« Ils sont tombés, sans trop savoir pourquoi, hommes femmes et enfants, qui ne voulaient que vivre. Mutilés, massacrés, les yeux ouverts d’effroi. »
Cette chanson de Charles Aznavour, moins connue que ses autres aubades, évoque le peuple arménien en 1915, et ses 1 500 000 morts.
Ce crime de masse est atroce en lui-même. Mais il l’est doublement dans la mesure où il sera un exemple pour d’autres crimes de même nature, dont celui de la Shoah et ses 6 millions de victimes.
Premier peuple chrétien, les arméniens sont installés en Turquie depuis le XIIème siècle ; mais la Turquie ayant l’Islam pour religion, les conflits sont fréquents entre la minorité arménienne et la majorité turque ; mais les tensions s’appesantissent lorsque les puissances européennes tentent d’imposer à l’empire ottoman la mise en œuvre de réformes favorables à ses minorités chrétiennes ;
Ces réformes échouant, les régions concernées se révoltent et acquièrent leur indépendance, déclenchant un sursaut nationaliste dans la population turque.
En effet, l’empire se retrouve amputé d’une partie de ses territoires à l’Ouest, et craint de perdre également l’Est et le Sud, où résident grand nombre d’arméniens.
Selon eux une seule chose à faire : régler une fois pour toutes « la question arménienne ».
Les années 1894-1896 et 1909 seront marquées par de sanglants massacres (Massacres hamidiens et massacre d’Adana) et feront 200 000 morts parmi les arméniens ; de simples remontrances parviendront des puissances occidentales, encourageant le parti Ittihad à aller plus loin encore, profitant du chaos en Europe.
Le 24 avril 1915, le plan d’extermination longuement muri débute.
Les diplomates en poste dans le pays préviennent leur gouvernement respectif, et le 24 mai les puissances de l’Entente se bornent à protester contre ce qu’elles nomment un « crime contre l’humanité » ;
L’Allemagne, alliée de la Turquie dans la guerre, fournit elle une aide technique.
En 12 mois les 2/3 de la communauté arménienne vivant alors dans l’Empire ottoman seront assassinés.
Et pourtant un voile de silence entourera ce génocide ; si le traité de Sèvres de 1920 ouvre la possibilité de poursuivre en justice les responsables du génocide, ce traité sera annulé par celui de Lausanne datant du 23 juillet 1923, accordant l’amnistie à tous les crimes de guerre commis depuis 1914, pour ménager, entre autres, les bonnes grâces du nouveau leader turc, Mustapha Kamal.
De son coté la Turquie met en place une logique négationniste, qui jusqu’à ce jour n’a pas évolué, et ce ne sont pas les timides intimidations des pays de l’Union européenne ou des Etats-Unis qui changeront ça…
Elle relativise l’ampleur du massacre, accuse les arméniens d’avoir trahi leur pays d’adoption et par là d’avoir créé une flambée de violence populaire, et nie tout préméditation.
Ce dernier point a toute son importance puisque la préméditation est l’une des conditions qualifiant le génocide, tel que le droit pénal tend, depuis 1945, à l’envisager.
Un génocide est « l’extermination physique, intentionnelle, systématique et préméditée d’un groupe ou d’une partie d’un groupe en raison de ses origines ethniques, religieuses, ou sociales ».
Les massacres en eux même ne sont pas niés par les historiens turcs, la multitude de témoignages rendant en effet impossible toute contestation, mais ils préfèrent souligner le fait qu’aucun document écrit n’a pu être retrouvé, attestant de la mise en œuvre à une date fixe de la « solution finale » de la question arménienne.
Mais un meurtrier laisse t’il souvent les preuves l’accusant derrière lui ?
Le 6 septembre 1914 le ministère de l’Intérieur ordonne aux autorités provinciales de garder sous surveillance les notables de la communauté arménienne ; à la fin de l’année les biens des arméniens sont systématiquement confisqués, sous prétexte de réquisitions militaires ; évidemment ces mesures provoquent des troubles dans la population, et le 24 avril 1915 sont arrêtés tous les arméniens réputés « hostiles au gouvernement », sans plus d’explications…
Enfin le 29 mai, est signée une loi provisoire de déportation, par le Grand Vizir ; cette loi autorise les militaires à déporter, le plus loin possible de la frontière russo-turque, les « groupes de population suspects d’espionnage au profit de l’ennemi ou bien de trahison », en clair, tous les arméniens ;
800 000 d’entre eux seront assassinés au moment même de leur arrestation, les autres mourront par suite de la famine ou des mauvais traitements subis durant leur déportation, une marche forcée de plusieurs mois à travers un désert étouffant, vers la Syrie et l’Irak.
Comment survivre dans ces conditions là ? Il semble évident que ce n’était pas le but recherché…
Une question alors : quel était le but ? POURQUOI ?
Ces mesures ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une guerre civile ou d’un conflit d’ordre politique; la communauté arménienne était depuis trop longtemps intégrée dans le destin de l’Empire ottoman pour être tentée de s’en désolidariser.
Ces mesures ne sont que l’effet d’une haine absolue, visant les arméniens comme tels, les condamnant à mort pour le seul fait qu’ils étaient arméniens. « Puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie ».
Une haine raciste.
Comme cela existe malheureusement encore aujourd’hui ; haïr quelqu’un juste parce qu’il est originaire de tel endroit.
Comme cela a existé trois décennies plus tard, dans des proportions incommensurables ; en effet comment ne pas considérer ce massacre comme un précédent au génocide juif ?
Dans les deux cas, ces minorités tenues pour « hétérogènes » aux populations qui les environnent, font obstacle aux fantasmes de pureté ethnique nourris par ces dernières :
Pureté ethnique proclamée dès 1910 par Talaat.
Dans les deux cas pendant une guerre mondiale ;
Dans les deux cas une extermination maquillée en déportation ;
Comme si Hitler avait pris exemple sur ce génocide pour commettre l’atrocité que nous connaissons. « Qui parle encore aujourd’hui de l’anéantissement des arméniens ? », a-t-il dit lors de son discours du 22 août 1939, après avoir invité ses généraux à tuer sans hésiter de larges segments de population.
Parce que tout génocide qui demeure impuni est, en un sens, un génocide réussi.
Aujourd’hui des milliers d’arméniens se battent en France afin d’avoir une loi sanctionnant le négationnisme de ce génocide.
Mais il semble que la Turquie mette une pression sur le pays : le Sénat refuse de mettre cette question à l’ordre du jour, alors même que l’Assemblée nationale a voté le texte.
Le combat va encore être long pour cette communauté, qui a obtenu le 29 janvier 2001 une loi affirmant que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».
La France a ainsi rejoint sur ce point l’Uruguay, la Russie, la Grèce, l’Italie, le Vatican et la Belgique, entre autres…
A la lecture de cet article il semble important de souligner qu’aucune généralisation ne doit être faite, seule une partie de la population turque ayant participé à ce massacre.
En effet il ne faudrait pas réfléchir comme les bourreaux de 1915 et juger les turcs par leur seule appartenance géographique…
A nuancer « Premier peuple chrétien, les arméniens sont installés en Turquie depuis le XIIème siècle ; »
Nuance
Les armeniens, peuple en provenance de l’Europe, se sont installés en Asie Mineure environ XII siècles AVANT J.C. Les turcs, qui sont des invahisseurs venus d’Asie centrale, se sont à leur tour installés sur les terres des armeniens vers le XII siècle APRES J.C.
Et, les armeniens ont survecu à cette invasion, et ont malgré les 8 siècles de turires larvées pu reconstituer un peuple homogène.
C’est bien là le coeur problème…ils n’ont pas disparu pour laisser la place aux turcs!
Au contraire, ils leurs ont damé le pion dans tous les domaines, techniques, commerciaux, et même militaire en 1918, avec la victoire de Sardarabad.
A la simple prononciation du mot armenien, les citoyens turcs sont pour la plupart toujours remplis d’un certain malaise qui vire à l’hytérie collective. Les arméniens, par leur simple présence, ont toujours menancé leur sentiment national, car par leur simple présence, ils sont là pour rappeler au monde que les turcs ne sont qu’un peuple nomade envahisseur.
C’est là, dans l’incoscient proofond des turcs, que se trouve la graine de ce racisme qui abouti, avec le soutien logistique de l’Allemagne, à la solution finale en 1915!
Bravo Rouben ……. même chose pour les Kurdes, ils étaient sur place bien avant les Turcs…..
Merci pour vos explications poussées Rouben, il est vrai que le sujet est traité bien différemment selon l’interlocuteur, et j’ai repris la version que j’avais le plus entendu!