Dans les heures qui ont suivi la diffusion du sketch de Stéphane Guillon chantant, chez Ardisson, « Capri, c’est gratuit… », la vidéo YouTube était reprise à l’envie. Dans les heures suivantes, YouTube la retirait de son catalogue. Tiens, pourquoi uniquement celle-là ?

On aurait du en consigner l’intégrale des paroles. Mais pour les retrouver, il faudra chercher : « This video contains content from Canal Plus, who has blocked it on copyright grounds » : ce serait donc pour des raisons d’infraction aux droits d’auteur que YouTube aurait retiré la prestation de Guillon sur Besson et Bakchich de son catalogue. Clair, net, explicite. Circulez, plus rien à voir… Ici Mars, salut les Terriens !

 

Recherchez l’expression exacte « Capri c’est gratuit » via, par exemple Google : 888 résultats voici peu. « Nous n’irons plus jamais où il y a trop d’immigrés (…) où c’est trop basané (…) en payant des billets (…) les Français peuvent raquer. Capri, c’est gratuit, et dire que le billet est à 3 000 euros… ». Capri ? Six allers simples pour Bamako, « cela paye le voyage à Capri », avec Carlson WagonLit, a considéré Stéphane Guillon. Cet extrait, reproduit selon le droit de citation, s’accompagne ici d’illustrations. Si vous ne la ou les voyez plus, c’est que Canal+ aura prié Come4News de les retirer, car le droit de citation est beaucoup plus restrictif pour des visuels, images, illustrations, dessins, schémas, &c.capri_besson_cwt.jpg

 

Mais pourquoi donc YouTube a-t-il été saisi par Canal+ (ou par Ardisson, qui peut conserver des droits sur ses émissions) ? Pourquoi ? On ne veut croire que ce soit pour cette seule référence à Bakchich et Besson (à moins que d’autres personnalités politiques ou autres soient intervenues, comme Carla Bruni – « c’est la sortie d’un futur Album de Carla qui nous ferait souffrir… » – Bernard Tapie, Ségolène Royal, Berlusconi, Mimie Mathy, &c. ; on ne subodore pas d’autres raisons, mais allez savoir…). Car, des contenus Canal+, Ardisson et Guillon, on en trouve ailleurs à foison, sur YouTube aussi en particulier. De toute façon, cette vidéo circule encore sur la Toile (on ne vous dira pas où, à moins que Le Monde informatique, filiale du groupe, soit à l’abri d’une possible intervention de haute définition, prête à l’emploi).

 

Éric Besson, ministre, va-t-il se « payer » le seul Bakchich en portant plainte (il l’aurait fait) pour diffamation et « oublier » généreusement Canal+, YouTube, Le Monde interactif ? Cela s’est vu. Ainsi Jean Galli-Douani, et non France-Soir et son directeur de publication ou le journaliste s’étant entretenu avec lui, s’était retrouvé face à l’ancien bâtonnier de Paris, Mario Stasi. Il représentait Alexandre Jevakhoff, actuel directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie, qui ne « tapa au portefeuille » que du seul Galli-Douani, Jean. Le manque à gagner est considérable pour Besson, Éric, le risque de voir des ténors du barreau retracer publiquement la carrière d’Éric Besson (et leurs plaidoiries reproduites dans la presse, sans craindre des poursuites) l’est tout autant. Mais il semble qu’Éric Besson se contenterait de la peau de Bakchich et de quelques à côtés dans les parages des Swann (ou plutôt corbeaux) de la presse « people » (française, et non tunisienne).

 

On se souvient que la plainte de l’avocate Sylvie Noachovitch, candidate UMP, contre Le Canard enchaîné avait fait pschitt (elle s’était désistée). Elle avait cependant obtenu l’euro symbolique, pour les mêmes faits, les mêmes propos rapportés, du journaliste Nicolas Poincaré. La cour, en sa grande sagesse, avait nonobstant réduit ses prétentions initiales, qui s’élevaient à 200 000 euros. Mais le non-dépôt d’une plainte en diffamation consécutif à de hautes et fortes proclamations d’ester, cela s’est vu aussi (au fait, un trimestre après les faits, où en sont les plaintes des époux Florence et Éric Woerth ?). Éric Besson avait déjà voulu « se faire » Bakchich. Il avait été débouté (à propos de son éventuelle conversion à l’islam, pour atteinte à la vie privée). Pour les mêmes faits, Besson s’était bien préservé de poursuivre la presse tunisienne.

 

Les mêmes procédés sélectifs étaient employés contre la « presse alternative » des années 1970 (pour l’Alsace, à l’époque, Uss’m Follik, Klaperstai, La Cigogne plumée). Mêmes si les mêmes infos étaient reprises sans trop de conditionnels et de formes interrogatives par la PQR (presse quotidienne régionale), seuls les titres alternatifs se voyaient poursuivis. Leurs avocats étaient souvent bénévoles ; la PQR, épargnée, s’abstenait d’en remettre une couche en couvrant l’audience. Ces titres, s’ils étaient condamnés (ils ne l’étaient pas toujours), n’avaient que le recours à la souscription pour survivre. Le même phénomène se vérifie encore de nos jours, car des titres d’expression régionale alternative, comme Le Berry Ripoublicain, pour ne citer que lui, ou des sites d’information locale et régionale, ont pris le relais des « ancêtres » de cette presse qui n’avait rien d’« ultra-gauche » (mythe commode). Presse écologiste, féministe, et populaire, proche de certains syndicats ou groupes citoyens, cette presse n’a pas été laminée que par des procès, mais beaucoup d’actions en justice y ont fortement contribué.

 

De même, dans la bancassurance, en dépit des avis des juristes des services contentieux, on va systématiquement en cassation ou presque si le « client » n’a pas les reins solides. C’est payant : au pire, on finit par transiger, au « mieux » (pour les éts financiers), il finit par se décourager, voire sombrer dans la déchéance, ruiné et sans logis ; ou l’action judiciaire s’éteint s’il n’a pas d’héritiers. C’est un peu comme pour les fortunes des familles juives spoliées sous l’Occupation ou la dictature nazie (au fait, l’histoire du siège de L’Oréal en Allemagne est toujours « pendante », ou suspendue, ou non ?). La masse rattrape l’effet des pourvois en cassation qui n’aboutissent pas (rarement pour les banques) ou les décisions définitives contraires aux intérêts de la haute-finance. Bref, tout le monde n’est pas un Bernard Tapie.

 

La « chasse aux taupes » est parfois un leurre. David Sénat jouit d’une sinécure quai de Javel, bien loin des moiteurs guyanaises. Mais le policier qui aurait balancé, surtout s’il n’est pas syndiqué, l’affaire de Maxime Péchenard, fils du DGPN, risque de se voir infliger une mutation plus pénible. Ou, comme cela s’est vu, on lui fera « bouffer du cadavre » (à la morgue, en cas de transfert de dépouilles, &c.) jusqu’à satiété, et congé de longue maladie négocié. Le tir aux canards n’est, lui, pas un leurre. Les pigeons d’argile sont les plus massacrés. Les titres « blindés » trouvent des arrangements ou bénéficient d’indulgences, parfois plénières, qui se négocient avec les directeurs de publication et leurs conseils. Évidemment, on sait aussi où (un titre ou un autre) taper au portefeuille sans qu’un grand groupe de presse se sente, dans son ensemble, porté à des représailles. Bakchich est assez bien « isolé », même s’il a des appuis. Il ne dispose pas des réserves du Canard enchaîné, ni des réseaux de Mediapart.

 

Le « harcèlement » n’est pas toujours conforme aux apparences. Lorsqu’un titre de presse est supposé s’acharner, les mesures de rétorsion sont parfois subtiles, feutrées, et lourdes de conséquences financières. Le recours aux lois sur la presse est parfois la partie immergée de l’iceberg. Le débauchage des redchefs ou chefs de service est parfois à double sens : soit ils sont virés, soit ils se voient proposer, comme par miracle, « une offre qu’on ne peut refuser ».

 

Nous ne chercherons pas à savoir qui, à Canal+, ou chez Ardisson, a considéré que le retrait de cette vidéo de la Toile était judicieux, ni même pourquoi exactement. Stéphane Guillon s’exprimera ou non sur cette décision. « L’émission a attiré 1.316.000 personnes et 8,2% de part de marché ! C’est la meilleure audience pour ce programme depuis son lancement, » s’exclamait Morandini. Guillon a-t-il lui-même été convaincu par certains arguments ? Le vrombruissage (buzz) s’est largement atténué. Indirectement, Bakchich en est aussi « déficitaire » : plus on causait de Guillon, mieux on parlait de Bakchich. Canal Plus y perd, un peu, de notoriété. La chaîne se rattrapera. Bakchich, espérons-le, aussi… Quant à Besson, il est des choses qu’on ne rattrape plus. Antisocial, tu perds ton sang-froid ? Guillon osera-t-il en parodier les paroles ? On verra…
Ah, aux dernières nouvelles, Besson renonce, selon Le Point, à polémiquer avec Guillon. Accroche du Point : « Canal Plus a les reins solides… ». On avait tout compris et comme on le prévoyait avant Le Point, on est passé au journalisme prédictif, mais ce n’était pas de la Science Fiction, juste une déduction logique.