L’hebdomadaire Bakchich ne souhaite pas communiquer sur la plainte en diffamation brandie par le ministre de l’immigration, Éric Besson, qui n’avait pas encore été signifiée, jeudi soir 30 septembre, au directeur de la publication. De son côté, le ministre réserve « à la Justice » toute nouvelle déclaration sur les conditions de son voyages de noces à Capri. Dont acte. Arrangements en coulisses prévisibles ? Sans doute non…
De même qu’Éric Besson n’a pas voulu polémiquer avec Stéphane Guillon qui interprétait l’air d’Hervé Vilard sur Canal Plus, entonnant « Capri, c’est gratuit… », la direction de Bakchich ne souhaite pas insister sur la suite de la plainte en diffamation (et propagation de fausse nouvelle ?) que le ministre avait annoncée imminente. Cela n’empêche absolument pas sa rédaction de mettre certains points sur les i et de revenir, avec une double page, un fort appel en couverture, un éditorial, ce vendredi, sur les interrogations que suscitent les justificatifs du ministre.
Restons factuels. Et n’accablons pas Éric Besson. Les nouvelles informations que Bakchich, sous la plume de Xavier Monnier, apporte au sujet du voyage de noces d’Éric Besson et Yasmine Tordjman à Capri, à la Villa Marina, hôtel de grand luxe, ne sont guère nouvelles. Si ce n’était ce tout nouvel élément, postérieur à la révélation de l’affaire, la semaine dernière. Bakchich indique que le cabinet du ministre lui a signifié par courriel une injonction de ne pas publier : « Interdiction formelle de reproduire les éléments contenus dans le mél précédent et rapportant la preuve du fait que EB a payé lui-même ses billets d’avion. ». Allons donc. À Come4News, nous n’avons rien reçu de tel, et pas davantage que Bakchich, nous n’allons nous priver d’examiner ces « éléments » proclamés « de preuve ». Sandrine Arfi-Haustraete, du cabinet d’Éric Besson, est décidemment mal inspirée, ou son patron aura passé outre ses conseils. Imaginent-ils l’effet que produirait ce courriel s’il avait été adressé au Daily Telegraph, au Devoir, au New York Times ? Ou même à La Tribune de Genève ou au Soir de Bruxelles ? Le Parisien n’est pas encore tombé dans l’escarcelle du groupe Dassault, propriétaire du Figaro… Et Bakchich résiste, n’obtempère pas.
Bakchich a passé outre. Passons sur le fait qu’un courageux anonyme, ancien ministre des Affaires étrangères (Villepin ?), lui a indiqué qu’il n’a jamais sollicité de gardes du corps pour l’accompagner dans ses voyages privés. Une certitude : ce n’est pas Couve de Murville ou Michel Jobert. Bakchich rappelle que le ministre et sa nouvelle épouse avaient réservé, auprès de Carlson WagonLit, via son antenne située dans des locaux du ministère de l’Intérieur (loués combien ? zéro euro, comme l’avance Bakchich ?), deux billets pour Naples, sur vol Air France. C’était le 27 juillet pour les 17 et 19 septembre. L’hebdomadaire relève, sans doute légèrement, que les deux passagers, ainsi que leurs deux accompagnateurs de protection rapprochée, étaient signalés à l’attention des chefs d’escales (Paris, Naples), et des personnels à bord, par un code OSI (Order Service Information) du système Amadeus-Galileo. Xavier Monnier estime que cela « induit un traitement de faveur ». Ce n’est ni faux, ni vrai. Ce code, « déployé », permet de consigner des indications relatives à la mise à disposition d’un fauteuil roulant pour un·e handicapé·e, et toute sorte de renseignements. C’est la seule approximation sur les deux pages que Bakchich consacre à cette affaire.
Nous avions, avant que Bakchich y procède, vérifié les tarifs habituels en diverses classes pour un vol A-R Paris-Naples (voir nos précédentes chroniques). Début septembre, pour un tel trajet réservé fin juillet, le tarif Air France – directs sur site ou en agence classique – se situait aux alentours de 220 euros en classe Éco, celle que le ministre se réservait ainsi qu’à son épouse. Si on s’adressait à Carlson WagonLit, indique Bakchich, cela se serait plutôt situé aux alentours de 130 euros. Oui, mais via quelle antenne de Carlson WagonLit ? Une lambda, de ville, ou celle du ministère de l’Intérieur, supposée appliquer les tarifs IATA ?
La « fadette » (relevé de carte bancaire transmise par le ministre) indique un prélèvement Air France, en date (« de valeur ») du 19 septembre, mentionnant un débit de 846 euros, alors qu’un document – « fantaisiste » au moins quand à l’orthographe du patronyme de l’épouse du ministre –, émanant de Carlson WagonLit (antenne du ministère de l’Intérieur), indique une somme de 812,60 euros. Ce dernier document aurait-il été établi à la hâte ? Bakchich se préserve bien de le supposer, tout comme nous nous gardons bien de présumer que le relevé détaillé du groupement Carte Bleue pourrait prêter à divers interprétations. Autre détail amusant, pas si significatif qu’on pourrait le supputer, le « Débit à distance de la carte de crédit » situe la rue de Penthièvre, et ses locaux du ministère de l’Intérieur (voir notre chronique précédente), dans le huitième et non dans le septième arrondissement. Ce qui est absolument certain, c’est qu’on ne voit pas pourquoi Air France aurait bénéficié d’un versement alors que Carlson WagonLit, antenne du ministère de l’Intérieur, émet les factures. C’est un mystère qu’on ne doute pas que le ministre saura éclaircir lorsqu’il se présentera, ou sera représenté, devant la Justice ordinaire (la Cour de Justice de la République ne s’est pas encore inquiétée de cette banale affaire, même si la propriétaire principale de Carlson WagonLit Travel a été décorée de la Légion d’honneur par Jean-David Levitte, proche de Nicolas Sarkozy).
Cet épisode – somme toute dérisoire – ne retiendrait pas autant notre attention si nous ne nous étions antérieurement intéressés aux marchés liant Carlson WagonLit et le groupe hôtelier Accor (plus récemment, Accor s’est désengagé des liens qui l’intéressaient dans le capital du groupe CWT) depuis 1995. La passation de marchés avait été préfigurée par Alexandre Jevakhoff, alors en poste au ministère de l’Intérieur et actuellement au cabinet de Michèle Alliot-Marie. Jean-Galli Douani, auteur de Clearstream-Eads, le syndrome du sarkozysme, a transmis à la Commission européenne tous les documents en sa possession, en soulignant que l’agence et le groupe hôtelier étaient directement intéressé aux bénéfices retirés des expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Son livre, qui a été tiré par les éds Bénévent, a été retiré des ventes après injonction d’en remanier le texte de la part de l’ancien bâtonnier Mario Stasi, agissant pour le compte d’Alexandre Jevakhoff, et n’a donc pas été distribué. C’est, début octobre, les éditions Oser dire, marque de l’éditeur belge Marco Pietteur, qui remettront ce singulier marché de voyagiste et d’hôtelier sur le marché du livre.
Qu’un ministre en exercice bénéficie de libéralités de la part d’une agence de voyage, d’un transporteur aérien, d’un groupe hôtelier, ne nous émeut guère. Même des anciens ministres peuvent obtenir divers avantages : c’est eux qui en bénéficient, c’est nous qui les réglons sur les tarifs des prestations que nous acquittons. Mais nous y sommes habitués, si ce n’est résignés. Nous avons déjà exprimé qu’Éric Besson aurait fort bien pu être totalement invité, ainsi que son épouse. La « contrepartie » aurait peut-être été de se laisser, par le plus grand des hasards, photographier en classe Éco (puisque telle était son intention initiale), ou dans la somptueuse Villa Marina. On aurait pu aussi lire, dans un publirédactionnel déguisé, Yasmina Tordjman dissertant de ses choix de cosmétiques (L’Oréal ?) et des beautés de Capri et de la Villa Marina. Nous sommes blasés, hélas. Mais non particulièrement écœurés par l’hypothèse, qui reste judiciairement à établir, souhaitons-le quand même, sans illusion, qu’un ministre puisse bénéficier de facilités réglées par les contribuables. Que ce soit par via les tarifs du secteur privé ou de par l’impôt, la CSG, la TVA, &c., de toute façon, les perdants et les gagnants sont toujours les mêmes.
Tout autre, non pas de nature mais de par les montants et par ce que cela implique, est ce que Jean Galli-Douani soulève. Le Woerthgate, ce n’est pas qu’un ministre abuse ou n’abuse de remises de décorations, de versements légaux ou illégaux à un microparti ou un autre, c’est bien plus ample et vaste, bien plus ancré, induré, dans les mœurs politiques et financières françaises.
Un voyou, de la République ou d’un autre segment de la société, ne tombe jamais pour le principal, mais pour les à côtés, c’est un adage policier. La presse en est réduite à suivre les mêmes préceptes et principes. Très souvent, l’arbre cache la forêt. Parfois, la combustion d’un seul arbre l’embrase. À d’autres occasions, non. Les arbres Besson et Woerth peuvent fort bien aussi roussir sans flamber, se consumer sans propager l’incendie. Pour le moment, nous constatons qu’un incident équivalent à celui d’un Besson aurait suscité des questions orales devant les Communes ou la Chambre des Représentants. Nous estimons aussi qu’une partie de la presse britannique ou nord-américaine ne serait pas contentée de gloser sur la prestation d’un Stéphane Guillon. Pour la démocratie et le journalisme français, cette historiette, laissée en l’état, vaut un De profundis.
Besson domicilié à l’Industrie… en compagnie de capitaines ?
Lu sur Le Post (peut-être pas longtemps, on verra…)
Michèle Alliot-Marie a-t-elle trouvé sur le ressort de Paris un procureur aussi diligent que Philippe Courroye, du parquet de Nanterre, pour décider si la plainte en diffamation d’Éric Besson contre Bakchich pourrait aboutir (quand même pas à être versée à un magistrat instructeur de sitôt) ? Il semble qu’elle ne s’empresse pas de le faire. En tout cas, hier, jeudi, Bakchich n’avait pas encore reçu de papier bleu. Bizarre, bizarre, le cabinet de Besson ne veut pas voir les justificatifs avancés par son patron reproduits dans la presse. Peut-être même vaudrait-il mieux qu’un magistrat ne les voit pas ?
Toujours sur Le Post (pour une fois, Come4News ne m’en voudra pas pour un copié-collé de même source) :
C’est à l’attention de Philippe Bilger, magistrat (voyez son blogue ou Marianne), que nous commençons a diffuser sous un format aisément consultable les justificatifs d’Éric Besson qui n’a pas voyagé aux frais des princesses contribuables. Philippe Bilger a aujourd’hui considéré que « pour dénoncer l’atmosphère judiciaire d’aujourd’hui, il faudrait avoir le génie d’un Léon Bloy, d’un Émile Zola… ». Quelle emphase. Un effet de manches d’avocat général, sans doute… Bah, Michèle Alliot-Marie le prend pour tel, et l’opinion s’en contrefout. Cela n’arrive qu’aux autres, n’est-il pas ?
Souvenez-vous, Clinton et Monica… Même la presse qui lui était favorable s’est indignée de constater qu’il avait menti, puis minoré la vérité. Fait son Éric Woerth, quoi. Là, citons Bakchich :
« Pourquoi, alors, interdire la diffusion de ces documents, comme nous l’a précisé par e-mail, sitôt après leur envoi, le cabinet du ministre ? “ INTERDICTION FORMELLE DE REPRODUIRE LES ÉLÉMENTS CONTENUS DANS LE MEL PRÉCÉDENT ET RAPPORTANT LA PREUVE DU FAIT QUE EB A PAYÉ LUI-MÊME SES BILLETS D’AVION.” ». Vous avez remarqué avec quelle unanime fougue confraternelle la presse de ce matin a répercuté cette information ?
Et pour titiller encore Le Post :
Et pour terminer, comme toujours en France, par une chanson :
TIens, Éric Besson serait domicilié au ministère de l’Industrie. Quelle industrie, quels capitaines ou commandants de bord ? Nous avons quelques autres pièces que, pour l’anecdote, car ce n’est pas plus de son ressort que de, peut-être, sa compétence, nous transmettrons volontiers à Philippe Bilger. Si cela vous intéresse, nous suggérerons à Bakchich d’en faire des affichettes, au cas où vous envisageriez de passer du côté du ministère de l’immigration. Sinon :
Sur le Gange ou l’Amazone,
Chez les blacks, chez les sikhs, chez les jaunes,
Voyage, voyage…
Allers simples et sans retour : après Stéphane Guillon, Éric Woerth s’est mis à parodier des chansons.