Au pays des vivants

Abbie Devereaux, jeune londonienne, est en fâcheuse posture. Attachée, bâillonnée, un noeud coulant autour du cou, le corps endolori et la mémoire chancelante, une cagoule sur la tête sans même des trous pour les yeux ou le nez, elle est dans ce qui ressemble à une cave, n’a aucune idée de la manière dont elle est arrivée là ni qui est l’esprit psychopathe qui la maintient dans cet état.

Pour éviter de sombrer dans la folie, Abbie compte les secondes et évalue ainsi les périodes pendant lesquelles son ravisseur est absent, parti travailler peut-être, et attend tout en le redoutant le retour de son tortionnaire, qui se décidera peut-être à lui donner quelques gorgées d’une eau fétide ou quelques bouchées d’une bouillie répugnante… juste assez pour la maintenir en vie…

Ou encore sans doute lui baissera-t-il son pantalon pour lui permettre d’uriner dans un seau…

Dotée d’un fort caractère, Abbie imagine des plans pour une évasion qui semble à première vue relever du domaine de l’impossible. Malgré son état d’épuisement extrême, la seule chose qui la maintient en vie est d’imaginer qu’un jour, elle sera libre, et qu’elle pourra se venger. Un coup violent lui ayant été porté à la tête, sans doute au moment de son rapt, elle a des souvenirs plus que confus des jours qui ont précédé.

Abbie ignore si elle sera vivante la minute suivante, encore moins le lendemain. Des moments de fureur succèdent aux moment de désespoir et de résignation. Son ravisseur lui a confié qu’il la maintenait en vie pour pouvoir jouer avec elle, et que quand il en aurait assez de son jouet, il la tuerait. Et elle sait qu’il y a eu d’autres femmes avant elle, il le lui a dit: Lauren, Kelly… d’autres femmes qui n’en ont pas réchappé. Comme dit son geôlier, toutes étaient différentes, certaines suppliaient, d’autres se battaient, d’autres hurlaient… mais au bout du compte toutes sont mortes.

Abbie sait que ses jours sont comptés.

Et puis, un jour, alors qu’elle s’apprêtait à se suicider pour ne pas laisser à l’infâme bourreau le plaisir de la tuer, Abbie parvient à s’échapper par un extraordinaire concours de circonstances. Mais le monde qu’elle voulait tant rejoindre lui semble maintenant étranger: tout est différent, et des pans entiers de son ancienne existence ont totalement disparu de sa mémoire. Apparemment, elle avait quitté son emploi et son petit ami quelques jours avant son enlèvement, mais n’a aucune idée de ce qui l’avait poussée à agir ainsi. Paniquée, livrée à elle-même, ne sachant pas à qui elle peut faire confiance, Abbie est décidée à faire toute la lumière sur son histoire, et surtout, à retrouver son bourreau.

…Le début du livre se lit comme on lirait dans un cauchemar. Nous, lecteurs, sommes littéralement happés dans les moments douloureux que vit l’héroïne, et ne pouvons nous empêcher de nous demander ce que nous ressentirions si une telle horreur nous tombait dessus: désespoir, anéantissement, abandon, ou colère, bagarre pour la survie? Ces pages, une quarantaine tout au plus, sont écrites dans un style extrêmement réaliste voire choquant dans leur trivialité, quand nous assistons à la déchéance mentale et physique progressive d’Abbie, qui se transforme petit à petit en animal sans défense. Il n’y a pas de chapitres, mais des coupures très nombreuses, faisant bien ressentir au lecteur son agonie.

…Après sa fuite, nous passons à la partie 2, où nous assistons aux jours suivants, avec le séjour à l’hôpital, le début de l’enquête policière, les évaluations psychiatriques… ceci prend environ 50 pages, puis nous arrivons à la partie majeure de l’ouvrage, la partie 3.

… Cette partie se concentre sur Abbie et sa difficulté à se retrouver à nouveau dans le monde extérieur. Elle est libre à nouveau mais cet épisode horrible l’a changée pour toujours. Avec le peu d’informations qu’elle peut livrer à la police, et sa famille et ses amis qui donnent d’elle une image de femme battue et quasiment dépressive, son entourage, sans exception, est peu enclin à croire ce qu’elle raconte, imaginant plutôt qu’elle a inventé tout ceci, consciemment ou inconsciemment, pour se faire remarquer ou appeler à l’aide. Esseulée, sans aucune aide extérieure ou presque, Abbie est d’autant plus déterminée à prouver au monde qu’elle a bien subi ce qu’elle affirme avoir subi, et à retrouver son tortionnaire pour lui faire payer. Un changement complet d’apparence (coiffure, vêtements…) lui donne un semblant de sentiment de sécurité… après tout, il pourrait la chercher…

… Ai-je aimé ce livre?
Les premières pages sont vraiment assez difficiles, avec des détails crus sur les douleurs, les odeurs qui envahissent l’univers d’Abbie, le chiffon répugnant que le ravisseur lui fourre dans la bouche, l’eau croupie qu’il lui fait boire, le seau pour faire ses besoins naturels, la cruauté de l’homme… tout cela est si bien décrit qu’on se croirait presque à sa place.
… Sa lutte pour retrouver sa vie, sa mémoire disparue par pans entiers, et faire éclater la vérité comme la vie tranquille du psychopathe forcent le respect, et là encore on se demande si on serait capable d’agir ainsi, quand on a subi une épreuve aussi atroce et qu’en prime, presque personne ne vous croit! Alors, bien sûr, c’est un roman, mais un roman passionnant . Tout cela est finalement assez crédible, et d’autant plus effrayant.

… Le rythme du livre en fait un ouvrage facile à lire, prenant, difficile à lâcher. Je l’ai lu en trois soirées, impatiente d’arriver à la fin et de savoir le pourquoi du comment. C’est pourquoi je lui donne un 4 étoiles, car c’est un thriller psychologique très bien mené, qui vous conserve l’intérêt intact de la première à la dernière page. Je n’en donnerais pas 5, car ce n’est pas Faulkner non plus…!

…Ecrit par un couple anglais, Nicci Gerard et Sean French, dont j’avais déjà lu 2 livres auparavant: Jeux de dupes et Mémoire piégée, pas mal aussi dans le même genre.