On ne sait trop qui (Guéant ? Carlita ?), à l’Élysée ou à Matignon (Fillon soi-même ? un·e conseiller·e ou un ·e ministre, sans doute pas MAM…), a convaincu qui de se débarrasser du clan Ben Ali comme d’une vieille savate au lieu de l’accueillir en grandes pompes. Car initialement, et Sophie Roquelle, du Figaro, entre autres, a lâché le morceau, tout le clan Ben Ali devait s’installer dans ses cossus immeubles parisiens ou diverses résidences secondaires hexagonales. Sans que personne y voit goutte ? À d’autres…

 

 

« On » (le consul Pierre Deval) avait un peu poussé le dey d’Alger à user de son chasse-mouches pour châtier l’insolence et l’outrecuidance. « On » ne sait trop qui a finalement réussi à infliger à Ben Ali de se voir interdire de se poser au Bourget pour y retrouver Marouane, Cyrine et Nasrine (gendre et filles de Zine Ben Ali). L’appareil dans lequel il avait pris place avec son épouse et quelques accompagnateurs ainsi que des babioles (genre colifichets coûteux) survolait la Sardaigne lorsque « la France » fit savoir que, finalement, non, les Ben Ali pouvaient aller se faire pendre ailleurs. On leur fit « tourner babouches » sans autre forme de politesse. Sophie Roquelle cite, au nombre des participants au comité d’accueil sur le tarmac du Bourget, Christian Lambert (préfet de Seine-Saint-Denis), la directrice de la Police aux frontières et sans doute Daniel Dubois, son adjoint, environ 90 officiers, gradés et gardiens d’une CRS qui pourrait être la 1 (chargée des voyages officiels et déplacements de personnalités). Mieux encore, son article du Figaro est intitulé « Leila Ben Ali préparait son installation avenue Foch ». Pour sa part, le Canard enchaîné a indiqué que l’avion des Ben Ali était attendu « sur l’aérodrome militaire de Villacoublay ». Bah, prévoir une destination de rechange, ou laisser filtrer une fausse piste, cela peut s’imposer dans de tels cas.

Mais c’est quand même bizarre. Voilà des gens un peu en vue, un peu connus, qui se font offrir par les Tunisiennes et les Tunisiens un « somptueux hôtel particulier » avenue Foch, après l’acquisition d’un autre, dans le Marais (près de chez l’ami Bernard-Henri Levy, Place Royale, dite des Vosges ?), entre juin et septembre dernier, et qui multiplient les dépôts dans des agences françaises (notamment parisiennes) de banques françaises, tunisiennes et suisses. On croyait que, après les affaires de Liliane Bettencourt, les banques seraient plus loquaces : il n’est donc rien. Alors, si on veut bien croire qu’un Serge Moati n’ait vu (ou voulu voir) « absolument rien » de la maladie de Ben Ali, de la répression féroce des opposants, et de l’exaspération des Tunisiennes et Tunisiens, on s’étonne quand même.

Selon le Canard enchaîné, ni nos diplomates (si ce n’est l’attaché militaire à Tunis), ni nos barbouzes, ni nos multiples honorables correspondants en Tunisie (hommes d’affaires… demi-mondaines… cultureux…), n’avaient rien pressenti. Selon des propos attribués à MAM, ce seraient les Étasuniens qui auraient pris langue avec l’armée tunisienne pour lui suggérer, sans rien dire à personne d’autre, de pousser les Ben Ali et Trabelsi vers la sortie. Si tous ces gens rémunérés par les contribuables français sont des incapables, pourquoi continuent-ils à émarger au budget de l’État ? Il serait plus crédible de penser qu’on ait feint de ne rien voir, soit parce qu’« on » avait bien pressenti ce qui se tramait et qu’« on » s’était vu retoquer sa dépêche par un Kouchner, un Guéant ou un autre, soit parce que, tout simplement, Sarkozy et Fillon n’ont plus de prise sur rien.

Ce qui est certain, c’est que Sarkozy et Fillon tiennent MAM en une telle estime que, si jamais ils avaient eu vent de quoi que ce soit, c’est la ministre des Affaires étrangères qui en aurait été la dernière avertie. Ils la prennent quasiment pour une jeanfoutre, une inapte, que ce soit à l’Intérieur, à la Justice, ou partout ailleurs. Assez servile, toutefois, pour avoir réellement été, un temps, une première ministrable à peu près crédible, tout comme Fillon le reste actuellement.

Ce qui est très farce, c’est que notre grand ami Kadhafi, toujours bienvenu chez nous pour y planter sa tente et faire brouter ses dromadaires et ses chèvres, avait, lui, opéré un rapprochement encore plus étroit avec le clan Ben Ali (en attendant de faire ami-ami avec son successeur), mais ce grand cachotier ne nous aurait rien dit. Pourtant, certaines de ses décisions étaient publiques. Il suffisait de lire la presse libyenne ou tunisienne.

Si un Moati, une Gisèle Halimi, quelques autres, nous prennent pour des niais, tout comme une Jeanne-Marine La Pen qui considère que seule une dictature (par exemple, celle qu’elle instaurerait bien volontiers) peut contenir la menace islamiste – l’Indonésie, république au moins aussi démocratique que la France, si ce n’est davantage, premier pays musulman au monde, semble pourtant administrer la preuve du contraire – j’ai aussi l’impression confuse que d’autres nous dissimulent quelque chose. Je subodore même comme un enfumage dans ce très bas profil adopté par celles et ceux censés nous gouverner (nous tondre, ça, c’est plus sûr). Ou nous amuser, comme Frédéric Mitterrand qui, dans une adresse au peuple tunisien, assure qu’on l’avait mal compris.

Mon hypothèse, ni très raisonnée, ni très raisonnable peut-être, je l’accorderai volontiers, c’est que le clan Ben Ali avait assuré à qui devait y accorder foi que sa succession était prévue, ordonnée, etc. Je veux bien admettre que les Tunisiennes et les Tunisiens soient spontanément descendus dans la rue : il ne faut pas être très clairvoyant ou prophète pour pronostiquer que, si Sarkozy est remercié en 2012, une certaine liesse s’emparera de la France, et qu’elle sera sans doute encore plus bruyante si ce n’est pas la Marine qui le débarque. Mais il n’y a sans doute pas que le clan Ben Ali à s’être amusé à rouler nos prétendus dirigeants dans la farine (d’ailleurs, question apprentissage du silence, la Côte d’Ivoire est une bonne salle de classe).

De manière assez amusante, ce bon faiseur qu’est Jacques Attali a cru bon de déclarer que « rien n’était tant prévisible que la révolution du jasmin » (en fait, le verbatim serait « rien n’était plus attendu », mais j’ai adapté de l’anglais) pour ajouter aussitôt que la date de son déclenchement était totalement imprévisible, évidemment, et il faut le croire sur parole. Attali, qui considère sans doute qu’une bourgeoisie florissante créant un maximum de chômage et de désespoir populaire est souhaitable pour que les marchés croissent et embellissent, n’avait donc pas été mis au parfum non plus. C’est vous dire l’opacité des dits marchés : même leurs plus proches et chauds partisans ne sont mis au courant de rien. Ou alors, en tout cas, ils font bien semblant.

Sans tomber dans une fumeuse nouvelle théorie du complot, j’ai peine à croire que personne, vraiment personne n’ait rien humé, rien pressenti, et bien sûr rien ourdi. Bon, il y a bien celui que le « fraternel » souteneur de Philippe Val, Pierre Marcelle, a salué dans un billet pour avoir mouché Moati et Halimi : Taoufik Ben Brik (lequel, pour conclure l’émission de France Inter, « Comme on nous parle », avait remercié toutes ces personnalités françaises qu’il n’avait jamais entendu critiquer les Ben Ali, ou notre ami le roi du Maroc et quelques autres, auparavant). Dès mai 2010, paraît-il, Ben Brik aurait envisagé la chute du régime tunisien. Le fraternel souteneur du Val, qui ne manque pas de talent, évoque, à propos de la Tunisie « la volonté délibérée de regarder ailleurs ». Délibérée par qui ? Ou plutôt gentiment suggérée par d’amicaux conseils ?

Dans son billet sur l’émission, Pierre Marcelle enchaîne sur le cas de Stéphane Hessel, interdit par Sarkozy et consorts d’animer une causerie à l’École nationale supérieure. Les conseillers amicaux sont, par exemple, de plus en plus fréquemment, une Bernice Dubois, qui propage des contre-vérités et de francs mensonges soigneusement distillées sur Stéphane Hessel. À l’en croire, il serait pire qu’un Michel Dubec (voir ce nom sur Google), en prétendant être d’ascendance juive pour, lui, Hessel, discréditer Israël, et il se serait quasiment inventé la plupart de ses faits d’armes de résistant (je force le trait ; elle ne s’en prive guère, c’est de bonne guerre). Bernice Dubois est l’une de ces pseudo-intellectuelles et pseudo-militantes de la bienpensance si possible juteusement subventionnée qui, en compagnie d’Alexandre Feigenbaum et Kébir Jbill, a cosigné Recettes pour l’anéantissement du peuple juif (éds L’À part de l’esprit). Bernice Dubois a considéré que Stéphane Hessel « n’est victime que de ses propres mensonges », un peu comme les Palestiniens et les « Arabes » d’Israël, qui inventeraient que des soldats de Tsahal, encouragés ou non par leurs supérieurs, tireraient parfois à balles réelles sur des enfants (tout comme, en face, surtout au Hamas, on fait bien peu de cas de la petite jeunesse israélienne).

Cette Bernice Dubois suffirait à elle seule à décrédibiliser et rendre odieuse la communauté juive toute entière si tant était que cette nébuleuse soit une et indivisible, ce qui n’est absolument pas le cas. D’ailleurs, les stipendiés directs ou indirects du Likoud ont, avec Hessel, un cas quelque peu embarrassant : d’un côté, il n’affectionne pas trop le Likoud, de l’autre, il ne couvre pas un DSK d’opprobre. Le fraternel souteneur du Val n’ayant pas été franchement christique avec Hessel, qu’il rapproche de Julliard ou de Rocard (pas déjà de Ferry ? non, Marcelle n’est pas Bernice Dubois, il a encore un peu le sens de la mesure), on va bientôt se demander s’il n’est pas devenu « mode » de taper sur ce vénérable social-démocrate qu’est Hessel. Le voilà suspect. Au fait, n’aurait-il pas, lui aussi, des avoirs ou des participations aux affaires des clans Ben Ali-Trabelsi ? Comme, d’ailleurs, de très nombreux Français, de très nombreuses Françaises, dont certaines et certains revendiquent aussi leur appartenance à la pseudo-communauté juive de France. Ou n’auraient-ils pas, comme peut-être Henry Haïm « Serge » Moati, bénéficié de facilités du régime Ben Ali, pour, par exemple, obtenir rapidement un permis de construire ? Franchement, je n’en sais rien, et si Moati possède bien, comme on la lui prête, une villa en Tunisie, il est fort possible que sa construction remonte à l’époque des Bourguiba, voire ait été antérieure au protectorat. Qui veut la fin (j’admets, ce billet devient longuet), ne veut pas forcément les moyens d’une Bernice Dubois.

Au cours des dernières décennies, les relations entre la Tunisie de Ben Ali et l’Israël de ses gouvernements successifs ont été à la fois intimes (Israël compte d’assez nombreux ressortissants issus de Tunisie) et contrariées. On se souvient que l’aviation israélienne n’avait pas été trop chiche de dommages collatéraux lors du bombardement du siège de l’OLP à Hamman Chott, au sud de Tunis, le 25 septembre 1985. C’était du temps où l’épouse et la nièce d’Habib Bourguiba tenaient encore à peu près les rênes du pouvoir. Ben Ali est alors, ce me semble (pas sûr… donc), revenu de son poste d’ambassadeur en Pologne pour devenir secrétaire d’État à la Sûreté intérieure, et non point déjà ministre de l’Intérieur. Parvenu au pouvoir, au terme de ce qu’on nomma déjà « la Révolution de jasmin » (eh si…), l’une de ses premières décisions, concrétisée au terme d’une visite officielle en France et d’une rencontre avec François Mitterrand, sera d’assurer la couverture radar du territoire tunisien avec des matériels majoritairement français. Ce n’est que plus tard, vers 1990-1991, que Ben Ali commence à traquer les islamistes, puis les opposants proches de presque tous les religieux musulmans. Il faut aussi se souvenir que l’opposition tunisienne, un temps soutenue par la Libye (incursion armée de janvier 1980 à Gafsa, nouvelles menaces libyennes en 1983), est aussi démunie que la libyenne du roi Ali el-Senoussi en exil à Londres. Cette traque des islamistes s’accompagne, dès 1992, de déclarations qui valaient appel du pied à Israël (ou à des soutiens d’Israël) pour investir en Tunisie. Les relations diplomatiques avec Israël sont rétablies en 1996 (pour être de nouveau rompues en 2000 à la suite de l’Intifada). Mais, en 2005, Ben Ali invite officiellement Ariel Sharon à venir participer à un sommet international sur les TIC. Ben Ali favorise aussi la restauration de l’architecture juive, subventionne le rabbinat, &c. D’un autre côté, la réconciliation de Ben Ali avec Kadhafi n’a pas franchement réjoui les milieux pro-israéliens.

On a un peu vite oublié qu’en août 2010, des émeutes avaient opposé, à Ben Guerdane, commerçants importateurs de produits étrangers et police tunisienne. Pour, officieusement, limiter ces importations (la balance commerciale tunisienne est déficitaire), la Lybie avait instauré une taxe de 80 euros par passage frontalier et par voiture, puis fermé son poste frontière de Ras Jdir. En fait, cela fut interprété comme un service rendu aux clans Ben Ali et Trabelsi qui, après avoir conduit les commerçants à la faillite, auraient pris le contrôle de ces importations. Dès que les choses ont commencé à très mal tourner pour Ben Ali, Kadhafi a laissé entendre aux chômeuses et chômeurs tunisiens qu’ils pourraient trouver à s’employer en Libye. Mais ce n’est pas vraiment ce type de complicité qui pouvait réellement émouvoir Israël.

Il y a plus d’un millier d’entreprises françaises en Tunisie, plus de 7 000 résident·e·s français·es sur la seule île de Djerba, et toutes et tous ne sont pas, très loin de là, à capitaux « juifs » ou à se réclamer d’une communauté israélite ou juive. Cela ne fait pas plus de tous ces gens des complices de Ben Ali que de la fictive « communauté » juive française une fraternelle souteneuse des Trabelsi : parmi les militantes et militants des partis français qui s’étaient nettement prononcés contre la dictature de Ben Ali (pratiquement tous à la gauche du PS), il y a des personnes de culture juive. En revanche, chez celles et ceux qu’on appelle des leaders dominants d’opinion, on est parfois singulièrement en connivence, ne serait-ce que pas son silence (qui ne dit mot…), avec les plus vociférateurs des membres de cette supposée communauté.

De ce point de vue, Pierre Marcelle n’a pas tort. Il y a bien une proximité entre la censure exercée contre Stéphane Hessel, l’opinion palestinienne (qui n’est pas composée que de terroristes, très loin de là, et même, majoritairement, bien au contraire), et le silence complice, voire l’approbation ouverte, à l’égard de la dictature de Ben Ali (et d’autres, d’ailleurs), depuis Marine Le Pen, ex-soutien de Saddam Hussein, jusqu’à certains membres de la direction du PS, pour faire court.

Cela étant, c’est peut-être une vue franco-française : traitant du silence complaisant envers Ben Ali dans Le Monde, Myriam Marzouki, fille de l’opposant tunisien Moncef Marzouki, n’évoque absolument pas cet alignement sur ce que pourrait penser Israël ou ses inconditionnels en France. Relevons toutefois que le CRIF (le Conseil « représentatif » des institutions juives de France), qui avait « profondément déploré » l’opération maritime militaire contre le convoi naval turc destiné à Gaza (en mai 2010), n’a pas très fort démenti Silvan Shalom (vice-Premier ministre israélien) qui a vu, dans la chute de Ben Ali, le risque que des évolutions trop brutales favorisent, dans le monde dit « arabe », des menées hostiles à Israël. Ce en quoi, il n’a pas forcément tort. Les propagandistes propalestiniens ont vu, dans le départ de quelques jeunes Juifs tunisiens vers Israël, une « exfiltration » d’agents du Mossad. Ce n’est pas du tout sûr. Et rien n’est simple : même parmi les sympathisants du Crif, il en était d’hostiles aux clans Ben Ali et Trabelsi. De plus, pour dénoncer un pouvoir corrompu, il faut être soi-même hors d’atteinte d’accusations de corruption, ce qui n’est le cas ni des classes dirigeantes françaises (politiques et autres), ni des israéliennes.

L’argument vaut ce qu’il vaut car seul l’avenir peut lui donner un poids : ce que craint la droite israélienne – et non pas nécessairement la nation israélienne – ce n’est pas vraiment qu’un régime populiste islamiste vienne, en Tunisie, apporter une caution, au moins verbale, au Hamas ou au Hezbollah. C’est au contraire qu’une majorité laïque appuie autrement qu’en paroles une majorité palestinienne laïque qui saurait trouver des appuis, y compris en Israël.

De ce point de vue, un Hessel, qu’on ne peut guère taxer d’antisémitisme et d’extrémisme (à moins de, bien sûr, délivrer un certificat de gauchisme à DSK), est beaucoup plus inquiétant et dérangeant qu’un Ben Ali… Pas seulement pour la droite israélienne… Souhaitons aux Tunisiennes et Tunisiens, de toutes origines, confessions ou sans, plutôt des Hessel que des officiels du Hamas, du Hezbollah, ou du… Crif. On peut sans doute leur souhaiter encore mieux. Mais après Ben Ali, ce serait déjà une avancée considérable.