Taxe carbone : la déception

La taxe carbone a défrayé la chronique, semant la zizanie à peu près partout sur l’échiquier politique. Nicolas Sarkozy a rendu les "arbitrages" finaux cette semaine, confirmant notre pressentiment d’une occasion ratée.

Une occasion ratée, car le principe de cette "taxe carbone" est juste. Certains à gauche ont cédé un peu trop vite à une démagogie anti-fiscale un peu facile, sur le mode "encore une taxe de plus". Ceux-ci n’ont pas tout à fait tort, dans la mesure où la fiscalité sous Sarkozy est devenue encore plus injuste pour les couches moyennes et populaires salariées : de nombreuses taxes et forfaits se sont accumulés, payés par tout le monde, tandis que les réductions d’impôt n’ont véritablement bénéficié qu’aux plus favorisés des ménages. Il n’en reste pas moins que la fameuse « taxe carbone » aurait contribué à renforcer la fiscalité écologique en France, domaine dans lequel nous sommes en retard par rapport à nos voisins européens. Or, une fiscalité écologique, qui se substituerait en partie à la fiscalité pesant sur le travail, est justifiée.

1/ Il s’agit de se préparer à une augmentation irrémédiable du prix des énergies fossiles, en lissant cette augmentation, plutôt que de laisser les ménages, et notamment les plus pauvres, se débrouiller tout seuls en cas d’augmentation brutale des prix. 2/ L’énergie n’est pas payée à son juste prix, alors que la consommation de matières premières rejetant du CO2 a des conséquences nuisibles pour l’économie (c’est ce qu’on appelle des « externalités négatives », c’est-à-dire des effets indirects non pris en compte dans le prix payé). La journaliste Jade Lingaard rappelle que contrairement aux idées reçues, le poids de la fiscalité par litre de carburant a légèrement diminué entre 1960 et 2006. « Depuis 50 ans, résume-t-elle, le bas prix de l’énergie a dicté notre modèle de développement en le rendant dépendant du pétrole, et a piégé les classes moyennes dans des banlieues pavillonnaires de plus en plus éloignées des centres-villes. C’est ce mode de vie et de travail qui entre aujourd’hui en crise, même sans la taxe carbone » (1). 3/ Le renchérissement du coût du carbone a pour but de modifier nos comportements, afin de « décarboner » l’économie : il s’agit d’un outil à notre disposition pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Non seulement les ménages sont incités à moins consommer, pour réduire leur taxe, mais cela peut potentiellement les encourager à faire travailler les entreprises spécialisées dans le secteur des économies d’énergie.

Cependant, certaines conditions étaient à réunir pour que cette taxe soit à la fois juste et efficace. Les arbitrages rendus par Sarkozy ne les remplissent pas vraiment.

Pour qu’elle soit efficace, il fallait que son montant soit significatif. Le compromis du rapport Rocard, à 32€ la tonne, était un bon départ. Un prix encore plus bas ne serait qu’anecdotique et pèserait peu sur les comportements. Or, Nicolas Sarkozy a choisi un prix de 17€ la tonne. Au moins est-on sûr que ce prix va progressivement augmenter au fur et à mesure des années. En outre, la taxe aurait dû concerner l’électricité, qui aux heures de pointe émet aussi des gaz à effet de serre. Or, l’électricité est exclue du champ de la taxe.

Pour qu’elle soit juste, il fallait compenser la perte du pouvoir d’achat, notamment pour les plus défavorisés, et ceux qui n’ont pas le choix de leur consommation (ceux qui habitent en zone rurale ou périurbaine, par exemple). La meilleure solution consistait en un « chèque vert » forfaitaire, c’est-à-dire un montant moyen et identique reversé à chaque ménage, et en une baisse des cotisations sociales pour les entreprises concernées par le dispositif. Contrairement à ce qu’ont pu dire certains à gauche, un montant forfaitaire ne serait pas inéquitable, mais au contraire redistributif : des prévisions réalisées par l’Ademe (2) montrent ainsi que les 20% des ménages les plus pauvres habitant en zone rurale toucheraient plus d’argent que ce que leur coûterait la taxe, ce qui serait aussi le cas pour la moitié des ménages urbains. Par ailleurs, la mise en place d’une telle taxe devrait s’accompagner d’une politique plus forte en faveur des transports collectifs sobres en énergie (réhabiliter les lignes ferroviaires transversales permettrait par exemple de désenclaver certaines zones). Or, la redistribution annoncée par Nicolas Sarkozy semble encore floue, mélange de chèques et de réductions d’impôt (même pour ceux bénéficiant du bouclier fiscal ?), et surtout d’exonération de taxe professionnelle pour les entreprises assujetties, ce qui s’assimile à un coup de poignard dans le dos des collectivités locales, qui y trouvent là une source importante de financement. Un calcul plutôt mauvais, car les collectivités sont celles qui participent le plus aux investissements publics pouvant soutenir l’activité en ces temps de crise économique…

(1): www.mediapart.fr, « La taxe carbone, une injustice sociale ? C’est vite dit », par Jade Lingaard.
(2): Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie, cet établissement public « met à disposition des entreprises, des collectivités locales, des pouvoirs publics et du grand public, ses capacités d’expertise et de conseil ».