A l’extrême limite Sud de l’Auvergnat mais dans le département de la Lozère, entre les monts granitiques de la Margeride et les plateaux basaltiques de l’Aubrac, au carrefour de l’ancienne Via Agrippa reliant Lyon à Toulouse et à Bordeaux, et de la Via Podensis, la Voie du Puy en Velay et Chemin de Saint Jacques de Compostelle, Aumont-Aubrac se niche et se pelotonne en Pays de Peyre. De nos jours, l’autoroute A75, la Méridienne, de Clermont-Ferrand à Béziers, et la ligne de chemin de fer Paris-Béziers, voies de communication modernes, font perdurer la vocation, mutatio romaine, incontournable étape de la traversée des monts d’Aubrac pour les pèlerins, et ville d’accueil, de la petite cité.


Aumont-Aubrac, à la croisée des routes.


A la croisée de voies antiques, la station « d’Altum Montem » était une étape sur la voie romaine qui, venant de Saint-Côme d’Olt, à travers l’Aubrac lozérien, passait par Saint-Chély d’Aubrac, les Enfrux, Ad Silanum, –lac de Souveyrols entre Montorzier et Puech-Cremat -, les Salhiens, Marchastel, Rieutort d’Aubrac et Aumont-Aubrac, – « Altum Montem » absent sur la table de Puttinger mais présente sur l’itinéraire d’Antonin -, se dirigeait vers Segodunum, – Rodez. Certes, les historiens font état, de préférence à « Altum Montem », d’Andéritum, présent sur la table de Puttinger et sur l’itinéraire d’Antonin,l’actuel village de Javols -, au titre de station, mais cette agglomération était l’ancienne capitale des Gabales(1) et n’était reliée à la Via Agrippa que par un diverculum, – ou voie secondaire -. De cette mutatio, – ou relai de poste -, sur Aumont-Aubrac, il ne semble rester aucune trace des substructions mais il est vrai, aussi, qu’aucune recherche archéologique n’a été diligentée pour en localiser son implantation. Le bâtiment principal, construit en granite, pierre du pays, et couvert de tégulae, – tuiles à rebord -, devait être de plan quadrangulaire, et mesurer, environ, 15 à 25 mètres de long sur 10 à 20 mètres de large.


Au Moyen Âge, les routes et les sentiers aménagés par l’homme au fil des siècles, défiant la roche, contournant les falaises et profitant d’une vallée pour s’apaiser et se dérouler en douceur, les pèlerins y ont laissé les traces de leurs passages : gués aménagés, ponts, dômeries, monastères, croix, chapelles, oratoires, abbatiales, basiliques ou autres œuvres construites pour honorer les reliques de Saint-Jacques, but ultime de leurs périples, en Espagne. Aumont-Aubrac, la dernière marche avant de pénétrer dans l’Aubrac si espéré et si craint des pénitents et des voyageurs qui devaient traverser une profonde forêt infestée de loups et de brigands, – l’enfer s’il pleuvait ou s’il neigeait, la porte du Paradis si le beau temps était de la partie -, en était une étape obligée.


 
Aumont-Aubrac, joyau architectural posé sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle.


De son riche passé, l’église Saint Étienne, la maison du Prieuré, la fontaine, la statue de la Bête du Gévaudan, joyaux d’architecture enchâssés dans un écrin de verdure où vogue, immobile, un vaisseau de granit aux demeures robustes enracinées pour tenir bon face aux tempêtes d’hiver, et le truc del Fabre en témoignent toute l’opulence. Autrefois fortifié, le bourg préserve et « douillette » amoureusement ses maisons et ses hôtels, aux façades parementées de pierre de taille et aux rez-de-chaussée voûtés s’ouvrant en arceaux, des XVI° et XVII° Siècles.


 

En son nucléus, l’ancien prieuré bénédictin doté de son église originelle, –l’église paroissiale Saint Étienne -, érigé en 1061, attesté dès l’an 1123, remanié et restauré aux XII° et XIII° Siècles, veille, vieux berger des ans orgueilleux de ses ouailles, sur la paisible et pieuse communauté aumontoise, le fier fleuron de la baronnie de la Peyre. Il a conservé son chœur roman et ses chapelles latérales d’architecture francigenum opus(2),gothique(3) -. Avec des nervures en arc brisé et des chapiteaux sculptés posés sur des troncs de colonnes assis sur des cul-de-lampe, son chevet est en cul-de-four. D’autres consoles d’encorbellement, à figures humaines, servent à supporter les bases des ogives des chapelles et des nervures de la nef. Son porche arbore, comme il se doit, unemagnifique coquille Saint-Jacques, symbole de pèlerinage. Un important travail de restauration, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’édifice monastique, a été effectué au cours, du XX° Siècle, et a restitué tout son lustre au remarquable bâtiment.


Perles architecturales à Aumont-Aubrac en Terre de Peyre.


La maison du Prieuré où vivaient les desservants de l’église Saint Étienne, un bâtiment daté de l’an 1684, avec son portail en arc brisé, sa façade en granit, ses fenêtres à meneaux et sa cave voûtée, a été restauré en 1790 et abrite l’Office de Tourisme du canton d’Aubrac en terre de Peyre. Il promeut, salle d’exposition et vente de produits régionaux, sous le label « Terre », l’accueil autmontois, la gastronomie de l’Aubrac, la découverte du terroir, le Chemin de Saint Jacques de Compostelle, les festivités et les animations saisonnières.


 
Au hasard d’une ruelle, en rehaut d’une niche vitrée, une énigmatique pierre sculptée la « pierre mystérieuse » pose interrogation et intrigue le pèlerin. Serait-ce une pierre de remploi provenant du prieuré ? Serait-elle l’œuvre d’un illuminé du Moyen-Âge, désireux de laisser son empreinte dans la matière ? Tout un chacun ignore sa provenance. Et si certains y voient une Svastika(4), d’autres, y découvrent et y lisent le trigramme JHS, Jesus Hominum Salvator, – « Jésus, sauveur des hommes. » –

Sur le Tuc del Fabre, une petite hauteur surplombant la Place du Foirail la statue du « Christ Roi », haute de plusieurs mètres, domine le village. Commandée, par le curé de la paroisse, au sculpteur parisien Courbet, et érigée en 1946, elle commémore un fait d’histoire : « lors de la deuxième Guerre Mondiale, 1939-1945, aucune victime n’a été à déplorer à Aumont-Aubrac. » Depuis, tous les ans, en période estivale, y conviant tous les paroissiens, les soldats et les maquisards, et, bien entendu, les pélerins et les estivants de passage, une grand-messe est célébrée au pied de la statue.


 

Le portrait architectural d’Aumont-Aubrac serait tronqué si j’en oublié ses fontaines et sa statue de la « Bête du Gévaudan. », une bête qui perpétua ses agissements criminels « au commencement de juin de l’année 1764 » et les amplifia tant dans le nombre, plus de 100 victimes, que dans l’horreur, jusqu’en 1767.


Aumont-Aubrac, un lieu idéal pour la promenade.


Autour de la petite cité d’Aumont-Aubrac, l’homme laisse la place à la nature. Des paysages époustouflants et sublimes se découpent, à perte de vue, sur une mer de pâturages bornés de pierres dressées granitique, et quelques hameaux, deux ou trois habitations souvent abandonnées, s’aperçoivent au détour d’un chemin, d’un vallon.


 

Il est traversé par quatre chemins, le Sentier Saint Jacques de Compostelle, le Tour des Monts d’Aubrac, le Tour de la Margeride, le Chemin d’Aumont-Aubrac à saint Guillem le désert, et par une kyrielle de chemins de randonnées en Pays de Peyre. Tous, du pas lent et mesuré des bergers, parcourent le plateau couvert d’herbes hautes et de fleurs jaunes et blanches, où guident vers quatre lacs déployant, enchâssés dans des écrins verdoyants, leur miroir, Dans le plus grand d’entre eux, celui de Saint Andéol, situé non loin d’un sanctuaire gallo-romain, la légende conte qu’en ses profondeurs, une ville entière y est engloutie.


 

Cette terre de prédilection, univers du volcanisme et du pastoralisme n’est-elle pas un lieu idéal pour la promenade et la méditation ? Un dicton dit « Aubrac, terre de vie et terre de Sainteté et l’homme sage y pose toujours ses pieds. » Alors l’homme du XXI° Siècle, majoritairement n’y transportant pas ses pas, est-il un sage ou un mécréant ?


Notes.


(1)Les Gabales sont un peuple gaulois, demeurant en Gévaudan. Ils participèrent à la coalition gauloise aux côtés des Arvernes. Leur chef-lieu gallo-romain était Anderitum, Javols, un des sites archéologiques les plus riches et les plus importants du Sud de la France, atteignant, à la fin du II° Siècle, jusqu’à 3.000 habitants contre 335 en ces débuts du XXI° Siècle. Au Moyen-Age, Mende prendra l’ascendant sur la capitale historique du Gévaudan.

(2)Ce sont les Italiens de la Renaissance qui ont nommé « gotico », – gothique en français -, ce style initialement nommé francigenum opus, mot à mot « œuvre française », ou « manière de bâtir en Île de France »

(3)Le terme « gothique » fut utilisé originellement dans un sens péjoratif. En effet, le mot est dérivé du nom des Goths, peuple considéré comme « barbare » par les Romains. L’art gothique était donc l’œuvre de barbares pour les Italiens de la Renaissance, car il aurait résulté de l’oubli des techniques et des canons esthétiques gréco-romains.

(4) La Svastika est un symbole religieux que l’on retrouve de l’Europe à l’Océanie, apparaissant dès l’époque néolithique. On peut le décrire comme une croix composée de quatre potences prenant la forme d’un gamma grec en capitale, d’où son autre appellation de croix gammée. Elle est toujours un symbole sacré dans certaines religions telles que l’hindouisme, le bouddhisme… et le jaïnisme. Après la Deuxième Guerre mondiale, en raison de son utilisation par l’Allemagne nazie, sa représentation est controversée en Occident.