Dame justice injuste !

L’histoire que je vais vous conter est véridique, et pour cause : elle est celle de mon père, et indirectement (le mot est léger) la mienne.

Les faits se déroulent le 5 décembre 2008, il y a un an presque jour pour jour. La nuit est déjà noire, les fêtes de fin d’années approchent à grands pas et mon père – protagoniste de cette histoire – rentre d’une dure journée de travail comme il en a toujours été durant vingt années. Sous le bras, quelques cadeaux achetés pour Noël, direction l’appartement qu’il loue depuis une année, suite au divorce d’avec son épouse, ma mère.

Afin de gagner du temps, il prend une petite ruelle sombre comme il a coutume de le faire. Seulement, ce soir-là sera différent des autres et va chambouler sa vie : trois individus l’accostent, ils exigent de lui son portefeuille. Il refuse (il gagne difficilement sa vie, il travaille de dure labeur dans le bâtiment, et chaque centime lui est vital). Ne lui en plaise, les agresseurs lui prendront de force, que cela doive impliquer la violence.

Il est emmené quelques heures plus tard en urgence : nombreux hématomes sur le visage et sur le corps. Durant trois jours, il va subir diverses opérations cérébrales, deux hématomes au cerveau reviennent sans cesse : il est entre la vie et la mort, disent les médecins.

Entre temps, après avoir fait des pieds et des mains pour obtenir les clefs de son appartement auprès de son propriétaire, je suis horrifié ! Dans son petit appartement, rien n’y est plus. Les agresseurs ont tout pris, tout volé, tout dérobé ! Plus de télévision, plus de musique, même le sapin qu’il avait pris à cœur de monter est renversé, … et surtout : plus de souvenirs propres à lui.

Mon père est dans le coma. Ma mère, sa famille proche et moi-même lui rendons visite chaque jour, dans l’espoir de le voir rétabli. Quelques jours plus tard, durant les fêtes de fin d’année, il revient à lui. Il est aphasique : il n’a plus la capacité de dialoguer, le cerveau est trop atteint. Il ne peut plus marcher : la jambe droite ne répond plus. Il n’a plus que l’usage d’un bras, le gauche. Son corps entier présente de nombreuses séquelles qui ont parfois été difficiles à regarder. Lui qui a toujours été fier, soucieux de se prendre en main, le voilà forcé d’être nourri et lavé par autrui. Les mois passant, il fait preuve d’un grand courage et réapprend à marcher. Aujourd’hui, à l’aide d’une béquille spécifique, il lui est possible de se déplacer à petits pas.

En avril qui suit l’agression, il sort enfin. J’ai décidé : il viendra vivre chez moi, à la maison. Il ne peut vivre seul, il a besoin d’un suivi permanent pour manger, se rendre aux wc, se laver, … vivre. Et c’est à partir de ce moment-là que les emmerdes (désolé du peu, c’est bien de cela qu’il s’agit) commencent.

Tout d’abord, d’un point de vue judiciaire. M’étant constitué partie civil, je me rends couramment au palais de justice pour connaître l’avancement de l’affaire. La juge d’instruction chargée de l’affaire m’informe qu’ils détiennent des informations concernant l’un des agresseurs, peut-être même les deux autres. Mais il faut attendre : un enquêteur s’en charge. A ce jour, alors que je vous conte cette histoire, il n’y a pas eu d’avancement, le dossier est mince de deux pages seulement. Personne n’est venu à l’encontre de mon père afin de constituer une interrogation approfondie, personne ne m’a contacté de sa propre initiative, personne ne nous a soutenus dans cette affaire.

L’été qui suit, je commence à recevoir les factures de l’hôpital. Le montant total des quatre mois de soins, de réadaptations, des diverses opérations et de logements nous coûtent une coquette somme d’environ 30.000 euros ! Somme qu’ils exigent récupérer. Bien sûr, il nous est impossible de la régulariser : mon père ne perçoit qu’une maigre mutuelle qui ne dépasse pas les 850 euros. Pour ma part, je suis un jeune employé qui doit, entre autres, rembourser le prêt de sa maison et régler les diverses factures qui s’y rattachent. Car mon père avait bien une assurance hospitalisation mais uniquement rattachée à son travail. Hors, ayant fait un détour pour acheter les cadeaux de Noël le soir de l’agression, celle-ci n’intervient pas !

Je revois ce jour de septembre où cet huissier, voiture flambant neuve, sonne à la porte et se présente comme tel : huissier de justice mandaté par l’hôpital X. Il nous remet une enveloppe avec la somme à régler. Il fait le tour des lieux et note tout ce qu’il y trouve : mobilier, ordinateurs, etc. Je revois mon père impuissant face à tout cela, incapable toujours de pouvoir s’exprimer, si ce n’est quelques mots difficilement lancés sur le papier. Il avait honte de m’infliger cela, et j’avais honte de voir les larmes qui en ont découlées le soir venu.

Une semaine plus tard, arrangements faits, nous paierons  250 euros chaque mois jusqu’à l’épuration complète de la dette ! Et à côté de cela, les agresseurs vivent leur vie de tous les jours, insouciants et peut-être heureux ; à côté de cela, la justice n’a pas bougé, la justice est longue et peut-être même aussi insouciante que les agresseurs ; à côté de cela, la police n’a pas mis une semaine à m’envoyer un pv pour excès de vitesse (je me souviens encore, j’allais rechercher mon père avec vingt minutes de retard chez son kiné, il attendait devant le cabinet), je les ai trouvés rapide pour le coup.

Aujourd’hui, j’ai pris une décision. Oui, parce que je n’arrive plus à joindre les deux bouts, oui parce que j’ai été contraint de travailler à mi-temps, alors je vais devoir octroyer un prêt s’il est accepté.

Voilà à quoi nous en sommes réduits, nous n’avions rien demandé à personne ! Le système m’impose cette issue et les frais qui vont avec. Ah ! Elle est belle la société ! Oh je peux aussi me rassurer : il existe en Belgique une aide aux handicapés de plus de 60 % (ce qui est le cas de mon père), la demande a d’ailleurs été effectuée … il y a plus de huit mois. A ce jour, aucune réponse. A ce jour, mon père ne pourra plus parler, il ne pourra plus utiliser son bras droit, il ne pourra plus courir, et surtout : il ne pourra plus être fier comme il a toujours été autrefois. Il n’est même pas sûr d’un jour participer au procès qui ne serait que justice !