Donc, le très respectable et très respecté Sir Jimmy Savile, couvert d’honneurs, de décorations de son son vivant, était un violeur pédophile s’en prenant à des dizaines de très jeunes filles et très jeunes garçons. Décédé l’an dernier à 84 ans, l’ancien animateur-vedette de la radio-télévision se voit désormais montré du doigt par une quarantaine de femmes et au moins deux hommes qui, alors très jeunes, auraient assouvis, beaucoup plus involontairement qu’avec consentement mal fondé, les goûts de… divers animateurs d’émissions célèbres. C’est en tout cas ce qu’il apparaît après que les agissements de Sir Jimmy sont chaque jour davantage dévoilés, exposés, détaillés…

Depuis une semaine, l’opinion britannique dressait le procès de Sir Jimmy Savile, ancien animateur du hit-parade Top of the Pops et de la fameuse émission Jim’ll Fix It. Depuis hier, c’est pratiquement tout le milieu du « chaud bizness » à la Jean Yanne qui se retrouve potentiellement sur le banc des accusés.

Jusqu’à mercredi soir, Jimmy Savile conservait des « partisans » ou du moins bénéficiait de témoignages jetant un doute sur la sincérité des dépositions d’une douzaine de femmes qui, alors âgées de 9 à 20 ans au plus, avaient subi soit des avances appuyées non sollicités, soit carrément des assauts brutaux de la part du « prédateur », du nouveau « perv » (pervers, qualificatif attribué à Dominique Strauss-Kahn par une partie de la presse anglophone) du moment. Pas que du moment d’ailleurs puisque la Metropolitan Police (New Scotland Yard) coordonne à présent les enquêtes d’une demi-douzaines de forces policières régionales. De plus, toute personne appartenant ou ayant appartenu à la BBC est instamment enjointe à totalement collaborer.

Ne revenons pas sur les débuts de cette affaire précédemment limitée à Savile et à deux-trois autres de ses contemporains des milieux du spectacle. Ne revenons pas (trop en tout cas) sur des détails et péripéties mais tout comme l’affaire DSK, celle-ci prend la tournure d’un véritable fait de société dépassant de loin le, ou plus les, faits-divers dont il est à présent soutenu que « tout le monde » avait eu vent, voire connaissance circonstanciée.

Toute une époque

Savile se fournissait de deux ou trois façons. Bien reçu partout du fait de ses donations et largesses, il écumait des équivalents britanniques des établissements des Filles du Bon Pasteur (congrégation française se chargeant des fillettes ou jeunes filles en difficultés sociales ou cataloguées morales). Il pouvait aussi attirer sur scène et en coulisses de jeunes, voire très jeunes femmes ou même fillettes, naïves, prenant Savile pour un équivalent de Jacques Martin animant L’École des fans. Et puis, d’autres occasions venaient à lui, tout simplement parce que se trémousser sur un plateau en sa compagnie, pour un cachet ou simplement la gloire de l’instant, était considéré un tremplin pour une possible carrière.

Certaines – et certains – orphelines, enfants en rupture de scolarisation, en fugue, pouvaient ou non initialement consentir à des attouchements, puis des pénétrations, afin d’obtenir des « sucettes » ( ou des places de cinéma comme dans la chanson d’Anny Cordy) ou du «&bnsp;nougat » qui pouvaient être des cigarettes, des disques dédicacés, mais aussi des téléphones ou téléviseurs pour la famille. Le « so adorable » Jimmy était insoupçonnable. Pas tant que cela puisqu’une adolescente de 15 ans l’avait dénoncé dans son journal intime avant de se suicider par overdose médicamenteuse. Pas vraiment puisque, sinon « tout le monde », beaucoup de personnes savaient, dont des autorités (policières et autres), qui n’ont pas voulu croire ou du moins poursuivre.

Aujourd’hui, dans la presse britannique, de multiples noms refont surface. Certains ne se cachaient pas ou peu, tel John Peel, qui a fait état de relations consenties avec des mineures, des fans prêtes à tout ou presque pour l’approcher, et qui se mariera, encore jeune, avec une adolescente de 15 ans. D’autres, dont la liste des noms serait fastidieuse, tel Emperor Rosko (dont je conserve un vague souvenir), ont admis savoir sans vraiment savoir, tant pour Savile que pour d’autres. Et puis, au fil des ans, certains sont aussi tombés, surtout pour pédophilie masculine, tel Jonathan King.

L’humour potache, bon enfant, familial du Benny Hill Show était parfois limite « saucy » (osé, salace), il y avait parfois de quoi confondre entre une groupie délurée et une ado romantique, et les chanteuses-collectionneuses n’étaient pas en reste. Mais Savile était un tout autre personnage et à présent, l’un de ses neveux confie qu’il était véritablement un « child molester » principalement.

À présent, la presse anglaise soutient qu’un ou de véritables réseaux, avec des fournisseurs de chair fraîche (l’un d’eux, le seul à présent dénoncé par des témoignages, dément formellement), des complicités multiples, liait la BBC a d’autres chaînes ou radios. Qui sont les autres ? C’est la question que la presse va sans doute fouiller encore un bon moment.

Savile sévissait aussi dans les hôpitaux. La collusion entre le « charity business » et certains de ses donateurs, dont Saville, décoré d’ordres du Vatican et de Malte, et une journaliste en vue a estimé que les donations permettaient parfois « d’acheter le silence de la presse nationale ». Janet Street-Porter déclare à présent avoir eu vent de rumeurs mais estimé à l’époque qu’elle n’aurait pas eu la moindre possibilité d’en faire état et de recueillir une écoute.

Revirement

Jimmy Savile avait été enterré tel une sorte de saint laïque et la presse n’avait pas été en reste pour glorifier le défunt, faire état de ses pleureurs et pleureuses abondant en regrets et compliments. « Il était trop Establishment. Tragiquement, ses victimes pensaient de même, » résume Brian Reade, du Mirror. Balancer une nécrologie qui aurait pu paraître ternir la réputation de Sir Savile, même en termes mesurés, serait revenu à indisposer le palais royal, faire passer Lady Di pour une oie, s’aliéner l’opinion.

On l’a d’ailleurs vérifier en France avec l’affaire DSK. Outre l’incrédulité initiale, celles en particulier qui envisageaient alors de voter pour lui ont dénoncé des attaques « ignobles », avant, en majorité, de se raviser. Se demander aujourd’hui pourquoi des femmes ayant atteint la cinquantaine ou la soixantaine ont attendu la mort de Savile pour témoigner contient, en fait, sa propre réponse : d’une part certaines avaient été retrouvées pour une émission qui fut poubellisée, d’autre part, comment s’en prendre à de tels personnages sans risquer la critique, peut-être féroce, de leurs admiratrices et admirateurs ? Par ailleurs, le cas d’hommes dénonçant des professeurs ou des religieux bien des années après les faits soulève bizarrement moins d’interrogations. Pourquoi en serait-il si différemment des femmes que des hommes en l’espèce ?

Dur à coincer…

Dans L’Huffington, un vieux routier de Fleet Street (l’ex-quartier de la presse à Londres, qui fut l’équivalent de l’est du neuvième arrondissement parisien), Neil Wallis, considère que jamais un avocat d’un titre de presse n’aurait donné le feu vert à un article visant Savile. Les risques financiers auraient été trop grands. Trop d’enquêtes ont tourné court, de ce fait, donc pourquoi donc encore les entamer ?

À un homonyme (le journaliste James Saville, du Mirror), il avait confié qu’un quotidien avait mis une équipe à ses basques pendant un an « pour trouver des squelettes dans ses placards ». Rencontrant plus tard le redchef lors d’une soirée, il avait recueilli de ce dernier qu’il était dur à coincer. « Alors, n’allez pas pêcher dans un lac sans poisson », aurait répondu Sir Jimmy.

Il avait aussi obtenu la condamnation de News Group Newspapers qui avait publié qu’il s’était arrangé pour obtenir la sortie prématurée de patients potentiellement dangereux de l’hôpital psychiatrique de Broadmoor.

Dans son autobiographie, As It Happens (1974), Savile avait narré que, contacté par la police au sujet d’une jeune fugueuse, dans les années 1950, susceptible de venir dans la boîte de nuit où elle officiait, il avait accueilli chez lui la jeune fille pour la nuit, et que les collègues de l’officier de police (une femme) avaient dissuadé cette dernière de poser trop de questions. Savile considérait que la majorité à 18 ans en Californie était une aberration car « on mûrit plus vite au soleil », rapporte Stephen McGinty, du Scotsman, dans son éditorial de ce samedi. Il s’était même vanté d’avoir obtenu, en échange de sa présence à une soirée destinée à lever des fonds pour une bonne œuvre, « six jeunes filles pour la nuit en tant que gardes du corps », et se vantait de les avoir obtenues.

« Those were the daysénbsp;», et Serge Gainsbourg fredonnait Lemon Incest.

Mais Savile, sauf pour ses bonnes actions, ses apparitions en tant que bénévole et leveur de fonds, ne faisait ni dans la poésie ou la littérature, car il abusait toujours de toutes celles qu’il ne violait pas tout simplement, brutalement, sans la moindre considération ou sentiment.

Le Jimmy Savile Charitable Trust va changer d’appellation, la ville de Leeds remise plaques et statues, et la journée est aux actes de contrition. Ou de dénégation, selon les cas.

Surprenantes archives

Des tonnes d’encre, des centaines de kilomètres de pellicule, ont été consacrés à Savile de son vivant. Il est particulièrement surprenant de retrouver un long article d’Alison Boshoff, du Daily Mail, daté du 9 mai 2008, abordant ses relations (avec les grands de ce monde), mais aussi sa vie privée. Il se targuait d’avoir eu d’innombrables aventures sans suite, « mais personne ne semble avoir jamais trouvé une femme prête à admettre avoir couché avec lui. ».  Selon son ancien collègue de Radio 1, Tim Blackmore, il aurait été « asexuel » : « il n’a jamais exprimé d’intérêt sexuel pour qui que ce soit. ». Puis Alison Boshoff s’étendait de nouveau en large et travers sur ses innombrables bonnes œuvres. La chute était : « On peut parier que Sir Jimmy, le plus excentrique des éminces grises ayant jamais vécu, aura quelques conseils à donner à saint Pierre quand il le rencontrera. ». En 2011, des fans demandaient par dizaines à être enterré près de lui.

Tous ses déplacements publics, le moindre de ses actes, finissait dans la presse, aussi trivial qu’il ait été (il avait un jour rempli par mégarde de diésel son radiateur : 500 mots dans les journaux). Sa secrétaire pendant 30 ans, peu après le décès de son patron, pouvait bien dire qu’il détestait se retrouver en compagnie d’enfants (tout en animant des émissions pour la petite jeunesse, « he hated being around kids (…) I don’t think he liked children »), son aura était restée intacte. C’était d’évidence un égocentrique forcené. Il avait presque obtenu du pape Paul VI l’élévation de la béatitude à la canonisation de la religieuse écossaise Margaret Anne Sinclair en lui attribuant un miracle en sa faveur lorsqu’il était âgé de deux ans. On lui connaissait presque autant de sosies l’imitant qu’à Elvis Presley.

Depuis le continent, il est difficile de prendre la mesure du scandale si on ne réalise pas que Sir Jimmy était outre-Manche aussi célèbre que la famille royale, les Beatles ou les Rolling Stones.