Blanchiment de la drogue (IV) : fuites sélectives

Depuis le 25 octobre dernier, silence « radio » total de la presse sur le volet Lamblin et consorts de l’affaire de blanchiment d’argent provenant du trafic de stupéfiants et d’évasion fiscale mettant en cause le clan El Maleh. Question blanchiment d’argent sale, en général, lié à l’immobilier, notamment en Corse, aux transaction sur les œuvres d’art, il ne se passe pas de jour sans qu’une, deux, trois, quatre affaires défrayent les chroniques, un peu partout dans le monde (Québec, La Réunion, Algérie, pour aujourd’hui). Mais les affaires des El Maleh sont loin de retomber sous le boisseau. 

Comme l’exprimait Ali Amar, correspondant de Slate à Casablanca, « tout n’est pas dit » sur les secrets de la Morrocan connection. Les barons locaux de la drogue détiendraient dix pour cent du PIB marocain, soit plus de neuf milliards d’USD.

L’un d’eux, celui qui avait fui précipitamment la France, à la suite du déclenchement de l’affaire du clan El Maleh, aurait finalement été arrêté au Maroc, signale Ali Amar, qui ne fournit pas de nom.

En revanche, en France, trois nouveaux noms, révélait Le Monde daté du 25 dernier, sont venus s’ajouter à ceux de l’avocat parisien Robert Sellam et de Florence Lamblin, compagne d’Isaac Khaski. Il s’agit de ceux du marchand d’art Thierry Librati, du foureur Thierry Schimmel Bauer, et du marchand de biens Anthony Pacini.

On comprend mieux pourquoi Meyer El Maleh avait pu, un temps, soutenir aux enquêteurs suisses que l’argent récolté par son frère Mardoché provenait de la communauté israélite française à destination de ses bonnes œuvres. Il faut croire que Librati, Schimmel Bauer et Anthony Pacini étaient dans le besoin, tout comme Me Sellam ou le couple Lamblin-Khaski. Bien évidemment, il n’en est rien.

Le fisc français est bien bon. Planquer 374 500 euros, comme l’a fait Florence Lamblin, n’exposerait qu’à régler 31 000 euros à Bercy pour « régulariser la situation ». C’est à peine davantage que les 8&bnsp;% de commission consentis aux El Maleh de Genève. Franchement, prendre de tels risques pour un si faible gain n’en vaut pas la chandelle. En fait, à moins que, sur instruction de la Chancellerie, le parquet décide de faire bénéficier Florence Lamblin d’une procédure de plaider-coupable, histoire d’évacuer discrètement l’affaire, on doute fort que l’ex-élue EELV parisienne s’en sorte à si bon compte.

Depuis Genève, les fonds des évadés fiscaux, remboursés par l’argent de la drogue, filaient en direction d’une diversité de sociétés, dont au moins deux à Londres. Ainsi Yewdale Ltd, à West Hampsted, quartier cossu du nord de Londres, où Robert Naggar officiait pour le compte de Meyer El Maleh. Ou encore Globalised Ltd. Londres est la base de divers dirigeants de la famille élargie des El Maleh (ou Elmaleh) et l’on retrouve Jacques-René Elmaleh chez Steinberg Global Asset Management Ltd (Londres, Boca Raton, É.-U.), en compagnie de Tara Leigh Elmaleh ou de Jacques Elmaleh. Cette société, fondée par Norman Steinberg, est aussi respectable que l’était GPF SA, à Genève, fondée par la famille Sasson. Les Elmaleh de Londres agissaient-ils comme les El Maleh de GPF SA à Genève. Rien ne l’établit, mais peut-être auraient-ils pu être dupés par ceux de Genève.

GPF SA a débarqué Meyer El Maleh, mais les procurations d’Amandine Josek et de Laure Vasarino ont aussi été radiées en date du 25 dernier. Les affaires pourront donc reprendre.

Qui, en fait, contrôle les comptes de ces sociétés ? Des cabinets comme Deloitte, où d’autres Elmaleh, pas du tout forcément mis au parfum, se voient présenter les livres comptables. Qui, au niveau international, traque l’argent du blanchiment, à l’aide d’algorithmes analysant les transactions ? Par exemple Nice Systems, qui vient d’acquérir Redkite Financials Markets « qui propose des solutions (…) de surveillance des transactions en temps réel par le cloud. ». Nice Actimize, basée en Israël, est l’un des plus acteurs mondiaux dans le domaine des solutions de surveillance de la délinquance financière et de la cybercriminalité. Il s’agit aussi de fournir aux plus grosses compagnies et plus grands établissements les moyens de se conformer aux recommandations des institutions comme, par exemple, Tracfin.

Tout cela coûte très cher. Rien que la cellule française de lutte contre le blanchiment, installée à Montreuil, et Bercy, moulinent des centaines de milliers de données. Cela rapporte : en 2011, 8 000 contribuables français plaçant des avoirs à l’étranger ont été débusqués. Certains y avaient échappé et se sont retrouvés coincés par d’autres moyens.

C’était donc le cas de Florence Lamblin, de Me Robert Sellam, dont les noms sont apparus très tôt dans la presse. Mais aussi, pour cette seule affaire, de Thierry Librati, du bureau francophone de Yad Vashem, association honorant les déportés et les Justes et contribuant à un mémorial de Jérusalem. Sa galerie d’art de la rue de Lille à Paris se spécialise dans les créations et objets des années 1950 à 1970. Elle n’ouvre que sur rendez-vous. Il gère aussi la société Anonymous (la bien nommée ?), sise à la même adresse. Il fait aussi, comme Florence Lamblin, directrice du Lieu du Design, dans le stylisme. On se souvient que deux photos d’Helmut Newton (dont un simple Polaroïd de test part fort cher aux enchères) avaient été saisis par la police dans un coffre. Rien n’est plus opaque, si ce n’est celui des stupéfiants, que le marché de l’art.

Thierry Schimmel Bauer était-il lui aussi dans le besoin. Dirigeant de Confection Saint-Macaire, il gère aussi la société immobilière TSB Hauteville, rue parisienne de l’ancien sentier des fourreurs ashkenazes où il dirige en famille un atelier de confection de fourrures.

Anthony Pacini, gérant de l’immobilière Sogedi Sarl, de la rue Marbeuf, et dirigeant de HP Énergies, avenue Hoche, ou d’Hermes Union SA à Nîmes, est aussi du nombre des sept personnes pour le moment appréhendées. Il manque donc deux noms. Lesquels finiront bien par filtrer… Tout comme ceux du fameux carnet qu’une zélée parente El Maleh consignait à Genève.

Les fraudeurs fiscaux, français et autres, qui pensaient pouvoir encore bénéficier du secret bancaire suisse vont être de plus en plus nombreux à vouloir rapatrier, sans doute par tous les moyens, des fonds qui seront de moins en moins protégés. Pour Sergio Ermotti, d’UBS, le secret bancaire en Suisse va très vite appartenir au passé. Dans le Tages-Anzeiger, il a clairement martelé que « nous ne pouvons pas dire que le standard que nous utilisons pour le monde entier ne vaut pas en Suisse. ».
Rescapée, grâce à l’injection d’argent public suisse, de la faillite en 2008, UBS licencie près de 10 000 personnes mondialement, dont 2 500 en Suisse. La fin du secret bancaire est loin d’en être la seule cause. Mais elle en a sa part. D’autres banques suivront.

La lutte contre le blanchiment d’argent s’étend car les États, notamment en Europe, ne peuvent plus faire l’impasse sur les moindres recettes. En Italie, ce sont les officines de transferts de fonds qui viennent d’être visées. Débutées à Brescia, les investigations ont déterminé que 35 % des fonds correspondaient à des opérations de blanchiment d’argent. Les peines ont été relevées en Italie (de cinq à huit ans).
En Allemagne, près de 8 000 cas probants (sur 13 000 ayant fait l’objet d’enquêtes) ont été recensés en 2011. Sur les recettes criminelles totales d’une année, près de 60 milliards d’euros sont blanchis par des entreprises ou des « cols blancs ». Sur cette somme, seulement un pour cent est récupérée par les autorités, déclare la BKA (la police criminelle allemande) au Deutsche Welle.

Les circuits vont donc se compliquer, les risques encourus aussi. Les mis en examen dans l’affaire Lamblin et consorts n’avaient peut-être pas le sentiment d’avoir alimenté toutes sortes de trafics frauduleux et criminels. On veut le croire pour Thierry Librati, fils de Maxi Mordechai (Mardochée) Librati, couturier originaire de Casablanca, déporté, qui a sans doute trop fait confiance à tel ou tel membre de la communauté israélite. On l’accordera à d’autres…
Les suivants ne pourront plus alléguer ce type d’excuse.

Et puis, piquer dans les fonds publics, n’est-ce point taper dans la caisse ? Dans les fonds alloués à l’éducation, le respect de l’environnement et d’autres actions d’intérêt collectif ?
Il conviendrait aussi de s’en rendre compte.

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

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