Aven Armand, forêt de pierres. Merveille façonnée par l’eau.

Platitude et monotonie des paysages, voilà ce que le concept de plateau, sur les anciennes terres du Gévaudan, laisse suggérer.

Néanmoins, dans l’alternance de reliefs curvilignes, turges­cents, fusiformes, arrondis ou acuminés et de dépressions, de ravins abrupts et de gorges étroites et profondes au fond desquelles s’écoulent des rivières turquoises ou émeraudes, les chaos dolomi­tiques rompent l’uniformité triviale des étendues quasi désertiques et lunaires

 

 

 Point de rivière ! Point de torrents ! Nul cours d’eau assigné ne coule à la surface du Causse Méjean. Comme aspirée par les maelströms souterrains, l’eau de pluie rejoint et alimente les vastes entrelacs karstiques pour resurgir dans les vallées verdoyantes.

 

Le Causse Méjean, un voyage dans l’imaginaire modelé par les calcaires dolomitiques et par l’érosion millénaire…

 

 

Le Méjean, ouvrant sur une vaste steppe d’herbe jaune, fas­cinante comme peuvent l’être les déserts, est littéralement ceinturé par les majestueuses vallées, serties d’impressionnants défilés et ca­nyons, du Tarn au Nord et à l’Ouest, du Tarnon à l’Est et de la Jonte au Sud.

Au coeur du chaos de Nîmes-le-Vieux, site ruiniforme, de­puis la nuit des temps, avec les édifices funéraires des cromlech, des dolmens et des menhirs, son paysage pétré porte la marque de la présence humaine.

 

 

Mais, la profusion d’exsurgences et de résurgences, – de Cas­telbouc, des Ardennes, de la Cénarète, des Fonts des Douzes… -, de gouffres, de cavités, de grottes et d’avens, – avens Armand, de Hures…, grottes de Dargilan, de la Sourbette, arcs de Saint Pierre… -, transforment son espace souterrain en un univers féérique.

 

Une découverte impromptue de l’aven, par un forgeron au Rozier, en 1897.

 

 

Le 18 septembre 1897, Louis Armand, de son métier forge­ron au Rozier, descendait du hameau de la Parade. Depuis 1883, il assistait, dans ses explorations, Édouard Alfred Martel considéré comme le père de la spéléologie. Sur le bord du chemin qu’il em­pruntait, il aperçut un énorme orifice envahi par les broussailles et les ronciers.

Il jeta, dans le trou béant, un gros caillou et il eut l’impres­sion que la pierre s’enfonçait dans les profondeurs abyssales. Ce gouffre, situé à 3 kilomètres d’Hyelzas, était connu, de générations en générations de paysans, sous le nom de « l’aven » et faisait l’objet de nombreuses légendes dans les environs.

« Cette fois, M. Martel », avait-il déclaré, tout excité par sa découverte, « écoutez bien et n’en soufflez mot à personne: je crois que je tiens un second Dargilan, et peut-être plus fameux encore…je suis tombé par hasard sur un grand trou; c’est certainement l’un des meilleurs… »(1)

 

L’exploration du gouffre par Louis Armand et Édouard Alfred Martel.

 

Le puits d’accès, du gouffre, de quelques mètres de diamètre, est une paroi verticale de 70 mètres de profondeur. Après une pé­rilleuse descente en échelle de corde, le 19 Septembre pour Louis Armand, dans un couffin suspendu par un treuil, le lendemain pour Édouard Alfred Martel et Armand Viré, les trois hommes débou­chèrent à la voûte d’une salle immense en pente.

La cavité est longue de 110 mètres, large de 60 mètres et a une hauteur moyenne de 45 mètres. Les explorateurs y découvrent une forêt de plus de 400 stalagmites géantes et, parmi elles, avec ses 30 mètres de haut, la plus grande au monde connue à ce jour. Elle se prolonge, sur sa partie basse, par une seconde cheminée, terminale, noyée par un lac et obstruée à 90 mètres de profondeur.

 

 

« Superbe ! Magnifique ! Une vraie forêt de pierres ! »(1), s’était exclamé Louis Armand, en découvrant ce site merveilleux. « La grande forêt dressait subitement ses colonnes colossales et diamantées à 30 m au-dessus de nos têtes ; les fûts monstrueux émergeaient de l’ombre, les colonnettes se détachaient en blanc sur le noir des voûtes ; tout cela brillait, miroitait, scintillait, dans une apothéose, dans un éblouissement. Tout le monde enfin se taisait, empoigné d’une intense émotion. », avait ajouté Armand Viré. Et Édouard-Alfred Martel, emporté par le spectacle féérique qui s’of­frait à ses yeux, avait même qualifié le site de « Rêves des Mille et Une Nuits».(1)

 

La formation géologique de l’aven Armand.

 

 

L’aven Armand, puits naturel du causse Méjean, à 970 mètres d’altitude, se situe sur un plateau calcaire jurassique de type lozérien. Il s’inscrit entre les gorges du Tarn et celles de la Jonte. La formation de l’aven et de ses stalagmites si particulières sont la ré­sultante de phénomènes naturels qui apparaissent, dans les milieux karstiques. Liés aux effets du temps, ils se concrétisent, dans un pre­mier stade géologique, par le creusement d’une cavité, dans un se­cond par son remplissage avec des concrétions et, dans un troisième, par l’obturation totale.

Dans ce karst, les eaux sont richesen carbonates dilués. Elles s’infiltrent, par les fissures, dans les roches calcaires. Quand l’eau, chargée de minéraux dissouts, pénètre dans une cavité et rentre en contact avec l’air, il se produit une réaction chimique. Le gaz carbo­nique s’échappe et décroche les molécules calcaires qui se dépo­sent à la voute, formant des stalactites. Sur les parois, elles donnent naissance à des draperies. Au sol, elles se matérialisent en gours et en stalagmites.

 

L’aven Armand, une des neuf merveilles souterraines du monde.

 

 

En fonction des apports d’eau, et suivant les variations sai­sonnières des précipitations extérieures, les gouttes sont plus ou moins lourdes et la hauteur importante de la salle, accélérant la chute, active d’autant le dégazage. En arrivant au sol, les gouttes explosent en d’innombrables gouttelettes et libèrent d’importantes charges minérales.

Ainsi, à l’aven Armand, l’histoire géologique propose une in­oubliable féerie de cristal. Et les parois de cette cathédrale souter­raine aux mille feux étincelants sont ornées de dentelles de pierres, de feuilles de calcite et de draperies translucides. Tout un décor spectaculaire s’est ainsi crée au fil des millénaires. « Le Palmier, le Dindon, les Méduses, le Chou fleur, la Mâchoire du Tigre… », et des acteurs immobiles s’offrent en spectacle permanent aux visiteurs émerveillés.

 

Raymond Matabosch

 

Notes

 

(1) Les causses et gorges du Tarn, Édouard Alfred Martel – 1926

(2) Six semaines d’exploration dans les Causses et les Cévennes, Revue du Club cévenol, Ernest Cord, Jacques Maheu et Armand Viré -1900.