniqueuses et éditorialistes se défendent de véhiculer sciemment des idéaux raciaux et que, je l’ai bien noté, la chronique de Stanislas Geyler, « L’abolition universelle de la peine de mort reste un combat à mener », a eu droit de cité (et de citation de Robert Badinter) dans ses colonnes. Petite pierre dans le programme du Front national et dans la cour de Marine Le Pen.

Mais on s’attendait, pour le moins, à ce que Christine Tasin, qui vole au secours de Christine Boutin et voit chez les enseignants de « gôche » l’émergence d’un « nouveau fascisme », entonne une ode à Élizabeth Badinter. Mais Badinter ne serait-elle pas « insuffisamment » juive aux yeux de Christine Tasin ?

En effet, dans Le Monde des religions, Élisabeth Badinter voit aussi dans les « sionistes religieux » ceux qui « empêchent en partie la paix. ». Les ennemis de mes ennemis n’est pas vraiment une maxime libre-penseuse. De plus, écrire que « croire en Dieu doit rester une affaire intime » peut froisser les « amis des amis », ceux du Front national et de Riposte laïque. Car, à présent, tout laisse penser que les animateurs de Riposte laïque serait prêts à gonfler les rangs des processions, des grands et petits pardons, des rites de flagellation sévillans, voire à justifier les pratiques de l’Opus Dei : histoire de contrer l’emprise des musulmanes et des musulmans dans la société française.
Entre alliés, foin de critiques : c’est De Gaulle étreignant Staline. Ce qui vaut aussi pour les colons extrémistes de la Cisjordanie (pardon, de Judée et Samarie) aussi ?

Procès d’intention et d’inattention, me ripostera-t-on ? Eh, une lecture très attentive pourrait apporter quelques tonnes d’eau à mon moulin… Mais cela peut aussi se discuter sans fin. Quelques vigoureux dénis de Riposte laïque peuvent aussi valoir contre-feux.

Right or wrong, my struggle?

Il n’est pas trop difficile non plus à un libre-penseur de se déjuger, de reconnaître ses erreurs. Oui, mais, à Riposte laïque, après avoir titré « Badinter et Valls incarnent l’esprit de caste de la nomenklatura socialiste » (ce qui n’est pas tout à fait abusif), comment faire machine arrière et saluer celle qui approuve – à tort – le numéro d’équilibriste pro-catholique apostolique romain et pro-laïque de Marine Le Pen ?

Je ne suis pas vraiment opposé à un prosélytisme prudent et mesuré de l’agnosticisme, voire d’une spiritualité animiste prise avec un fort recul (comme dans la pratique wicca, un certain druidisme) : l’homme et la femme ne vivent pas que de pain, et qui est en peine de folklore ou en mal de recherche spirituelle n’est pas forcément mauvais.
Cela vaut aussi pour les chrétiens, les musulmans, d’autres… Sans que, pour autant, cela conduise à l’aliénation, l’emprise de gourous, &c., fussent-ils laïcards endurcis.

Or donc, idéalement, j’approuve totalement les propos tenus par Élizabeth Badinter sur ce point précis (et non la totalité de ses autres écrits). Pragmatiquement, je pense aussi comme Marine Le Pen que « ceux qui n’ont pas de place [dans des lieux de culte] n’ont qu’à prier chez eux. ». À cette nuance près que Marine Le Pen ne vise que les mosquées, exclusivement, et que je peux comprendre que des personnes partageant tout ou partie d’une culture puissent revendiquer des lieux pour se réunir. Qu’ils les financent. Entièrement.
Ce qui vaut pour les églises chrétiennes ou autres, en Grèce, Roumanie, France, et ailleurs… À Yamoussoucro comme au Caire, à Lourdes ou dans le 9-3. Et pour faire bonne mesure, ainsi soit-il aussi des sectateurs des bolides vrombissants ou des adorateurs des ballons ronds ou ovales. J’ajoute que, membre ou responsable d’associations, je n’ai jamais sollicité la moindre subvention.

Petits arrangements…

Entre amis, on ne se cherche pas de poux dans la tête. La divorcée et remariée et de nouveau divorcée, puis à présent « à la colle », Marine Le Pen pourrait peut-être envisager de donner naissance à un quatrième enfant, en prévision des législatives, histoire de donner la réplique à Carla Bruni. Croyez-vous que cela empêcherait les intégristes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet de le baptiser comme les précédents ? Carla Bruni et Nicolas Sarkozy feront baptiser l’enfant d’octobre, ce ne sera guère une révolution d’octobre.

Il fut un temps où ce sacrement était refusé aux engeances de parents « vivant dans le péché ». Ô tempora, ô mores ! Or donc, les petits arrangements entre amis du Front national ou de Riposte laïque vont parfois au-delà des accointances et du précepte que les ennemis des ennemis sont des amis… finissant par être choisis.

Jean Baubérot, respecté professeur émérite de l’E.P.H.E., auteur du blogue « Laïcité et regard critique sur la société » de Mediapart, donne la réplique à Élizabeth Badinter, et de même à Marine Le Pen. Élizabeth Badinter serait chantre (non-orthodoxe) de la « laïcité lepénisée ». Objection.

Tout n’est pas faux dans l’argumentation de Jean Baubérot. Mais c’est pousser le procès un peu loin que d’énoncer qu’Élisabeth Badinter aurait « absolument tort de faire coïncider la laïcité avec sa position personnelle. ». L’histoire n’est pas plus immuable que l’historiographie. Les lois non plus.

Formellement, Jean Baubérot soutient que « le ver est dans le fruit dès que l’on veut réduire (…) la religion à la sphère privée, entendue comme étant la sphère “intime”. ». Cela serait contraire à l’esprit de la loi de 1905, ce dont je veux bien convenir. Et alors ?

Pourquoi faudrait-il ad vitam (de surcroît, eternam) continuer à rétribuer des aumôniers dans les établissements d’enseignement, les lieux de détention ou les enceintes militaires ? La réponse est simple : pour les trier, sélectionner et surveiller. Au nom de quoi, Jean Baubérot, selon votre argumentation, refuse-t-on aux imams des talibans de veiller au salut des âmes de nos militaires musulmans ?

Mais c’est bien au nom du fait que l’abbé Pierre ou le chanoine Kir se rendaient à l’Assemblée en soutane qu’il faudra admettre qu’une députée y siège en tchador. Comme la perspective en est lointaine, cela ne fait ni froid, ni chaud, à notre estimé professeur…
Invoquer Jules Ferry, les mânes de Briand ou de Jaurès n’y change rien. Pourquoi pas non plus celles de quelques empereurs romains qui ont dû composer avec les sectes chrétiennes ?

Voire chez des personnes…

« Voire chez des personnes qui se veulent de gauche », il serait tenté « de réprimer des expressions de la religion dans l’espace public. ». Si fait. Entendons-nous bien. Des forêts domaniales sont des espaces publics. Je ne vois pas pourquoi le ministère public ne pourrait pas en approuver l’occupation temporaire locative aux ministres des cultes.
Ce sont là des organisateurs de spectacles comme d’autres ; à chacun sa rave.

Jean Baubérot invoque aussi la Déclaration universelle des droits de l’Humanité. N’est-elle point perfectible ? Ne stipule-t-elle pas que tout individu a droit à un mode de vie décent ? « Nul ne sera tenu en servitude ». Au fait, c’est quoi « l’âge nubile » ? Et qu’est-ce donc « un niveau de vie suffisant » ? Et quid de « l’éducation » (celle de la halte-garderie que sont devenues les écoles publiques des zones où le fruit de l’imposition est faible) ? Rien n’est donc évolutif ?

Ce qui est reproché par Jean Baubérot à Élizabeth Badinter, soit de se situer « tellement au cœur du système dominant », pourrait être réexpédié à l’envoyeur. La nécessité « pour les dominés d’aller chercher ailleurs » (pas forcément dans les draps du Front national) peut nous conduire à souhaiter un approfondissement de la loi de 1905 qui serait plus conforme à ce que souhaite Élizabeth Badinter. Est-ce condamnable ? Au nom de quoi au juste ?

Ce n’est pas tant l’incapacité complète à comprendre la société dans laquelle vit Élizabeth Badinter que Jean Baubérot finalement dénonce, mais la sienne. Ou plutôt, il révèle que la société dont il jouit, tout comme Élizabeth Badinter, lui convient parfaitement. Avec bien sûr quelques nuances qui ne touchent pas trop à l’essentiel : le pain. Certes, son argumentation ne cause pas « énormément de dégâts. ». Enfin, pas beaucoup plus qu’hier, peut-être pas autant que demain.

L’homme et la femme ne vivent pas que de pain, certes. Et quand le bâtiment constructeur de mosquées, d’églises, de biserici, de temples, va, tout va ? Les professeurs touchent leurs retraites ? Plus longtemps que les ouvriers du bâtiment estropiés ?

Jean Baubérot, Élisabeth Badinter, Riposte laïque, le Front national, bonnets blancs et blancs bonnets ? La mise en cause de la nomenklatura n’est nullement un anti-intellectualisme.
Mais, que nous soyons libres-penseurs, chrétiens, musulmans, animistes, bouddhistes, adorateurs du nombril, laudateurs des extra-terrestres, pouvons-nous vous suggérer, Mesdames et Messieurs, Grands de l’église du domaine intellectuel, qui réfléchissez « pour nous », de faire preuve d’un peu de notre humilité ? Merci de votre si bienveillante attention…

Actualisation :
Comme signalé en commentaires ci-dessous, ce lundi 3 octobre, Riposte laïque s’est exprimée sur l’entretien d’É. Badinter.
C’est Lucette Jeanpierre qui s’y est « collée ».
Baubérot en prend pour son grade, il est rappelé qu’il avait refusé d’appuyer la loi « contre les signes religieux à l’école, parce qu’elle allait stigmatiser les musulmans ! ». Mais bien sûr, ce sont surtout les médias (Marianne, Le Monde, Mediapart, &c.) qui sont prioritairement visés. Mais quid du reste des propos d’É. Badinter ?