Étienne Butzbach, maire de Belfort, était un jeune médecin se situant plutôt à la gauche de la gauche des formations de sa génération (partis socialiste, communiste, socialiste unifié). Il avait rejoint le PS, ou plutôt le courant Cérès de Jean-Pierre Chevènement, vers la fin de la mandature d’Émile Géhant, dont J.-P. Chevènement, son successeur, était le premier adjoint, vers le début des années 1980. Il allait succéder à ce dernier, devenant maire. Mais voilà, il a quitté le MRC pour rejoindre le PS, n’a plus vraiment de majorité municipale, et vient de démissionner de son mandat de conseiller régional.
On ne rigole pas avec Jean-Pierre Chevènement, homme fort affable en public, mais aussi sec qu’un Jérôme Cahuzac dès que l’on diverge d’avec ses vues. Les regrettés Michel Dreyfus-Schmidt et Raymond Forni, les deux autres « hommes forts » du Territoire de Belfort, auraient pu en témoigner.
Devant des journalistes réunis pour une conférence de presse annonçant sa démission du Conseil régional, Étienne Butzbach a qualifié son ex-mentor et cornac passé du PS au MRC : «esprit stimulant, mais de tueur ».
À un moment, J.-P. C. avait vraiment réussi à faire de sa personne le réel décideur en Franche-Comté. Christian Proust, fidèle d’entre les fidèles, ancien adjoint au maire Géhant, puis président du Conseil général du Territoire, faisait office de second du « Che ». Et les concurrents socialistes avaient fini par passer une sorte d’accord de cohabitation, parfois houleuse, mais jamais trop conflictuelle aux niveaux locaux, départementaux ou régionaux.
Las, Christian Proust a pris du champ, laissant la président du CG au socialiste Yves Ackermann, Forni et Dreyfuss-Schmidt décèdent, et le nombre des « pointures » locales autour du « Che » avait fini par se réduire. Quand Étienne Buzbach quitte le MDC-MRC pour le PS, l’an dernier, après avoir été candidat malheureux à la députation contre un UMP, localement, le Mouvement républicain et citoyen, et ses adjoints municipaux, ou Christian Proust, devenu simple conseiller municipal, deviennent de fait son opposition.
Cela va loin, et jusqu’à opposer les deux hommes sur le gros projet de la place de la Résistance, la plus grande, la plus vaste, de Belfort. Christian Proust lance une association Oser le débat, à priori technicienne (débattant des aménagements belfortains à venir), en tout début d’année, mais qui laisse présager des ambitions pour les élections municipales de 2014.
Les deux ex-camarades ont lancé chacun un site Internet. La dernière séance du conseil municipal de 2012, portant sur le budget, présenté par l’adjoint PS aux finances, Bruno Kern, tourne à la dispute. Pour Christian Proust, le budget « n’est pas au niveau ». Il le vote cependant, le représentant de Lutte Ouvrière s’abstenant, l’opposition UMP et Modem votant contre.
Déjà, devant les militants RMC, début décembre dernier, C. Proust lançait « la reconduction du maire actuel nous conduirait au désastre et (…) à la sous-préfecturisation de notre ville ». Têtes surprises de Bruno Kern et de Bertrand Chevalier (PCF), invités en « camarades ».
Du coup, le maire a entendu se « rapatrier » de la capitale régionale. Il l’a rapidement laissé entendre, et vient de l’officialiser. É. Butzbach siégeait peu, mais travaillait ferme pour faire de l’agglomération Belfort-Montbéliard-Héricourt le second (ou plutôt le premier) pôle moteur de la région. Il deviendra d’ailleurs président du syndicat mixte de cette Aire urbaine BMH.
« Je dois consacrer toute mon énergie à mes mandats locaux » a poursuivi l’ex-vice-président régional qui a estimé qu’à Belfort « c’est shakespearien : Belfort a toujours été sur le registre de la tragédie complexe. ». Sa suppléante aux législatives ou Jean-Pierre Thabourin, qui avait aussi quitté le MRC pour le PS à sa suite, pourrait le remplacer à la Région.
Le MRC a perdu 21 membres dans le 90 à la suite d’É. Butzbach. Le groupe municipal MRC s’est réduit à six conseillers.
Christian Proust, dont les Belfortains reconnaissent les compétences techniciennes, a parfois, par autoritarisme, déçu nombre de ses partisans ou sympathisants ; il restera de toute façon incontournable, mais son succès en 2014 n’est pas assuré. Mais c’est un technicien alors que le maire, estimé plus sympathique humainement, partira en campagne avec une étiquette Parti socialiste qui, en fonction des succès ou revers du gouvernement, peut le servir… ou le desservir.
Il dispose d’un ancrage local, et même interdépartemental, mais, du fait de son adhésion récente, pèse relativement peu au PS.
Belfort était ancrée à gauche depuis 1977, il n’est pas sûr qu’elle le reste. La presse locale (Pays de Franche-Comté-L’Alsace et Est républicain) sont désormais dans le giron du Crédit mutuel (qui, en l’espèce, redevient « mutualiste »). Les deux titres se répartiront peut-être les rôles, mais ne devraient pas trop se départir d’une factuelle neutralité.
Bonne occasion peut-être pour tenter de relancer une gazette locale (comme l’était la défunte La Trouée, tirant sont titre de « la trouée de Belfort », dénomination géographique). Ce serait l’occasion de mieux voir comment les deux candidats aux municipales vont se concilier les votes dits communautaires (le sénateur du Territoire, au sujet du vote des étrangers extra-Européens a considéré que c’était « une question marginale », le PS n’est plus très chaud sur le sujet). Mais en fait, les deux candidats, qui ont fort longtemps collaboré en assez bonne intelligence, ne se distinguent guère politiquement l’un de l’autre. On comptera donc les points… tout comme le fera l’opposition UMP-UDI-Modem, et bien sûr, le FN.
Une chose est sûre. En dépit d’un mandat régional en moins, question cumul, les deux se valent… empilant quasiment autant de casquettes localement, municipales, départementales et autres.