Lalanne versus Naulleau : match nul !

Chaude ambiance l’autre soir sur le plateau de « On n’est pas couchés », l’émission hebdomadaire de Laurent Ruquier. Ambiance électrique, ambiance délétère… Un clash d’une ampleur pour le moins intergalactique s’est produit en effet, lors de son dernier numéro, entre l’Empire du Mal d’un côté (Eric Naulleau) et le Pire du Bien de l’autre (Francis Lalanne). A coup de sentences plus affûtées qu’un laser et distillées avec l’espèce de sadisme chirurgical qui est propre à Naulleau, auxquelles répondirent des explosions de rage atomique dans la bouche de Lalanne, les mots et les idées volèrent bas, très bas. On fut même à deux doigts, à un certain moment, de voir le doux poète se transformer en une sorte de Hulk totalement déchaîné pour écrabouiller d’un seul bond sous ses bottes fameuses notre bénin critique. On a tous eu bien peur, évidemment. Et puis on s’est rassurés encore plus vite en comprenant tout le dérisoire de la chose.

« Crétin !  Je t’emmerde ! Espèce d’enc… ! » : telles furent quelques-unes des mélodieuses paroles échangées au cours de ce débat placé sous le haut patronage de Jean Racine et de Victor Hugo. Car il y était question au départ de… poésie ! Ou plutôt de son absence, imputée par Naulleau au livre de 12 000 vers (!) que Francis Lalanne était venu ce soir-là faire connaître à la postérité. On avait certes bien senti dès le début qu’il régnait une certaine électricité dans l’air. Mais tout alla encore à peu près bien jusqu’à ce que Naulleau prononce ces mots fatidiques : « vers de mirliton ». Ce fut là que le bât blessa. C’était trop, la coupe du poète en déborda instantanément, et sa colère se hissa par degrés toujours plus furibonds sur ses talonnettes. « Quoi, comment, qu’est-ce que quoi donc ? Mis un an à l’écrire… pas possible de dire ça… eu des prix littéraires… 35 ans de poésie au compteur… Léo Ferré… rythmes, rimes, pléonasme… crétin, menteur, je t’emmerde, etc. » Bref, la vanité du poète était visiblement piquée, confirmant le vieux proverbe latin qui veut que les poètes soient gens fort chatouilleux sur le chapitre de leur œuvre. A un certain gonflement de narines des plus inquiétants, semblable à celui d’un taureau qui va charger, on put d’ailleurs craindre que Lalanne ne vole dans les plumes de l’autre impitoyable, et il se leva même violemment de son siège à un autre moment comme pour tout casser, mais finalement, fort heureusement, ne cassa rien…

Tout cela laisse au fond le sentiment d’une farce grotesque. La scène de l’autre soir ressemble fort à un piège tendu à la naïveté du pauvre Lalanne, qui n’a évidemment pas manqué d’y foncer tête baissée et de faire très exactement ce qu’on attendait de lui. Ca ne signifie pour autant que la critique telle que la pratique Eric Naulleau soit en elle-même une mauvaise chose. Elle est salutaire et rafraîchissante au contraire. Naulleau restitue à la critique sa fonction première, qui est de distinguer  à l’attention du public ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. Cela nous change en tout cas de ce qui se pratique presque partout ailleurs à la télé, où les critiques se contentent en général de simplement passer les plats. Le public ne le comprend pas toujours et refuse souvent la critique négative, assimilée par lui à de la malveillance, voire pire, bien qu’il estime par exemple parfaitement légitime et même utile qu’il existe des critiques gastronomiques pour aider la clientèle des restaurants à s’y retrouver. Seulement, s’agissant de l’exécution en place publique de Francis Lalanne qui a eu lieu chez Ruquier, l’intransigeante objectivité du critique a cette fois-ci un peu bon dos. Il semble qu’elle ait plutôt obéi en l’occurrence à un motif beaucoup moins noble, si ce n’est tout à fait indigne : celle de se payer à peu de frais une victime facile et, par ses nombreux ridicules, toute désignée pour cela à l’avance. Non, on ne tire pas sur une ambulance, encore moins quand c’est le mort lui-même qui tient le volant. Toutefois, ne plaignons pas trop non plus Francis Lalanne, car une bonne part de sa notoriété persistante, il la doit précisément à ce genre de mini-esclandres dont il est coutumier. Sans eux, il n’est pas dit que l’on parlerait encore beaucoup de ses recueils de poésies, de ses chansons ou de quoi que ce soit d’ailleurs qui le concerne…