Lu ailleurs, à propos des plaintes visant Michel Dubec, psychanalyste, expert judiciaire, auteur du Plaisir de tuer (Seuil), et de la condamnation de BrigitteBrami à 25 mois de détention pour harcèlement à l’encontre du premier : « c’est une histoire rocambolesque ». Oui, mais l’époque des Michel Bezzina et des Laurence Lacour sur les bords de la Vologne de l’Affaire Grégory semble être révolue. Dans la presse à forts tirages ou audiences, l’histoire rocambolesque n’est pas du tout en passe de trouver son narrateur ou sa chroniqueuse. On peut se poser la question : pourquoi un tel manque d’intérêt ?


Lorsque la polémique sur les escapades thaïlandaises (ou autres, Maghreb, squares parisiens) de Frédéric Mitterrand battait son plein, l’UMP avait sorti deux arguments. Selon l’un, il s’agit d’une polémique montée de toutes pièces puisque, lors de la sortie de La Mauvaise Vie, la critique (littéraire, principalement) n’avait rien trouvé à y redire. Certes, depuis Gide, dont Frédéric Mitterrand se revendique, il n’est guère « de bon goût » de s’interroger sur la réception et la lecture que feront les unes et les autres : on vante l’auteur pour sa franchise. Et puis, même s’il ne s’agit que d’un animateur, Frédéric Mitterrand passe pour « un confrère », plutôt amène de surcroît. L’autre argument est plus convenu, car du fait que la polémique provenait du Front national, Xavier Bertrand s’est autorisé à déclarer que « se servir de la vie privée des gens (…) rappelle les pires heures de l’Histoire. ».

 

Le premier argument avait aussi servi peu avant que l’affaire Frédéric Mitterrand n’enfle au point qu’il soit nécessaire de recourir à un sondage, d’un type voulu voisin de « l’épreuve du suffrage universel » à Neuilly-sur-Seine, pour la déclarer close.  C’était quelques semaines auparavant lors de la comparution de Michel Dubec, psychiatre devenu psychanalyste, devant la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins. Son livre, Le Plaisir de tuer (Seuil) aurait été, selon sa défense, unanimement salué par la critique lors de sa sortie. Michel Dubec étant alors bien moins connu que Frédéric Mitterrand, on peut s’interroger sur la portée de l’unanimité d’une critique, mais tout livre issu du Seuil bénéficie généralement d’une certaine attention.
D’autre part, il est fort possible qu’aucun critique ne se soit étonné du procédé littéraire qu’emploie Michel Dubec pour tempérer la fascination qu’ont pu exercer sur lui les viols et meurtres de Guy Georges, dit le Tueur de l’Est parisien. Il jouit à la pensée d’imiter Guy Georges, puis, arraché par le réel à ses songes éveillés, il fait acte de contrition. De même, Frédéric Mitterrand, après avoir fréquenté le « garage à garçons » et les « gosses », les « boys », les « minets » et tel ou tel « petit jeune », se sent tout chose d’être assimilé par ses rabatteurs au « pédophile planqué des années deux mille ». Il lui advient alors qu’il aurait peut-être péché par pensée, par parole, voire par action. Il évoque après coup(s) son malaise. Du coup, le protochanoine d’Embrun et chanoine du Latran, qui assure avoir lu soigneusement l’ouvrage, lui accorde sa totale absolution, sans même deux pater et trois avé à balbutier ou mimer du bout des lèvres en affichant un air pénétré.

 

Un argument secondaire consiste à énoncer : « il faut lire tout le livre ». Et ne pas citer sans évoquer tout le contexte. Que voila donc un argument quelque peu diriment. Quoi, la critique n’aurait donc pas lu « tout le livre » ? Elle l’aurait encensé sans avoir, les ayant relevés, resitué les passages incriminés dans leur contexte ? Il se trouve que, pour cette Mauvaise Vie, Jérôme Dupuis, de L’Express (pp. 48 et 50 de l’édition daté du 15 oct. 2009), a relu soigneusement tout l’ouvrage. Son article, intitulé « L’écrivain au pied de la lettre » aurait pu être titré « L’écrivain au bord du bûcher des vanités », soit de ses afféteries, des accents de la sincérité, feinte ou réelle, de son repentir.

 

Il se trouve que, généralement, l’argument de la globalité de l’œuvre littéraire (tant bien serait-ce une autobiographie) suffit pour faire autorité, et de même que la justice peine à se déjuger, la gent de lettres répugne à l’introspection, à la rétrospective. Le livre de Michel Dubec mérite certes d’être soigneusement relu. Et même scruté à la lumière des dix plaintes (sur une centaine, selon divers membres du barreau), estimées recevables par le Conseil de l’Ordre des médecins. Faible lueur : le rhéostat, réglé au dixième de la puissance, a fait qu’elle a bien peu éclairé l’opinion.

 

Le rappel des « pires heures de l’Histoire » sert aussi à disqualifier par avance tout un chacun ayant prêté l’oreille au contradicteur. C’est tout juste si, à propos des critiques encourues par son neveu, on ne remémore pas que l’oncle défunt, François Mitterrand, avait été un fonctionnaire du régime pétainiste avant de rejoindre le bon camp, celui de la contrition, du rachat. Donc, toute réserve émise depuis l’autre camp, ou de tout bord qui ne soit pas le sien, peut être ignorée.

 

Un psychiatre en voie de rachat, cela s’est vu, cela se voit. Ainsi du docteur Radovan Karadzic, ancien psychiatre, un temps militaire et politicien en Bosnie, devenu le bon thérapeute Dragan Dabic, qui soignait d’anciens combattants traumatisés par ce qu’ils avaient subi ou fait subir. Il chassait leurs ondes négatives. Il devient le naturopathe prônant « le bien-être de l’Esprit-Saint ». Devant la justice des hommes, le bon mage Dabic, alias Karadzic devant le tribunal de La Haye, ne semble pas prêt à la contrition.

 

Devant la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins, le psychanalyste Michel Dubec a laissé entendre que les apparences avaient pu, au moins à l’égard de Maurice Joffo, l’induire en erreur. C’est vrai que les Bosniaques ont aussi, parfois, une sorte de réputation qui peut les faire passer pour des Kosovars albanais aux yeux des Serbes. Sauf que les apparences lui avaient fait prendre Maurice Joffo, passeur de Juifs ou de résistants de la zone occupée par les nazis vers la zone moins exposée, pour le Juif Süss, personnage « abject ». Dubec s’est imaginé que Joffo aurait pu refuser, quand Maurice Joffo et la mère de Michel Dubec avaient tous les deux 13 ans, d’accorder la vie sauve à la famille Dubec car elle était désargentée. Bah, c’est bien excusable, n’est-il pas ? Quand un Bosniaque mettait la main dans sa poche pour présenter une preuve d’identité, un Serbe pouvait se croire menacé et tirer, avec ou sans sommation. L’indulgence du tribunal serbe, si tant était qu’il soit saisi, pouvait ou non être assortie d’une peine symbolique, prononcée avec bénéfice de sursis.
La méprise de Michel Dubec à l’égard de Maurice Joffo ne serait, selon lui et ses défenseurs, qu’une bévue vénielle : pas de quoi monter sur les grands chevaux de la probité offensée. Maurice Joffo avait le faciès d’un kapo aux yeux de Michel Dubec, il se méprend encore, c’est si humain, si excusable !

 

Au tribunal de la presse, Michel Dubec bénéficie de tous les sursis à statuer ; d’ailleurs, non seulement il n’est pas cité à comparaître, mais il est par avance acquitté. Et puis, n’a-t-il pas été un excellent thérapeute pour une proche du président de l’Association de la presse judiciaire ? Ce dernier, qui avait par avance estimé que la comparution de Michel Dubec devant un tribunal rappellerait les pires heures de l’Histoire (dans un article du Figaro qui avait lui valu la publication d’un droit de réponse), était venu dire devant la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des médecins tout le bien qu’il pensait de Michel Dubec. Et puisque Michel Dubec, qui exerce en tant que psychanalyste et expert devant les tribunaux ou les micros et caméras, a aussi autrefois exercé en tant que psychiatre, il fait figure « de bon docteur », notamment pour le juge Thiel qui, lui aussi, a estimé que les pratiques de psychanalyste de Michel Dubec pouvaient être bénéfiques, y compris pour beaucoup de gens de son entourage

 

Comparaison n’est pas raison, sauf, peut-être, sur un point précis.

 

Selon Michel Dubec, il y aurait une cabale contre la « Kabale » de l’expertise psychiatrique judiciaire en général, et contre lui-même en particulier, et son Himmler, ou son Goebbels, selon les cas, serait une certaine Brigitte Brami. Elle serait la cheffe d’orchestre d’êtres mal intentionnés ou de pauvres dupes. Des individus abusés qui n’auraient évidemment pas pris la peine de lire l’ensemble du Plaisir de tuer, ouvrage que Michel Dubec a cosigné avec Chantal de Rudder, ancienne rédactrice-cheffe du Nouvel Observateur. C’est un peu léger de supposer que des gens ayant déposé plainte contre Michel Dubec se seraient toutes et tous dispensés de lire l’ensemble de cet ouvrage. Au contraire, on peut supposer qu’ils en ont souligné et annoté tous les passages. Et il se trouve aussi que nombre des plaignantes et des plaignants ne se réfèrent absolument pas à l’ouvrage mais à d’autres faits.

 

L’expertise psychiatrique judiciaire n’est pas, que l’on sache, une science exacte. La médecine, en son ensemble, ne l’est toujours pas. Et la psychiatrie bute sur certains cas. Au point que, après avoir perçu sans faillir des honoraires versés régulièrement par Brigitte Brami, pour des raisons cabalistiques rarement exposées, Michel Dubec avait considéré qu’il avait mieux à faire que l’entendre. Il la congédia donc. Certaines expertises psychiatriques de Michel Dubec ont d’ailleurs, rapporte-t-on, sans doute en l’exagérant, la brièveté des « consultations » d’un Lacan (l’inventeur de la blitz-psy, selon de mauvaises langues). Ce qui est sûr, c’est qu’à « se servir de la vie privée des gens », Michel Dubec a copieusement puisé dans la sienne, et dans ses démêlés avec Brigitte Brami, pour s’exempter  de tout reproche. Si, pour Jean Yanne, tout était chôbizenesse, pour Michel Dubec, tout ce qui lui est objecté se ramène aux tracas que lui vaut une certaine Brigitte Brami, laquelle orchestrerait une campagne contre lui. Elle a suscité une pétition contre lui, suggérant qu’il pourrait justifier le viol. C’est, il est vrai, abusif. Comment soutenir que, l’ayant décrit avec force détails, Frédéric Mitterrand vanterait le tourisme sexuel ? Tout comme les confesseurs disséquaient les turpitudes sexuelles de leurs ouailles, c’est pour mieux les dénoncer et les traquer que Michel Dubec ou Frédéric Mitterrand s’étendent sur les circonstances des viols ou de la prostitution masculine.

 

Qui est Brigitte Brami ? Difficile de répondre sinon par des faits. Elle fut condamnée une première fois pour harcèlement à l’encontre de Michel Dubec, et fait rare, détenue une première fois (pour un total de moins de six mois car la peine avait été réduite, puis aménagée pour bonne conduite). Puis, récemment, le 15 octobre 2009, pour la même cause, sinon pour les mêmes faits, elle est de nouveau lourdement condamnée. D’aucuns disent qu’elle aurait envoyé plus de 300 cartes postales injurieuses à Michel Dubec, d’autres ne font état que de trois. Pour les plaintes devant le Conseil de l’Ordre, seul le dixième est retenu, pour les cartes postales que Brigitte Brami adresse à celle de Michel Dubec, la variation est de l’ordre d’un à cent. Que Brigitte Brami ait, avec insistance, interpellé Michel Dubec, de manière de plus en plus pressante puis progressivement sous forme d’invectives est un fait constant. Là, le 15 octobre, en son absence encore, car elle ne s’est pas présentée à l’audience et Me Thierry Levy la représentait seul, elle a été condamnée à 15 mois de détention, à la révocation d’un sursis de dix mois, et un mandat d’arrêt a été assorti au délibéré.
On comparera utilement cette peine avec celles infligées à des maris violents et éconduits dont les victimes ont subi plus de huit jours d’interruption de travail. Car si Brigitte Brami a bien été éconduite par son médecin traitant, la violence a été pour le moins réciproque. Me Coutant-Peyre, pour Brigitte Brami lors de son premier procès, avait fait valoir que Michel Dubec avait envoyé son ex-patiente littéralement au tapis : ex-boxeur amateur, assidu des salles de musculation (lire son Plaisir de tuer), Michel Dubec avait fait état d’échanges de coups. Sans doute, alors, sous la ceinture car Brigitte Brami est une toute petite femme. En se débattant ou en tombant, Brigitte Brami aurait-elle malencontreusement heurté le coude ou le genou de Michel Dubec, lui infligeant une peine brièvement incapacitante ? Toujours est-il que sa harceleuse avait voulu le rencontrer et s’expliquer de vive voix avec lui. Mal lui en prit.

 

S’il y a bien une catégorie d’informateurs que les rédactions redoutent, c’est bien ceux qui, comme Brigitte Brami, sûrs de leur bon droit, n’arrivent pas à comprendre qu’un Frédéric Mitterrand est un sujet d’intérêt pour tout le monde tandis que leur cas, même si la notoriété d’un Michel Dubec est croissante, n’intéressera que bien peu. En plus, impossible d’en traiter en quelques lignes. Sauf à tomber dans l’ellipse ou la prise de position partisane, à l’emporte-pièce, ce genre de sujet est bien difficile à évacuer. En sus, si tant était qu’on y prête le flanc, on s’expose a être soi-même constamment sollicité, relancé, tarabusté. Quand il s’agit d’affaires de pédophilie avec des notables nordistes supposément impliqués ou d’infanticide sur les bords de la Vologne, la rédaction en chef suit. Là, on lasse vite et que répondre alors aux protagonistes qui vous interrogent encore et encore ? Qui veulent qu’on fasse toujours et davantage état de leurs griefs ? Mieux vaut donc laisser de côté, ignorer d’emblée. En plus, s’il faut survoler des livres ou, pire, les relire soigneusement, c’est pire. Lisant sur le temps de présence au bureau, on vous colle vite une autre affaire à traiter d’urgence (ben oui, puisqu’on n’a rien d’autre à faire que lire…) ; et s’il faut lire à tête reposée, chez soi, il vous est reproché d’être toujours absent, parti  en reportages, et pour vos rares moments de présence au logis, d’y ramener du boulot.

 

Ce n’est certes pas la seule raison qui fait que les Premiers Paris (voir la Monographie balzacienne de la presse) classent sans suite de telles affaires. Quant à la presse régionale, puisqu’il ne s’agit pas d’une affaire locale, la raison du classement vertical est toute trouvée. Mais, outre le fait qu’on s’en remet au jugement des confrères (de Rudder, cosignataire du livre, ou Durand-Soufflant, témoin de moralité pour Michel Dubec, chroniqueur judiciaire du Figaro, président de la presse judiciaire), que la grégarité joue, ce n’est sûrement pas la moindre « justification » de l’abandon initial de telles causes. La lassitude entre aussi en compte. Car à quoi bon ? Et à quoi bon se déjuger ? Par ailleurs, si l’un présente bien et vous anime prestement un plateau ou une émission de radio, l’autre est incontrôlable, parfois véhémente, moins photogénique, etc.

 

Finalement, tout comme la Bosniaque paniquée sous les bombardements qui appellait son psychiatre traitant, Rodovan Karadzic, pour s’entendre conseiller de « respirer comme je vous l’ai appris », Brigitte Brami pourra, en détention, suivre les conseils de Michel Dubec et appliquer les gestes et respirations de relaxation qu’il lui a sans doute prescrit. Ce n’est pas le bras de la justice qui est lourd, mais le vôtre, tout votre corps est lourd, respirez lentement… Allez, relax. Et vous autres, restez couchés.

 

P.-S. – Cette  histoire « rocambolesque » pose la question du traitement de l’actualité par les médias. Lequels ne sont certes pas conçus pour « dire le droit » ou transformer leurs salariés, collaboratrices et autres en auxiliaires de qui que ce soit, fut-ce l’idée qu’elles ou ils se font de la justice. Mais elle peut servir à lever quelques illusions sur le supposé « quatrième pouvoir » qui n’a souvent que celui de conforter les usages et moeurs et pouvoirs du moment…