Bien évidemment, Marine Le Pen n’est pas responsable des radotages d’un père qui, loin d’être sénile, n’en rabâche pas moins ses obsessions. Le livre de Claire Checcaglini chez Jacob-Duvernet, Bienvenue au Front – Journal d’une infiltrée – crée aussi l’événement du fait de sa réception. Et au FN, notamment dans la bouche de Jean-Marie Le Pen, c’est vraiment du gratiné…  

Marine Le Pen s’est à présent plus ou moins tue sur le contenu de l’enquête de Claire Checcaglini, qui a fréquenté les militants du FN pendant plus d’un semestre.

Mais Me Wallerand de Saint-Just, avec son accord, frappe l’éditeur (Jacob-Duvernet) et l’auteure, d’un procès.
« Cette procédure fera valoir au surplus que les accusations insanes n’ont été permises que par une authentique tricherie déconsidérant et salissant le métier de journaliste, » ajoute l’avocat.
Cette remarque est intéressante.

La médialogie relève que la Charte des journalistes du SNJ aborde le sujet, estimant qu’on ne peut usurper une identité pour obtenir des informations. Certaines consœurs et nombre de confrères ont été peu étonnés en revanche de voir des animateurs du Petit Journal se voir « décerner » une carte de presse officielle. Nous savons ce qu’il en est de cette commission plus disposée à mettre au pas et à l’écart des pigistes que de s’opposer aux salariés soutenus par des patrons de presse.

De fait, nous l’avons presque toutes et tous fait.
Oh, parfois hypocritement. Je me souviens en particulier de ce correspondant local du Pays de Franche-Comté qui, pour nous dépanner, s’était fait passer pour un localier du concurrent, L’Est Républicain, et nous rencarder sur un fait-divers sur lequel nous étions en manque de compléments d’information. Et parfois, devant le refus de prendre la presse au téléphone, au moins au détriment d’une standardiste, j’ai fini une ou deux fois par me prétendre un autre, avant d’annoncer la couleur à l’interlocuteur, patron, préfet, officiel ou autre. Manquements déontologiques véniels, à mes yeux.

Je ne sais si Jack London ou Albert Londres, en immersion dans divers milieux, avaient recours au procédé. Je sais en revanche que John Howard Griffin, entre 1959 et 1960, avait donné au genre ses lettres de noblesse pour publier son Black Like Me (Dans la peau d’un noir). Günter Wallraff, qui avait infiltré un quotidien allemand, puis s’était glissé dans le rôle de la Tête de Turc (livre préfacé par Gilles Perrault), avait bluffé ensuite la profession. Que dire aussi de Florence Aubenas, qui a incarné une femme de ménage pour Le Quai de Ouistreham ?
Rien, si ce n’est : chapeau !

 

Le livre de Claire Checcaglini a été précédé de quelques autres relevant plus ou moins du même procédé. Le FN a aussi traîné en justice Caroline Fourest et Fiammeta Venner, mais cela n’empêche pas de se référer encore au livre d’Anne Tristan (Au Front, Gallimard), ou à celui de Jean-Baptiste Mallet, Derrière les lignes du Front (éds Golias).

Lequel avait notamment débusqué Jean-Richard Sulzer et Paul Lamoitier, élus FN, ce dernier étant aussi importateur de viande hallal.

Mallet établissait que le FN était surtout un parti de notables, tous plutôt fortunés, disposant de petites mains militantes, celles que décrit Checcaglini.

Et puis, alors que je reçois le dernier Étienne Liebig, De l’utilité politique des Roms – une peur populaire transformée en racisme d’État, publié chez Michalon, je me souviens de son désopilant Comment draguer la militante (frontiste, verte, gauchiste, bayrouiste, socialo, &c.). Je reviendrais sur cet ouvrage qui traite tant des Manouches que des Rroms, mais en musicien et éducateur de rue, sans usurper une quelconque identité, Liebig a aussi pratiqué l’immersion, et cet anthropologue qualifié apporte beaucoup à la sociologie politique.

Confirmation immédiate

Évidemment, on trouvera de bonnes feuilles du livre de Checcaglini un peu partout, je vous laisse chercher. En attendant, lisez ou relisez Au Front sur le site de la revue Vacarmes. Mediapart, soit Marine Turchi, n’a pas jugé bon de reproduire le passage au sujet de Caroline Fourest. On le sait, l’époux de Marie-Christine Arnautu plaisantait sur l’éventualité de faire subir un viol collectif en forêt à celle qui dénonce l’imposture du FN prétendant défendre la laïcité. Propos de salle de garde, non suivis d’effet, le FN est désormais respectable, condamne les profanations de tombes, le racisme, tente de se rapprocher de la communauté juive, et se défend officiellement de toute islamophobie.

Mais, en catimini, ou très ouvertement, la hiérarchie du FN confirme la teneur des observations de Checcaglini. À commencer par Jean-Marie Le Pen qui, dans un entretien vidéo public du « Journal de Bord de JMLP », nº 267, sur le site de Nations Presse Info, dit à une Marie d’Herbais, qui ne moufte pas, que Checcaglini est une « Mata-Hari d’urinoir ». Lui aurait-elle déboutonné sa braguette ?
Sans doute turlupiné par sa prostate, Le Pen père poursuit : « cela montre la dégradation de l’esprit public ». « Elle a été bien servie par les militants du Front National et elle ne partira pas sans souvenirs érotiques, » conclut-il. Serait-ce une autre manière de dire que tous les mâles du FN des Hauts-de-Seine lui seraient passés dessus ? L’élégance du propos et la haute considération que voue JMLP à l’esprit public n’étonneront plus personne ou presque après cette délicate saillie.

L’esprit « à nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent », très hussarde expression de la cavalerie (sans qu’on puisse en conclure qu’une épouse de cavalier est une femme publique pour tous les palefreniers militaires), semble bel et bien caractériser le FN.

Il n’y a sans doute que la cheffe et quelques autres caciques « femelles » qui se voient épargnées par de tels propos.

On comprend donc mieux que Mélenchon, qui parfois en tient d’autres, pas vraiment féministes, ait attaqué Marine Le Pen sur sa conception des droits des femmes.

Marine Le Pen serait-elle une bigote susceptible de reprendre en chœur des paillardes, mais considérant que la place de la majorité de ses électrices ne serait qu’au foyer, à biberonner ?
On peut regretter que Checcaglini n’ait pas tenu le coup jusqu’à obtenir l’investiture du FN dans une circonscription législative.

Car ce ne sont pas tant Marine ou Jean-Marie Le Pen qui importent, mais leur entourage. Prêt à tout pour siéger, et ramasser des indemnités d’élus.
Et pincer les fesses des employées des mairies, des conseils généraux et régionaux, des soubrettes des restaurants de l’Assemblée ?
On peut se poser la question…

Ce ne sont pas les condamnations « morales » frontales et frontistes officielles de Dominique Strauss-Kahn qui dissiperont l’impression qui subsiste en refermant Bienvenue au Front.

Ce qui est grave pour le Front, c’est que, hormis des notables, des possédants, il n’attire que très peu de femmes et d’hommes des classes populaires capable de le représenter. On l’a vu aux dernières cantonales, ce sera sans doute aussi évident lors des législatives. Et que peut faire une présidente de la République sans majorité parlementaire ? Inaugurer des monuments et faire passer des Ferrero-Rocher. Ou peut-être, organiser un bal à La Lanterne ? Tenue correcte exigée et mains aux fesses prohibées.