Le mot fait bondir : Vladimir Poutine a jugé vendredi qu'il était "prématuré" de parler de sanctions à l'encontre de la Birmanie. Prématuré ! Alors que la répression bat son plein et que le chiffre officiel de 13 morts ne reflète évidemment pas du tout sa sanglante ampleur.

 

 

Aujourd'hui, quelque 20 000 soldats ont investi les rues de Rangoon et les opposants sont emprisonnés par milliers, à tel point que les prisons sont archi pleines et qu'on les détient désormais dans des locaux universitaires ou des écoles. Mais l'ONU ne condamne pas, la Chine et la Russie utilisant systématiquement leur véto pour défendre leur allié birman. Et la France ?

Pour illustrer concrètement la real politik pratiquée, souvenons-nous que Poutine a été décoré de la légion d'honneur par Chirac et que l'homme qui prétend incarner la rupture est son nouveau grand copain. Quant à Sarkozy lui-même, au-delà de la posture qu'il adopte pour condamner la junte birmane et appeler au gel des investissements français, sa volonté réelle de peser est douteuse: son ministre des Affaires étrangères s'est compromis en signant un rapport en faveur de Total, en 2003, payé par le pétrolier, pour nier les violations des droits de l'Homme dont il se rend complice en Birmanie. A l'époque, Kouchner n'est plus ministre, il n'a jamais été député, alors il se bombarde consultant et lorsque Total le sollicite, il n'hésite pas à le blanchir avec complaisance. Prix de cette forfaiture : 25 000 euros directement dans la poche de "l'expert en humanitaire". Pourtant, Total a implicitement reconnu avoir recouru à des travailleurs forcés – des esclaves, pour nommer les choses comme elles sont -, en acceptant de verser 5,2 millions d'euros en échange du fait que huit d'entre eux retirent leur plainte ! Qu'importe, tenu par sa position bienveillante à l'égard du pétrolier, notre sémillant ministre est remonté au créneau ces derniers jours, pour faire valoir que les activités de Total "ne sont pas contraires aux sanctions de l'Union européenne".

Et Rama Yade, secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme, d'en rajouter une couche : "Imaginez que Total sorte de Birmanie, qu'est ce que ça change? Le fait que Total soit présent en Birmanie n'a jamais empêché l'Union européenne de proposer et de rendre effectives ses propres sanctions". Sauf que la contribution de l’entreprise française représente 7% du budget logo_Totaldu régime, en échange de l’accord pour l’exploitation exclusive du gisement de gaz de Yadana et du gazoduc qui achemine le gaz jusqu’en Thaïlande.

L'égérie de l'opposition démocratique à la junte birmane, l'admirable Aung San Suu Kyi elle-même, n'a-t-elle pas déclaré : "Je tiens à mentionner la firme française Total qui est devenue le plus fort soutien du système militaire birman" ? Du côté du pétrolier français, on objecte que s'il se retirait, une autre entreprise le remplacerait. Mais l'on justifie tout avec un raisonnement pareil !

L'homme qui ouvrait le robinet à gaz d'Auschwitz, lui aussi, eût pu se défendre qu'un autre l'aurait fait à sa place. Alors la junte birmane peut bien faire tirer dans la foule des manifestants pacifiques et désarmés. Nos responsables s'offusquent vertueusement, mais pas touche aux intérêts français !