Lille, la capitale des Flandres, carrefour de l’Europe, une ville jeune, dynamique, en pleine effervescence. En 20 ans, elle a su changer de visage. L’industrie, c’est du passé, l’ère est au tertiaire, nous sommes dans un monde de services, la transformation de la ville a su intégrer cette réalité. En 2004, elle fut la capitale européenne de la Culture, tous les yeux des curieux d’arts se sont rivés sur elle, l’évènement a eu le mérite d’être un sérieux coup de fouet pour son rayonnement continental, voire mondial. Elle est devenue un pôle créatif constamment galvanisé. Ainsi, les expositions majeures ne se déroulent plus seulement entre les murs de Paris et de ses musées, mais aussi ici, à la frontière du Benelux. C’est dans les sous-sols climatisés du magnifique Palais des Beaux Arts que se tient l’une des manifestations artistiques principales de cette année : l’Exposition Babel.

 

 

Le prix modeste du ticket d’entrée, 5€ environ, est une formidable occasion de s’enrichir, non pas matériellement mais culturellement et d’en apprendre un peu plus sur le mythe biblique. Petit rappel des faits, nous sommes après le Déluge, des pluies torrentielles se sont déversées sur Terre et les hommes veulent construire une tour. Un immense édifice sensé pouvoir atteindre les cieux. Cependant Dieu ne l’entend de cette oreille, il lance un châtiment pour punir tous les hommes de leur ambitieuse vanité, ils auront dès lors des langages différents. Ne pouvant plus se comprendre, les travaux s’arrêtent de facto et la tour reste inachevée. L’humanité gagne en richesse et subtilité grâce à tous ces idiomes, mais elle perd une forme d’uniformité et un gagne risque permanent de discordes pouvant mener à la guerre. Mais tout cela est indiqué sur les murs lors de la visite afin d’optimiser l’immersion du spectateur.

 

 

En 2009, des négociations eurent lieu pour mettre en place cette exhibition, mais c’est seulement depuis le 8 juin, jusqu’au 14 janvier 2013, que l’on peut admirer les 85 œuvres produites par une quarantaines d’artistes différents venus du monde entier.

 

 

Une fois à l’intérieur du musée, face aux marches menant au hall accueillant les œuvres, se trouve une immense fresque murale en relief intitulée : The fertile CrescentUniversal War One de l’artiste allemand, Anselme Kieffer. Elle montre une tour en construction (ou déconstruction) avec un effet de profondeur tout à fait saisissant. En passant le seuil, nous tombons nez à nez avec la pièce maîtresse de l’exposition, trônant au centre de la pièce, la tour de Jakob Gautel, composée de 15000 livres de tous genres et toutes langues existants, une jolie métaphore de cet épisode de la Génèse. Elle est ceinte par des parois où sont accrochées des illustrations et des planches de bandes dessinées évoquant le sujet. On trouve des tirés à part de Universal War One de Denis Pasjram et de La Tour de François Schuiten et Benoit Peeters.

 

 

Tout autour de cette montagne de bouquins, Babel est abordée sous 4 angles différents : Architecture organique, Tour des langues, les futures Babel et le Tragique. Dans la première vision, on trouve une sculpture ayant la forme d’une tour émergeant de la pierre, une Babel troglodyte en somme, ainsi qu’une Babel alvéolée. La tour comme une ruche, une analogie voulant montrer que les hommes sont simplement des ouvriers, des constructeurs. Ils butinent à l’extérieur, se charge des savoirs d’ailleurs, pour construire leur chez eux.

 

 

Dans la deuxième perspective, l’œuvre la plus marquante est sans doute cette fabuleuse cathédrale de métal, si finement sculpté, qu’il imite la dentelle. L’artiste a voulu tisser une similitude entre Babel et la folie des cathédrales qui a bousculé l’Europe de 1130 à 1280. N’ont elles pas eu pour but d’être toujours plus grandes, hautes et imposantes ? La troisième facette est idéalement mise en valeur par le photomontage de Ryota Amae représentant une tour en construction, on y voit des machines disposant des poutres en métal sans jamais savoir jusqu’où cela va s’arrêter. Une impression de surenchère s’en dégage et on peut craindre le pire. A vouloir aller toujours plus, on s’en brûle les ailes, mais cela est une autre histoire

 

 

Justement, on arrive au tragique. Outre une série de montages chinois combinant une multitudes de clichés catastrophiques, on ne peut rester indifférent face à la production des frères Chapman. Dans un cube de verre, nous avons devant les yeux un spectacle morbide inspiré duTriomphe de la Mort de P.Brueghel. Dans ce qui semble être une fosse, où s’entasse des cadavres d’officiers SS et de juifs dénudés, il y a une multitude de scénettes où des squelettes dansant, torturent des pauvres victimes. Sur le flanc, se trouve une colline où des spectateurs se délectent sadiquement de ce bal cruel, dont le Fuhrer en personne, peignant son autoportrait de façon cubique.

 

 

L’Exposition Babel offre aux spectateurs un tour du monde contemporain de cette légende, mais elle ne constitue qu’une mise en bouche à la future exhibition que doit héberger le Palais des Beaux Arts à l’automne prochain. Elle sera dédiée aux fables du paysages flamands et on pourra y voir des toiles de maîtres, tels que Jérôme Bosch et Pietr Brueghel. Une nouvelle occasion de venir à Lille et profiter des charmes du Nord.